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30/01/2012

Politiques industrielles, 1981-2020

Jean Peyrelevade confrontait ses idées à celles de Jean-Pierre Chevènement dans un débat organisé par la chaîne BFM TV peu avant le discours soviétique du président Sarkozy, hier dimanche. Parmi les idées que Peyrelevade défendait, celle d'une lecture de la chronologie de la politique industrielle de notre pays. Il a été l'un des acteurs de cette politique dans les années 1980, en particulier comme directeur de cabinet de Pierre Mauroy à Marignon. Selon lui, l'Allemagne possédait déjà de l'avance sur la France en 1981. Les années 1980 ont vu la France tenter de rester à niveau, se maintenir au contact de la puissance productive allemande. Puis, avec la chute du Mur, l'Allemagne a eu à faire l'effort colossal d'absorber un quart de sa population jouissant d'un PIB par tête de pays sous-développé (ou presque). Alors, dans les années 1990, privée de sa rivale d'émulation, la France s'est un peu abandonnée à elle-même. Au lieu de profiter du boulet qui ralentissait l'Allemagne pour refaire une partie notable de son retard, la France a préféré musarder et se laisser aller, gauche comme droite. Le résultat est connu, nous le vivons en ce moment, et nous avons désormais à mettre les bouchées doubles pour regagner le terrain perdu.


J'avoue que je n'avais pas ce souvenir des années 1980. Au-delà même de la montée continuelle du taux de chômage, cette période me paraissait être celle d'une inaction publique quasi-totale dans l'effort industriel. Il n'y a pas très longtemps que je fais peu à peu mon aggiornamento personnel sur cette époque et que les côtés positifs de l'action de la gauche au gouvernement m'apparaissent, en contrepoint, il faut l'avouer, de l'action gouvernementale de la gauche dans les années 1990. Le patriotisme personnel de François Mitterrand doit probablement être invoqué ici. C'est la qualité la plus indéniable de cet homme, même s'il ne faut sans doute pas oublier le rôle personnel de Jacques Delors, invoqué par Peyrelevade avec une émotion manifeste.


Parmi les côtés positifs, il faut reconnaître que la politique étrangère de Mitterrand a été plutôt bonne, étant donné le contexte. Lorsqu'il a fallu éloigner des convoitises étrangères de Nouvelle-Calédonie, il a su le faire, il a su aussi protéger l'autonomie de la défense française, et s'il n'a pas assez nourri la francophonie, il n'en a pas sabordé le cadre comme d'autres l'ont fait depuis.


L'intention de redresser et restructurer l'industrie française est attestée par Jean Peyrelevade, donnons-lui en acte, après tout, il y a eu des succès dans ce domaine, même si les échecs sont plus nombreux, tout compte fait. Je crois que les échecs sont probablement dus à des questions de méthode. La commission europénne a rejeté certains instruments planificateurs qu'elle a jugés contraires aux traités européens, il aurait donc fallu probablement ruser un peu plus. Et puis, l'économie ne se décrète pas. Le colbertisme excessif, mâtiné d'autres formes d'interventionnisme économique, négligeait que l'économie soit, comme le dit Bayrou ces jours-ci d'une heureuse formule, un "biotope", une chaîne vivante dont il faut avant tout soigner le métabolisme pour libérer les énergies intrinsèques.


Peut-être la faiblesse du modèle venait-elle aussi d'une insuffisance doctrinale. Par esprit colbertiste (ou simplement étatiste), la conception économique dominante de nos élites était en général keynésienne. À ce modèle keynésien, on opposait le modèle friedmanien, d'un côté, et le modèle encore plus monétariste hérité de Hayek de l'autre, avec Raymond Barre qui cumulait les deux profils d'économiste et de politique. Peut-être aurions-nous mieux réussi si nous avions pu ancrer une école économique plus en harmonie avec nos traditions historiques. L'économie est le fait des libéraux. On peut tourner le problème comme on veut, on finit toujours par en revenir là : ils sont les meilleurs. De Gaulle ne s'y était d'ailleurs pas trompé en faisant confiance au tandem Pinay-Rueff en 1959. Mais une fois que l'on a dit cela, on n'a pas tout dit, car il existe plusieurs écoles libérales, et l'école française, ensommeillée depuis deux cents ans, nous ferait probablement donner de meilleurs résultats si nous avions l'intelligence d'en teinter désormais nos politiques publiques (en n'omettant pas que Barre, en neutralisant la monnaie comme instrument conjoncturel, et donc en voulant l'Euro, avait certainement raison, n'oublions pas le succès du Franc Germinal).

Enfin, il faut le reconnaître, notre classe dirigeante penchait spontanément vers ce que Peyrelevade a désigné d'un mot cinglant qui, selon lui, décrit le point commun des partis de gauche d'aujourd'hui : le laxisme.


S'il faut retenir au fond quelques traits de cette politique économique des années 1980, qui, apparemment (suivons le témoignage de l'acteur de premier plan Peyrelevade), nous permettait de rester au contact des Allemands, gardons l'idée des politiques de filières, de la vision à long terme, l'intention historique vertueuse. Ajoutons-y le goût de la liberté, la dynamique du biotope, un réenracinement doctrinal dans des actions qui collent au plus près à notre inconscient collectif, et il ne fait aucun doute que notre agenda 2020 sera tenu.

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