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27/02/2012

Un référendum pour un vrai changement

J'ai été très frappé, en suivant François Bayrou hier au Salon de l'Agriculture, d'entendre les récriminations des journalistes de BFMTV. Il faut dire que la masse des caméras, des micros et des appareils photo qui suivaient Bayrou formait une sorte de mole compact, comme on dit au rugby, de la taille et de la brutalité d'un char d'assaut. J'ai moi-même sauvé une pauvre petite vieille dame de se faire écraser par le passage de ce troupeau aveugle (les journalistes et autres perchmen avancent forcément en crabe ou à reculon sans pouvoir regarder où ils marchent) qui faisait une embardée. Outre Bayrou, les jeunes de son équipe, des parlementaires comme Robert Rochefort ou Marielle de Sarnez, des maires ayant donné leur signature, des agents de sécurité de l'organisation du Salon, bref, une centaine de personnes se déplaçait en grappe compacte, surmontée d'une forêt de perches tendant des dizaines de micros au-dessus du candidat à l'élection présidentielle. C'était à la fois le signe encourageant qu'il avait marqué des points la veille et le symbole un peu effrayant de la société médiatique qui, par moments, rappelle qu'en 1789, l'un des événements déclencheurs de la révolution fut une chasse poursuivie dans les faubourgs mêmes de Paris par un frère de Louis XVI, où des passants furent ainsi bousculés et molestés avec la plus parfaite et la plus aveugle indifférence, au nom de la différence entre les choses de réelle importance et la condition inintéressante des manants. Deux fois plus de journalistes que prévu, et crac, on ne retient plus rien.

Le reproche de ce journaliste était simple : avec Sarkozy, on sait où l'on va, tandis qu'avec Bayrou, il va à droite, à gauche, on s'y perd. Et tout est là. Car la masse aveugle des journalistes continue à suivre Sarkozy qui ne peut plus aller nulle part, tandis que le candidat Bayrou, lui, avance sans s'enfermer dans les allées battues et rebattues du monde coupé en deux, hémiplégique, de la droite et de la gauche, fausse opposition d'ailleurs. Il va, il a un chemin, mais ce chemin dérange les prévisions des chiens de garde d'un ordre établi.

Contre cet ordre établi, le référendum voulu par le candidat Bayrou lance un bélier d'une puissance formidable : indépendance de la presse à l'encontre des groupes industriels et financiers, indépendance de la justice sous l'autorité d'un garde des sceaux détaché de la solidarité et de l'autorité gouvernementale, réduction du nombre des parlementaires et introduction d'une dose suffisante de proportionnelle, il y a presque les lignes fortes d'une sixième république, c'est en tout cas l'indice d'une étape fondamentale dans l'histoire de la cinquième.

Prenons les sujets un par un.

Indépendance de la presse. Il est paradoxal que ce soit un journaliste du groupe d'Alain Weill qui se plaigne de Bayrou, puisque ce groupe est déjà indépendant. Peut-être carint-il de perdre sa spécificité. Toujours est-il que, une fois posé ce principe d'indépendance par le référendum, il appartiendra à une loi solennelle d'interdire l'appropriation d'un moyen de presse par une entreprise vivant des commandes de l'État. Principe simple, opérationnel, salutaire, qui interrompra définitivement la dérive qui emporte le monde médiatique depuis une vingtaine d'années, et ce n'est pas une coïncidence si toutes les courbes les plus négatives de notre économie nationale commencent également à cette échéance d'une vingtaine d'années en arrière : un monde où la presse ne joue plus son rôle est un monde éteint, mort, déchéant.

Indépendance de la justice. Le président de l'USM ajoutait samedi à l'indépendance hiérarchique du garde des sceaux l'idée d'une refonte du conseil supérieur de la magistrature à rebours de celle qui a été faite par l'autorité constituante sous la présidence Sarkozy. Je pense qu'il a raison et que pour garantir pleinement l'indépendance du parquet, la double réforme serait bienvenue, on voit que le législateur constitutionnel sera une fois de plus mis à contribution après que le référendum aura tracé le chemin.

