19/11/2011
Les comptes fantastiques de Sarkollande
Au XIXe siècle, sous le Second Empire, le préfet de Paris fut le baron Haussmann, qui a révolutionné l'urbanisme de la capitale et imposé un modèle d'architecture qui porte son nom et que résume l'adjectif "haussmannien". Or les réformes considérables engagées par Haussmann dans l'organisation de la ville coûtaient si cher que les humoristes se déchaînaient contre elles et avaient fait appel au jeu de mots, convoquant les "Contes fantastiques" d'ETA Hoffmann (les Contes d'Hoffmann, comme on les connaît mieux) pour en faire les "comptes fantastiques d'Haussmann", expression très savoureuse à laquelle je n'ai pas résisté, bien qu'elle donne une image en partie inverse de celle qui reflète la réalité du tandem Sarkozy-Hollande. Voyons pourquoi.
Finances douteuses et sulfureuses
La France du Second Empire est riche, pour ne pas dire richissime, elle bénéficie d'une monnaie très forte, le Franc-Or, qui nourrit son prestige et celui de ses produits à l'exportation, et l'exode rural intense impose la création de nouveaux quartiers parisiens (les arrondissements XII à XX absorbant les communes voisines comme Bercy, Auteuil et quelques autres) ainsi que la restructuration des anciens dans la lignée de ce qui a été fait avec la rue de Rivoli. Les bouleversements sont tels que Victor Hugo, exilé de 1852 à 1870, peine à trouver son chemin dans les quartiers autour du Louvre quand il y revient. Il ne reconnaît plus rien. Donc les comptes fantastiques correspondent à une activité réelle et, de surcroît, utile et financée, ce qui ne se retrouve pas dans le cas de Sarkollande. Dans le cas d'Haussmann, l'expression était abusive, alors qu'elle ne l'est plus.
Elle l'était moins, il est vrai, sur un aspect : celui de l'honnêteté. Zola a très bien montré les délits d'initiés innombrables, et les abus de pouvoir, qui ont émaillé les grands travaux haussmanniens. De ce point de vue-là, elle reste pertinente, elle n'a rien perdu de son actualité, voire de son acuité.
Le pouvoir sarkozyste, pour commencer, est bien connu pour les cadeaux qu'il a faits à ses amis politiques. Que l'on songe à la privatisation des autoroutes, lancée sous le tandem Chirac-Villepin et terminée sous Sarkozy, au profit de l'entreprise Vinci. Que l'on songe que les exploitants d'autoroutes, vendus pour 12 milliards en tout, rapporteraient aujourd'hui plusieurs milliards CHAQUE ANNÉE au budget de l'État, tellement impécunieux ! On ne peut qu'être scandalisé par cette braderie de nos joyaux de famille par la droite dans son ensemble, à laquelle la gauche ne s'est pas opposée, de laquelle seul (vraiment seul) François Bayrou s'est insurgé, jusqu'au Conseil d'État qui lui a donné tort (les conseillers d'État se sont déshonorés ce jour-là).
La gauche ne s'y est pas opposée, car elle aussi a son Vinci sous le boisseau, en la matière du funeste projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Vite, un nouveau Larzac à Notre-Dame-des-Landes ! Car cet aéroport, si j'ai bien compris, sera édifié par Bouygues et exploité par ... Vinci, la même entreprise qui a déjà pillé l'État de milliards d'Euros de revenu annuel. À chaque fois que je vois la binette patibulaire de Jean-Marc Ayrault parler pour le candidat Hollande, j'entends le ding de la caisse enregistreuse qui signifie "tant pour Vinci".
Et Ayrault n'est pas le seul. Il se passe peu de semaines sans que le Canard Enchaîné ne mette en lumière les tendresses veloutées que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, réserve au groupe bétonneur Unibail.
Et la liste est longue de ces élus locaux "vertueux" qui forment la cohorte sinistre du candidat Hollande, symétrique de l'entourage prétorien de Sarkozy. Je ne parle même plus de Guérini, dont les agissements tapageurs ont réussi à déranger la torpeur du PS, ce parti de sénateurs ventripotents, au point qu'il se croit obligé de lui demander (enfin) des comptes, comptes fantastiques eux aussi.
