26/11/2011
Leçons paradoxales du contre-modèle argentin
Au cours d'une discussion animée chez le Démocrate Sans Frontière, le débat s'est porté sur la dévaluation de la monnaie à propos du fait que les banques centrales pouvaient (et peuvent) faire faillite. J'en ai profité pour glisser quelques réflexions sur le pseudo-modèle argentin et Frédéric Lefebvre-Naré, auteur du blog, a mis en lien un article et interview d'excellente qualité qui détaillait la dernière décennie de l'économie argentine, pays qui passe désormais pour une terre de miracle économique. Cet article ne m'a pas fait changer d'opinion et il m'a paru utile d'expliquer ici pourquoi.
L'effondrement en 2001
L'explosion de la bulle internet a fait beaucoup de victimes au début des années 2000. L'Argentine fit partie de ces victimes. La déroute complète de son économie provoqua celle de ses finances publiques et, après quelques tâtonnements, les autorités argentines choisirent une solution radicale : elles déclarèrent leur pays en défaut des 100 milliards de dollars de dette qu'il subissait. Cette dette, notons-le, n'était pas très lourde selon nos critères actuels, environ 30% du PIB. Le défaut s'éleva à 75%. Ensuite, l'Argentine décida de renoncer à la parité fixe de sa monnaie avec le dollar américain et, flottant, le peso argentin se retrouva avec la parité de 3 pesos pour un dollar, au lieu d'un peso pour un dollar antérieurement.
Le tout, crise et réaction à la crise, acheva l'économie argentine, les investisseurs internationaux se retirèrent, le plongeon de la monnaie ruina totalement les petits épargnants au moment même où la montée du chômage rendait leur épargne particulièrement nécessaire, voire vitale. Il y eut des violences, une atmosphère de guerre civile, et le PIB tomba de 40%.
Une fois sa dette allégée et le fond du gouffre atteint, le gouvernement argentin retrouvait des marges de manœuvre financières pour rebondir. Il relança donc massivement son économie et veilla à la protéger par un protectionnisme actif. Malgré cet effort, il fallut plusieurs années à l'économie argentine pour retrouver son niveau d'avant-crise (comme on le voit ici, au moins sept ans). Aujourd'hui, dix ans après la crise, tous les indicateurs sont florissants.
De ce fait, la situation argentine est prônée en modèle par tous ceux (assez nombreux) qui pensent qu'il faut dévaluer constamment la monnaie et laisser filer l'inflation pour nourrir la croissance. Ce sont d'ailleurs parfois les mêmes que ceux qui veulent que les pays résistent aux injonctions du Fonds Monétaire International (FMI). Voyons en quoi ils ont raison et en quoi ils ont tort, à mon avis.
Leçons négatives
Tout d'abord, que reproche-t-on au FMI ? D'affamer les populations. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la méthode argentine (l'Argentine a refusé l'aide du FMI) n'a pas été plus tendre que si le FMI s'en était mêlé : des centaines de milliers (voire des millions) de gens ruinés, beaucoup contraints à l'expatriation, et finalement, une population affamée prête à tout pour travailler et pour gagner sa vie, le rêve des capitalistes les plus cyniques. On ne peut donc pas dire que la solution argentine soit plus tendre que celle du FMI.
Ensuite, il y a eu une mutation de l'économie locale. Avant la crise, l'Argentine bénéficiait de l'image du bœuf argentin, élevé à l'herbe de la pampa, un produit de haut de gamme. Après la crise, l'Argentine exporte des sojas OGM pris sur des souches fournies par les géants agroalimentaires américains. Avant, un produit de qualité à forte identité et à forte valeur ajoutée. Après, un produit de merde totalement anonyme, à faible valeur ajoutée.
Car la dévaluation de la monnaie rejaillit sur les produits. Monnaie forte, bons produits. Monnaie faible, produits de bas de gamme. Le cas chinois le démontre parfaitement. Or pour une économie, on le sait bien, il vaut mieux avoir une image de haut de gamme (comme la France avant 1940), ce qui permet d'exporter aussi les produits médiocres, tandis que lorsque l'on a une image de marque générale médiocre, on peut produire tout ce qu'on veut de génial et de performant, personne n'y croit. La dévaluation/inflation, c'est une spirale vers le bas, vers l'appauvrissement des populations et de l'économie. Car il finit toujours par se trouver quelqu'un qui produit plus merdique et moins cher que soi.
