16/03/2012
En hommage à Pierre Schoendoerffer
Les lecteurs de mon blog s'attendent-ils à ce que je rendre hommage au grand cinéaste et écrivain Pierre Schoendoerffer, mort jeudi matin ? Voici pourquoi ils le doivent.
D'abord, n'en déplaise à ceux qui, comme Christophe Honoré, ont jugé bon, paraît-il, d'attaquer le cinéaste alors que sa dépouille n'était pas encore froide, Schoendoerffer a écrit et réalisé le plus grand film de guerre français du XXe siècle, et je crois encore inégalé jusqu'ici, joignant le témoignage direct à la méditation humaniste : "La 317e section" est un film rare, tourné sans budget mais avec des comédiens accrochés à la vérité de leurs personnages qui, comme Bruno Cremer et Jacques Perrin, y ont trouvé un véritable chemin personnel. Je mentionne ce film, mais le "Crabe Tambour", livre et film récompensés, aurait suffi à la gloire de n'importe qui, c'est un second choix qui vaut parmi les meilleurs premiers.
Ensuite, parce que Pierre Schoendoerffer faisait partie de ma famille proche, sa femme (maintenant sa veuve) est la sœur de ma mère, et en pensant à eux, la foule des souvenirs d'enfance se presse dans ma tête, chez mes grands-parents en Bretagne, ou plus tard les courses sur la plage de Combrit à l'aube en groupe suivies d'un petit-déjeuner roboratif. Ma mère tapant les romans de son beau-frère à la machine et y joignant ses commentaires de première lectrice. Plus tard encore les déjeuners chez ma grand-mère à Paris, chaque jour, pendant des mois, pendant qu'il écrivait "Là-haut", moi entre une matinée et une après-midi de lycée, ma grand-mère vissée au journal de Mourousi, lui commentant les info d'un ton ironique et allègre, toujours agacé par la bêtise, mais ne proférant jamais aucun jugement autre que méditatif ou métaphysique sur les actions des politiques, sur le fil de l'actualité et sur les terribles violences qui n'ont jamais cessé d'ensanglanter le monde.
Bien sûr, il y a des gens qui vont trouver des motifs de lui en vouloir, de juger ses œuvres et d'y trouver les germes de ceci ou de cela, trouver qu'il a défendu le colonialisme, trouver qu'il a défendu des putschistes, trouver que si Le Pen adore (paraît-il) ses films, il doit bien y avoir une raison pernicieuse, que si Gérard Longuet préside les obsèques, il doit bien y avoir une vilaine anguille sous roche. Tous ces gens-là sans doute ont raison quand ils sont de bonne foi, oubliant d'ailleurs au passage que Pierre fut aussi l'ami de Kessel, puis décoré par Mitterrand aussi bien que par Chirac, mais je crois sincèrement que désormais le travail de la postérité, qui commence, révélera que les quelques romans et les quelques films qu'il a écrits et réalisés sont et resteront à l'image de l'homme que j'ai connu : emplis d'une interrogation sur l'immensité du monde, sur la fragilité de l'homme, sur le poids du destin et sur le message biblique (en bon protestant alsacien qu'il n'avait jamais cessé d'être, lui qui vantait les homélies des recteurs catholiques bretons), et aussi sur l'espoir finalement déçu et inconsolable de l'impossible aventure humaine.
C'est à cela (et à cela seulement) que je pense, au lendemain de sa mort et quelques jours avant ses obsèques qui seront, je l'espère, une occasion de paix et de méditation, le tout dernier hommage rendu à l'homme connu et le premier à celui que la postérité s'apprête à révéler.
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Commentaires
Tu rends ici un très bel hommage à un homme qui semblait avoir une sacrée personnalité. Je comprends qu'un tel oncle t'ait donné l'envie de nous faire partager tes souvenirs. D'ailleurs, ne t'aurait-il pas transmis de sa sensibilité et de son talent ?!
Écrit par : Françoise Boulanger | 17/03/2012
je le connaissais surtout de nom, et savais l'admiration que beaucoup avaient pour lui, ton témoignage me donne envie de me pencher un peu plus sur son oeuvre. Merci. Mes pensées, en ces jours de recueillement et de tristesse, vont vers vous : sa famille.
Écrit par : luciamel | 18/03/2012
Je me souviens très bien du "Crabe Tambour" vu au ciné-club de mon lycée.
Et j'ai été plus scotché encore par "la 317ème section", vue à la télé du mess des sous-officiers pendant que je faisais mon service : c'était comme si notre "jeu de rôles" de petits soldats du temps de paix était projeté, avec ses uniformes et accessoires, dans la crise et la peur.
Toutes mes condoléances.
Écrit par : FrédéricLN | 21/03/2012
@ FLN
Merci de ton témoignage et heureux d'avoir pu bavarder qq instants ce soir.
Écrit par : Hervé Torchet | 21/03/2012
Merci pour avoir salue comme il le doit Pierre Schoendoerffer, ce grand Monsieur. Il y aura toujours les facheux, les oublieux, les chafouins et ceux qui lavent plus blanc...
Je n’oublie pas son intense attachement a décrire la complexite, a l'oppose des caricatures du militaire Ramboesque, de l'engagement de l'homme ( l'humain) sous l 'uniforme, sous le poids du devoir d’obéissance aux décisions politiques qq fois ineptes, irresponsables, voire criminelles...
Si des gens comme Le Pen ou Longuet veulent y voir un chantre de leurs thèses, c'est que leur dogmatisme nauséabond les aveugle.
Je n'oublie pas non plus ce Breton de coeur, present, engage, et que n’oublieront pas entre autres, les défenseurs de la nature et plus particulièrement ceux des rives de l 'Odet.
Écrit par : Guy-Christopher Coppel | 26/03/2012
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