Je pourrais enfin évoquer dans la même rubrique le groupe Eiffage, épinglé dans la même semaine pour la gabegie honteuse de l'hôpital géant de Corbeil, proche de la droite, et des galipettes tarifées appuyées sur un proxénétisme policier proche de la gauche.
M. Julliard vante ce dont il s'est méfié
C'est pourquoi je suis particulièrement révolté quand je lis dans l'hebdomadaire Marianne de cette semaine le placard autosatisfait de Jacques Julliard (encore un sénateur ou tout comme), dessinant le contour d'une future majorité du "président" (à Dieu ne plaise) Hollande avec le calque repêché des archives poussiéreuses de la majorité plurielle de Jospin. Faut-il rappeler à M. Julliard que, malgré sa promesse faramineuse de 500000 embauches d'emplois jeunes, Lionel Jospin n'a dû de prendre le pouvoir en 1997 qu'aux triangulaires du FN (il ne lui en a pas coûté de s'appuyer sur M. Le Pen ce jour-là) et que sa gestion a tellement convaincu que, en avril 2002, les électeurs l'ont congédié dès le premier tour ?
Plus encore, M. Julliard salue l'esprit visionnaire de ce vieillard qu'était (il est vrai) de Gaulle en 1958, lequel de Gaulle a eu la claire vision qu'il fallait redessiner le paysage industriel de la France, et l'a fait, heureuse idée. Très bien. Mais tout de même, que le même M. Julliard nous explique qu'après de Gaulle, c'est le désert, rien n'a plus été fait, là, c'est un peu fort. C'est un peu fort, parce que c'est vrai, mais c'est un peu fort, parce que M. Julliard fait semblant de croire qu'une configuration hémiplégique pourrait résoudre les problèmes qu'elle a elle-même créés. Après de Gaulle et la restructuration du paysage industriel (qui n'a pas été parfaite, mais suffisante), la question n'a vraiment commencé à se poser de nouveau qu'à la fin des années 1970, dans la deuxième moitié du septennat de VGE, M. Julliard devrait relire ses vieux éditos du Nouvel Obs pour s'en souvenir, si la mémoire commence à lui faire défaut.
À cette époque, le thème récurrent, ce sont, justement, ces restructurations industrielles, elles sont au programme du gouvernement Barre, juste après le rétablissement de la monnaie et des finances publiques. Les budgets 1979 et 1980, votés en déséquilibre, sont exécutés en équilibre, fait qui ne s'est plus reproduit depuis, la rstructuration peut alors commencer. Or Barre se heurte à l'opposition de la droite RPR pour restructurer, parce que de nombreuses entreprises sous perfusion d'argent public sont en fait des vaches à lait du système RPR, ce qui est alors logique puisque de Gaulle a modelé les structures industrielles, elles sont filles du pouvoir politique.
Et dans la période suivante, celle de l'hémiplégie de gauche, la politique de Mitterrand limita les restructurations à l'étatisation, puis au démembrement sans réflexion de pans entiers de l'industrie, auxquels on ne chercha guère alors de nouveaux horizons, de reconversions possibles, comme les Allemands ont su le faire, sauf très rares exceptions comme ce qui est devenu Arcelor, depuis racheté par Mittal qui a bénéficié de la gabegie politique française. M.Julliard devrait s'en souvenir aussi, il a l'âge de mon père, il était rocardien et CFDT comme mon père en 1981, il devrait se rappeler qu'à cette époque, contrairement à Mitterrand, les rocardiens prônaient une vraie restructuration industrielle, dont le projet a été balayé par la logique de l'hémiplégie politique de 1981. Et depuis cette époque, l'hémiplégie reine nous a menés de Charybde en Scylla.
Enfin, et ce n'est pas le moindre défaut, lorsqu'il explique que le PS doit prendre le pouvoir seul, restructurer l'industrie seul, gouverner seul, assis sur ses croupions vert et rouge, il donne en fait blanc-seing à des Ayrault, à des Delanoë, à des Guérini, c'est-à-dire, entre autres, à des Vinci, à des Unibail.