L'extrême Orient a démontré que les phases sont les suivantes : d'abord, on produit de la merde pour pas cher, ensuite on monte en gamme. Choisir de laisser filer la monnaie et les prix, c'est s'interdire de monter en gamme. La Chine s'en aperçoit, à l'inverse du Japon ou de la Corée du Sud. Donc non, la dévaluation n'est pas une bonne solution. En économie, la seule bonne solution est la vertu.
Leçons positives
Il y a cependant du vrai positif dans ce qu'a vécu l'Argentine.
Tout d'abord, le ministre des finances interrogé dans l'article mis en lien plus haut insiste sur une idée très juste : il ne sert à rien de poser des rustines, ni de multiplier les mesurettes pour corriger tel ou tel effet budgétaire ou conjoncturel. Pour remédier à une crise, il faut une action massive, énorme, totale. C'est là l'erreur du FMI, qui prône de longues périodes d'austérité qui, peu à peu, dévitalisent et démoralisent les pays et leurs populations. On le sait bien, si une femme se fait épiler, on ne tire pas la cire peu à peu, lentement, comme dans un supplice chinois. Pour lui faire moins mal, on l'enlève d'un coup brusque. Hop ! Eh bien, c'est la même chose. Il faut faire les choses en entier et non à moitié. C'est pourquoi, en France, il ne sert à rien de serrer indéfiniment les rouages budgétaires si cette rigueur n'a pas pour effet de stopper vraiment l'augmenation de la dette. Vingt ou trente milliards d'économies, c'est une demi-mesure. Cent milliards d'économies et de recettes nouvelles, c'est une vraie action.
Deuxième leçon positive : l'abandon de l'économie argentine par les investisseurs internationaux a permis aux ouvriers et salariés argentins de s'emparer de l'outil de production et de le relever sous forme de coopérative. Il est évident que beaucoup d'usines qui ne sont pas rentables si elles doivent rémunérer à la fois un investisseur et des salariés le sont assez pour nourrir des salariés seulement. Pour la réindustrialisation de la France, le recours à cette forme coopérative sera une bonne voie, les taux bancaires bas lui permettront de se financer mieux que par les marchés financiers.
Voilà, donc, les leçons à tirer du modèle argentin : nous avons, avec l'Euro, une monnaie forte, il nous appartient d'adapter notre ambition productive aux vertus de cette monnaie, nous devons recourir à des mesures financières massives pour enrayer l'endettement de l'État et réindustrialiser la France, nous devons faire preuve d'imagination et de souplesse dans les formes juridiques de nos unités de production, notamment par les coopératives.
J'ajoute que, personnellement, je trouve que, lorsque l'État a énormément investi dans le rétablissement d'une filière, il devrait jouir d'un droit de préemption (je pense là à Arcelor, dont le rachat par MIttal a eu des effets terribles sur l'emploi, gâchant deux décennies d'investissements de l'État), ce droit de préemption devrait être applicable aux technologies rares (Bayrou citait le cas d'une entreprise de cartes à puces qui fournissait 40% du marché mondial, ou encore celui d'une usine d'acétone, la seule d'Europe, rachetée puis fermée par les Américains) ou stratégiques. Enfin, ce n'est pas aussi anecdotique qu'il y paraît, les infusions de l'éléphant devraient aussi être organisées en coopérative. Ce qui se passe avec Unilever est un scandale.
Il y a moyen de mettre en place de vraies solutions.
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Commentaires
Assez d'accord avec cette approche … sans connaître l'Argentine, je suis d'accord avec les conclusions concernant la France !
Écrit par : FrédéricLN | 26/11/2011
Et moi, surtout d'accord avec ceci : "En économie, la seule bonne solution est la vertu."
La vertu, la franchise, le parler vrai, l'honnêteté intellectuelle tout bonnement. Uniquement parce que c'est le plus simple à appliquer. Donc le plus efficace. Ce n'est pas de la naïveté ! C'est du bon sens.
Écrit par : Françoise Boulanger | 27/11/2011
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