22/10/2011
Au centre, la liberté
Voici quelques jours, nous avons eu un débat assez approfondi, quoique forcément synthétique, sur Twitter (l'endroit où l'on ne s'exprime que 140 caractères à la fois). Le sujet était le libéralisme et sa position sur l'échelle qui va de la droite à la gauche. On me disait que "il n'y a qu'en France que le libéralisme soit à droite, ailleurs il est à gauche". Une affirmation que j'ai déjà souvent entendue. Or il se trouve que cet ailleurs se situe aujourd'hui aux États-Unis et aux États-Unis seulement. Là-bas, quand on est un "liberal", c'est qu'on a le couteau entre les dents et qu'on veut égorger les possédants. Mais en vérité, ailleurs, les mots et les faits sont différents.
Au Royaume-Uni, le Parti libéral incarnait la gauche au XIXe siècle, jusqu'à ce que le parti ouvriériste (travailliste) le supplante dans l'opposition aux conservateurs et le marginalise en attendant l'apparition tardive du Parti Libéral-Démocrate. Tel fut le mouvement profond du tournant du XXe siècle : l'émergence des partis de l'Internationale, des partis ouvriéristes, qui ont repoussé le libéralisme vers le centre, voire vers la droite.
Il n'en fut pas autrement en France, où la SFIO puis le PCF ont repoussé le parti radical vers le centre, où il a rejoint finalement les autres composantes du centrisme français : la démocratie-chrétienne et les libéraux. Le point commun des trois courants de ce centre (qui ont formé en son temps l'ancienne UDF en 1978), c'est que la liberté est centrale dans leur façon de concevoir la place de l'être humain dans la Société. Les démocrates-chrétiens analysent la liberté comme la condition (et donc le moyen) du Salut. Les radicaux, si l'on autorise ce genre de spéculation à un profane comme moi, ont une sérieuse réputation de lien avec les idéaux de la franc-maçonnerie, pour laquelle la liberté est une condition (et donc un moyen) d'accès à l'initiation. Pour les libéraux, héritiers de Le Chapelier et de quelques autres ténors des premiers temps de la Révolution Française, la liberté est la condition de la création de richesse et donc du progrès.
La droite, elle, selon ce schéma, qui n'est qu'une des grilles de lecture de l'arc politique, peut croire à la liberté, mais il y a toujours une limite, à ses yeux, à cette liberté : c'est l'autorité, le respect de l'autorité. La droite croit à la liberté tempérée par l'autorité. Et comme l'arc politique de droite est traversé et irisé par l'idée d'inégalité, il vient un moment où la puissance de l'inégalité dans le cocktail justifie que la liberté soit réservée aux "supérieurs". La version de la liberté, selon l'extrême doite, est donc que la légitimité permet de justifier la confiscation de la liberté au profit de quelques-uns, idée que l'on trouve déjà dans le poujadisme, mais qui peut aller beaucoup plus loin à droite, où l'on voit que la liberté peut être un absolu, du moment qu'elle soit réservée à quelques-uns, une élite légitime ou légitimée (des "élus").
La gauche, selon le même schéma, peut croire aussi à la liberté, elle ne demande que cela, mais à ses yeux, il y aura forcément une limite (plus ou moins éloignée selon que l'on sera plus ou moins à gauche) : c'est la solidarité. La gauche, qui se méfie toujours des pistes individuelles et penche toujours vers les solutions collectives, croit à la liberté tempérée par la solidarité. Là encore, il y a une version extrême qui aboutit à faire de la liberté un absolu en supprimant l'autorité et en proclamant la solidarité obligatoire selon le principe des soviets, assemblées locales plénipotentiaires, AG selon le vocabulaire plus actuel, qui siègent en permanence, où le débat est roi est où la décision est par nature collégiale. Il n'y a de citoyen qu'actif et c'est par sa participation qu'il justifie et prouve sa liberté. La condition de cette forme est évidemment l'égalité, absolue, l'égalitarisme.
On a donc un spectre à trois espaces : l'espace droit gouverné par l'autorité, l'espace gauche gouverné par la solidarité (plus encore que par l'égalité), l'espace central cherchant avant tout la liberté.
Quand il s'est agi de combattre l'excès de l'autorité au nom de la liberté, les gens de la liberté (plaçons-les tous sous le vocable de libéraux) se sont placés à gauche parce que l'autorité était à droite. Mais quand la liberté s'est retrouvée menacée par les principes de la solidarité, plus à gauche, le libéralisme s'est placé plus à droite. Coincée entre l'autorité et la solidarité, la liberté avait trouvé sa place. Et le fait que des gens d'extrême droite (par exemple d'Occident) se soient infiltrés parmi les libéraux en exploitant leur vision inégalitaire du monde n'y change rien, en vérité, le libéralisme français, incarné ou non, se trouve dans l'espace central, ce que des gens comme Hervé Morin devraient comprendre au lieu d'enfermer le libéralisme dans l'alliance avec la droite.
La place de la liberté est au centre.
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Commentaires
Je suis presque d'accord avec ton texte si tu changes le terme "solidarité" par "égalitarisme".
La solidarité est une notion qui me semble transversale au sein de l'échiquier français, pour tous les républicains. La seule distinction sera son expression.
L'égalitarisme, au sens, tout le monde traité à la même enseigne, et ce, quel que soit le service rendu à la collectivité, ça oui, ça me semble être ce qui différencie l'aspiration centriste (méritocratique/libérale) et gauchiste.
Écrit par : Fabrice_BLR | 23/10/2011
Billet très intéressant, merci, et la remarque de Fabrice_BLR l'est aussi.
Justement, le terme de solidarité a deux connotations :
* l'une individuelle et morale, elle vient de l'humanisme, et s'applique à la collectivité nationale par la volonté des citoyens ("l'Etat doit montrer la solidarité de la Nation envers les sans-abri", par exemple) : nous la défendons aussi bien au centre qu'à gauche.
* l'autre part du collectif et s'impose à l'individu : en vertu des statuts du PS, chacun de ses élus doit voter, dans une Assemblée, conformément à la décision prise collectivement par le groupe socialiste. La responsabilité individuelle est abdiquée au nom de la solidarité de parti. Nous laissons cette conception à la gauche (et souvent à la droite) sans le moindre regret.
Écrit par : FrédéricLN | 02/11/2011
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