Non. Cela ne sera pas. Car cela ne serait qu'à peine mieux que les errements actuels. Nous y perdrions certes (grand soulagement) les discours de Grenoble et de Bordeaux, la xénophobie d'État, le mépris de la faiblesse et de la misère, mais le pillage de l'État ne cesserait pas.
Non. Cela ne sera pas.
Hollande, le nouveau DSK ? Noooooon !!
J'ai trouvé honteuses les pages du même hebdomadaire "Marianne" intitulées "La semaine où Hollande est devenu le mâle dominant". On voit que les communicants qui tentaient de nous vendre du DSK sont les mêmes qui nous fourguent du Hollande. Ce n'est pas bon signe. Et en plus, quel est donc ce fait d'armes brillant qui aurait porté le candidat Hollande vers les cimes ? Quel est cet exploit faramineux, ce prodige interstellaire ? Ce miracle tonitruant ? C'est d'avoir imposé ses vues aux minuscules Verts. Autrement dit, Hollande est devenu le mâle dominant parce qu'il a dominé Mme Duflot, une femme, parce qu'il l'a menée au Sofitel, en quelque sorte, ou au Carlton. Hollande est donc effectivement le nouveau DSK. Beurk. Ce titre est d'un sexisme honteux, je ne suis pas près de racheter Marianne si les choses ne se rattrapent pas vite.
Sur le fond, je ne crois pas qu'il faille sortir du nucléaire à court terme, j'attends plus de transparence sur les conditions d'exploitation des centrales actuelles, j'ai des doutes sur Fessenheim notamment, je sais aussi qu'il ne faut pas construire de centrales sur des terrains granitiques, qui sont naturellement radioactifs, mais j'espère que nous entrerons bientôt dans l'ère de la fusion nucléaire, plutôt que dans celle de la fission (la fusion, énergie à froid, ne consomme pas d'eau fraîche comme la fusion, et produit peu de chaleur et de radioactivité). Cela étant, il faudra examiner la compatibilité du processus de fabrication des armes nucléaires, tant que nous en avons besoin pour notre défense nationale, avec celui de l'énergie de fusion. Et par ailleurs, je suis très favorable au développement des énergies renouvelables, hydrauliennes par exemple. Donc je ne suis pas forcément dans le camp de Mme Duflot sur tout, pas contre elle sur tout non plus, mais j'ai trouvé que les couronnes de lauriers tressées à Hollande sur le thème du guerrier bling-bling et macho (surtout maintenant qu'on sait que la marge de manœuvre financière des Verts est rrès étroite) déshonorait leurs auteurs. Leur candidat est si piètre qu'ils ont besoin d'artifices de vendeurs de bretelles pour le fourguer. C'est navrant.
D'autant plus que, pour le reste, les rares éclaircissements qu'on ait eus jusqu'ici sur les propositions économiques du candidat du PS n'ont pas incité à l'énthousiasme, c'est le moins que l'on puisse dire, car tout se passe comme si les sages intentions affichées par M. Hollande n'étaient qu'une posture de plus.
Donc, d'un côté Fillon et ses 65 milliards économisés sur cinq ans (en regard de 500 milliards perdus dans les cinq dernières années, à peine plus d'un huitième) et une faible perspective industrielle, surtout du point de vue d'un Sarkozy qui ne comprend rien et vit dans le fantasme. De l'autre côté, une sorte de Rajoy français, une anguille, laissant entendre qu'il ne dépensera pas, qu'il reconstruira, mais appuyé sur des loups enfarinés et vendus aux mêmes prédateurs que ceux qui, jadis (naguère), soutenaient son adversaire de droite. Au centre, 100 milliards de redressement budgétaire par an répartis équitablement entre tous les contribuables, faisant payer les riches et participer les moins riches, économisant à bon escient dans les dépenses publiques, restaurant l'État et reconstruisant le paysage industriel dans un esprit de liberté (voire de libéralisme), c'est-à-dire sans l'oukaze des mastodontes ni des marchés, et avec la sincérité qui est la marque de fabrique de François Bayrou pour tous ceux qui, comme moi, ont eu l'occasion de le rencontrer d'un peu près. Alors ? entre les comptes fantastiques de Sarkollande et la combinaison de la justice et de l'efficacité, vous choisissez quoi ? Moi, c'est fait.
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