Réduction du nombre des parlementaires. Jusqu'en 1986, la France comptait 477 députés. Mais François Mitterrand, prévoyant la défaite de son camp aux législatives de mars 1986, imagina d'augmenter le nombre des députés et d'instaurer la proportionnelle intégrale dans le cadre départemental. De cette façon, il sauvait beaucoup de ses amis et, si le PS ne pouvait éviter le naufrage, les députés PS se mettaient, eux, à l'abri de ce naufrage. Ainsi le nombre des députés passa-t-il de 477 à 577. Je ne vois aucun inconvénient à ramener ce nombre à 400 tout rond. De surcroît, faire élire 300 députés au scrutin majoritaire représente environ la moitié de 577, donc on divise le nombre de circonscriptions par deux, ce qui est simple aussi.

Quant à la centaine de députés élus à la proportionnelle, je suis personnellement favorable à ce qu'y soit reversé le contingent des députés des Français de l'étranger. Ces derniers voteraient donc uniquement pour le quota de députés élus à la proportionnelle, je crois qu'on voit la logique de ce système. Enfin, à partir du moment où un parti aura obtenu 5% des voix (et donc au moins 5 sièges), il faudra qu'il puisse disposer d'un groupe à l'Assemblée Nationale. De cette façon, le travail parlementaire sera revalorisé.

L'exemplarité

Mais tout ceci ne sera rien si les pratiques des politiques ne changent pas. L'utilité du référendum, de ce point de vue, sera de permettre l'émergence d'une génération politique nouvelle, 300 députés au moins, qui se présenteront sous l'étiquette de la majorité nouvelle. Le référendum ayant lieu le même jour que le premier tour des législatives permettra d'asseoir les candidatures souvent surprenantes de personnalités entièrement nouvelles. On se rappelle qu'en 1958 ou en 1981, lors des grandes embardées politiques, des quantités de personnes inexpérimentées furent élues. Il faut se rappeler l'allure un peu étrange de la génération des députés de 1981 pour comprendre ce que va signifier l'apparition de la majorité bayrouiste. Un appel d'air, un souffle neuf, appuyé sur l'autorité d'un président enraciné profondément dans son lien avec le peuple.

Ensuite, il faudra nettoyer au kärcher, non pas les banlieues qui ne demandent pas grand chose d'autre qu'un peu de respect, de considération, de travail et de liberté, mais un certain nombre de tissus politiques locaux vermoulus, de droite comme de gauche. On pense par exemple à deux départements tenus par la gauche : le Pas-de-Calais et les Bouches-du-Rhône, et à un département verrouillé par la droite de la droite : les Hauts-de-Seine. Partout où le travail patient et ardent de la justice aura révélé des systèmes mafieux, il faudra que les punitions soient implacables et exemplaires.

Exemplaire doit être aussi le comportement des députés nouveaux et immédiates les sanctions de comportements inadéquats. Si nous voulons que notre pays redémarre, il importe que l'exemple vienne d'en haut. Si chacun sait que ses gouvernants sont irréprochables, il a envie de le devenir aussi. La vertu se transmet par capillarité et de haut en bas.

Et quand je dis de haut en bas, cela ne signifie pas qu'il faille croire qu'on en profitera pour rétablir une société hiérarchique qui ne prendrait pas, car comme le faisait justement remarquer Anne-Marie Idrac samedi, le top down c'est fini, le bottom up c'est fini aussi, on est dans une configuration sociétale nouvelle d'imbrication de corps intermédiaires indispensables et d'intervention directe de chacun à tous les stades des décisions grâce aux nouveaux moyens de commnication et d'information. L'élaboration des décisions doit emprunter des chemins inédits.

C'est ainsi que notre société, immobilisée et sclérosée depuis quinze à vingt ans, se remettra à vivre, sortira de son coma, et redeviendra, dans une Europe en construction, une France en mouvement.

