20/01/2012
Thierry Crouzet a débranché, il témoigne chez Fayard
Thierry Crouzet a des idées politiques plus que tranchées, il opte pour un localisme sans concession. Pour lui, les seules décisions légitimes sont celles qui se prennent à hauteur d'homme, entre gens du même coin (son coin à lui est dans le Languedoc). Pourtant, il a été parmi les premiers, en France, à se connecter et à participer à l'élan de rapprochement mondial qui s'appelle internet. Il a même théorisé l'aspect politique de l'activité des internautes dans deux essais parus en 2006 : le Peuple des Connecteurs et le Cinquième Pouvoir.
Pionnier du blog de langue française, il a subi voici quelques mois une forme de surmenage qu'on appelle depuis quelque temps un burnout, il s'est retrouvé à l'hôpital. Là, sur son lit d'hôpital, il a tenté machinalement de savoir combien de lecteurs se connectaient à la note qu'il venait de publier sur son blog et subitement, il s'est dit "Ce n'est pas normal", il se découvrait dépendant de son blog, dépendant d'internet. Pour retrouver sa liberté, et pour s'assurer que cela était possible, il a décidé de débrancher et d'en témoigner sur papier avec la complicité de l'un des plus grands éditeurs français, Fayard, l'éditeur du Général de Gaulle.
Hier soir, à la librairie Le Divan, il est venu présenter cet ouvrage à ses amis et à ses lecteurs. Il a convié Sébastien Musset, Vinvin et Christophe Grébert à échanger avec lui et le public autour de son livre. J'y étais.
Crouzet arrive un peu en retard de Canal Plus où il a enregistré une émission qui doit passer aujourd'hui à l'heure du déjeuner. Le choix de ses interlocuteurs du soir est significatif : Crouzet ne croit pas à l'élection de Hollande (qui caracole dans les sondages), Seb Musset, lui, y croit, Vinvin vote pour François Rollin ou pour un moine trappiste, et Christophe Grébert, combattant au cœur du cloaque de la sarkozye, vote Bayrou.
Six ans après ses essais mentionnés plus haut, Crouzet porte un regard désabusé sur internet, les révolutions arabes lui paraissent être des "révolutions pour rien", il a l'impression que l'immensité d'internet le fait s'époumoner pour rien, et que finalement, son utopie s'est diluée, pour ne pas dire plus. Grébert confirme son impression : finalement, internet n'est qu'un moyen, mais quel moyen, on en a vu la puissance notamment au moment de la tentative de nomination de Jean Sarkozy à la tête de l'Epad, à La Défense, où la mobilisation des internautes, notamment par Twitter, a fait reculer le pouvoir politique.
C'est d'ailleurs le constat fait par la salle et par les trois amis de Crouzet : il y a cinq ou six ans, internet était à la remorque des médias. Aujourd'hui, ce sont les médias qui traînent à la remorque d'internet. Et Crouzet témoigne : Mikiane l'a invité à visiter les locaux de France 24 et là, il a vu de ses yeux ce qui pour lui représente le comble de l'horreur dans son domaine : une machine à trier les mots-clefs sur internet en temps réel, qui permet de choisir les sujets qui buzzent pour en parler lors des plages d'info.
- Ils ont des articles tout prêts qui sortent de la machine, s'indigne-t-il.
Et si internet le déçoit, Crouzet a pu vérifier qu'on pouvait vivre sans internet. Très bien. Il a débranché pendant six mois et n'a pas éprouvé de manque. Il est même surpris d'avoir si peu écrit sur son blog depuis qu'il s'est rebranché en septembre.
On parle ensuite des sites qui gagnent de l'argent sur le dos des auteurs, Google, le Huffington Post ("un nom que je ne peux même pas prononcer", grommelle Crouzet), Seb Musset témoigne aussi sur ses relations avec Marianne2.fr.
Crouzet continue en évoquant certains passages de son livre, notamment celui que lui a demandé son éditrice : comment préparer les enfants à internet, comment les armer contre la machine internet. Là, Vinvin intervient en expliquant :
- Internet, c'est comme une rue le soir. Est-ce que vous laissez vos enfants sortir tout seuls le soir ? Pas moi.
Crouzet ajoute qu'il manque des mythes littéraires qui permettent aux gens de s'identifier avec différents comportement sur internet. La salle lui demande alors si, comme dans le monde ancien, il souhaite des héros, ou s'il songe à un storytelling d'internet. Mais si l'idée demeure imprécise, on sent que Crouzet a raison.
En souriant et avec un plaisir amical, il dédicace ensuite son livre pendant que nous bavardons et prolongeons la conversation. Internet n'est déjà plus ce qu'il était. Il lui reste à devenir ce qu'il est.
Aux dires de son éditrice, le livre qui témoigne des six mois débranchés, intime, se lit comme un roman, grâce à la qualité du style de son auteur. Grébert, lui, commente avec une sobriété amicale :
- Crouzet veut devenir un saint.
Il ne reste plus qu'à acheter le livre chez votre libraire, pour 18 Euros. La version numérique reste onéreuse, à presque 14 Euros, mais on nous explique que c'est là le résultat d'un choix général du groupe Hachette. Après tout, ce n'est pas un sacrifice si grand et nul doute que ceux qui ne pourront pas le payer trouveront un moyen de se le faire prêter.
En rentrant de cette soirée, j'apprends que, au lendemain du blackout de l'internet américain contre le projet Sopa, le FBI a fait brusquement fermer le site de téléchargement Megaupload (pourtant enregistré à Hong Kong, hors du territoire américain) et mis en examen plusieurs de ses responsables. Grosse émotion sur internet, les hackers ont aussitôt réagi en bombardant Universal, le site du ministère américain de la justice, la Hadopi française, et tous ces sites sont hors service. La cyberguerre a commencé. Quelle soirée !
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Commentaires
Merci pour ce témoignage !
Écrit par : FrédéricLN | 21/01/2012
Mêmes remerciements ! Rencontre, on l'a compris, très amicale et quelque part émouvante...
J'aime bien cette phrase : "Internet n'est déjà plus ce qu'il était. Il lui reste à devenir ce qu'il est."
Écrit par : Françoise Boulanger | 25/01/2012
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