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Commentaires

Beaucoup de bon sens, mais une chose continue de me gêner. François Bayrou considère comme d'autres qu'il peut rédiger ou faire rédiger une modification de la Constitution, puis la soumettre au Peuple pour espérer son approbation.

Or, selon moi, le Peuple ne devrait pas avoir comme seul rôle de voter pour ou contre. Le seul "législateur constitutionnel", c'est le Peuple, qui devrait participer à la rédaction, pas seulement au vote.

Car ceux qui appliqueront les règles ne devraient pas être ceux qui les écrivent. On argüera que c'est compliqué à organiser, mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire.

Ainsi donc, de ce point de vue là, Bayrou ne se distingue guère de ses compétiteurs. Dommage.

Écrit par : Jeff Renault | 27/02/2012

@ jeff

Rien n'interdit que le référendum porte sur l'ouverture d'une procédure de consultation populaire ouverte pour atteindre les buts en question. Bayrou a expliqué que le texte du référendum doit être succinct, ce qui signifie que ce texte ne règle pas les détails, il fixe le cap. Ton observation est donc notée, elle est assez juste, une procédure à l'Islandaise pourrait être envisagée (avec la nuance que la population de l'Islande est de 320000 habitants, soit deux arrondissements de Paris ou 0,5% de la population française, ce qui suppose des effets d'échelle et de représentativité complexes) au moins pour une partie, de façon expérimentale, pour voir comment ça fonctionne dans un pays aussi peuplé que la France. Donc pour des aspects comme l'indépendance du parquet, on pourrait aller vite, et sur d'autres, on pourrait ouvrir le débat. C'est une idée recevable.

Écrit par : Hervé Torchet | 27/02/2012

"Si chacun sait que ses gouvernants sont irréprochables, il a envie de le devenir aussi. La vertu se transmet par capillarité et de haut en bas."

D'accord avec toi mais à condition que pour ces gouvernants arrivés en "haut" de la pyramide et qui seront présentés comme "exemplaires", chacun puisse le vérifier.
François Bayrou par exemple revendique ses origines provinciales et son appartenance à la ruralité. Il est toujours exploitant. Il n'a jamais eu la moindre affaire à se reprocher. Il n'appartient à aucun réseau : il est donc réellement indépendant et fiable. Depuis le temps, qu'il est dans la sphère politique, tout le monde sait qu'il dit vrai.

Eh bien, puisqu'il a raison de le dire pour lui, il faudrait que les électeurs puissent le contrôler aussi pour son futur gouvernement avant* le vote... Et voilà pourquoi je reste persuadée que François Bayrou devrait déjà présenter son gouvernement avant le premier tour. Ce n'est pas anticonstitutionnel et ce serait pourtant une attitude révolutionnaire ! Un gouvernement présenté avant le premier tour et le même avant le second tour (ou remanié selon l'adversaire en face mais surtout selon l'accord passé entre ceux de la première liste). Voilà ce que moi je ferais en tout cas. Comme une élection locale !

*Il y a aussi un autre intérêt. Dans un passé tout récent, on a pu constater au MoDem -et avant à l'UDF- des trahisons de certains, se disant pourtant loyaux, partis chercher un strapontin chez le gagnant. Ou s'étant fait élire à un poste juste avant de partir (et sans remercier en plus, voire même en mordant la main nourricière...).
Etant annoncés clairement, plus personne parmi les membres de l'équipe ne pourrait jouer "à nouveau" double-jeu : pour un tel enjeu, il ne faudrait surtout pas reproduire les mêmes erreurs !

Je ne sais pas ce que tu en penses mais ce serait déjà un moyen pour François Bayrou de montrer sa détermination à transformer les pratiques. Cette transparence serait ici une magistrale démonstration de la moralisation qu'il veut définitivement installer.

Écrit par : Françoise Boulanger | 04/03/2012

@ Françoise

Bayrou a brossé un portrait assez précis de son premier ministre, en tout cas, ce qui va dans le sens que tu dis.

Écrit par : Hervé Torchet | 04/03/2012

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