19/04/2012
Bayrou et sa troisième
La première campagne présidentielle dont j'ai été le témoin était celle de 1981. Je penchais pour Giscard d'Estaing, j'aimais son style gestionnaire et sobre. J'entendais cependant murmurer, dans la cour du lycée Janson, à Paris, où je me trouvais en classe de première, toutes sortes de ragots peu flatteurs sur lui, sur sa façon d'être surtout, mais cela ne me troublait pas et la plupart était évidemment faux. Dès mai 1981, j'ai su que Jacques Chirac avait mené un double jeu, indiquant officiellement qu'il voterait pour VGE au second tour, cependant qu'il faisait passer une circulaire où il donnait consigne officieuse de faire battre VGE. Le jour du second tour, j'accompagnai mon père qui votait dans le XIVe arrondissement de Paris et qui, lui, votait Mitterrand en sifflotant.
Pour la présidentielle suivante, j'ai joué un rôle actif de la pré-campagne. J'appelais de mes vœux (comme on dit) la candidature de Raymond Barre, et je fus assez heureux pour être la cheville ouvrière (sous l'autorité amicale d'Éric Azière qui s'occupe d'investitures pour Bayrou aujourd'hui et de Bernard Sananès qui dirige un institut de sondages chez Bolloré) de l'Université d'Été où, à Hourtin, en Gironde, Raymond Barre déclara sa candidature, début septembre 1987. J'ai conservé le verbatim de la conversation que nous eûmes à huis clos, Barre et nous, le bureau national des JDS (les jeunes associés au CDS, notre parti-mère). Barre nous parla de la vie de premier ministre, commenta divers événements, promit aussi de revenir à l'Université d'Été suivante "quoi qu'il arrive" (promesse qu'il tint), expliqua diverses positions, et la conversation se fit intense lorsqu'il évoqua d'abord les suites du scrutin ("je ferai une majorité nouvelle", ce qui montrait qu'il dissoudrait l'Assemblée en cas de victoire, et "cette majorité s'exprimera à tous les niveaux", ce qui signifiait qu'il comptait remodeler le paysage partisan en profondeur et présenter des candidats aux municipales suivantes par exemple). Il précisa enfin que son objectif principal était de mettre fin à "la mise en coupe réglée de l'État", dont il dit explicitement qu'elle était "pire" avec le RPR qu'avec le PS, ce qui pouvait valoir consigne officieuse de second tour en cas d'échec au premier. Un mois plus tard, je partais pour le service militaire, mes classes à Cambrai, puis le détachement de la base aérienne de Creil et enfin l'état-major de l'armée de l'Air, à Balard, dans le XVe arrondissement de Paris où, attaché à la bibliothèque juridique de la direction du personnel militaire de l'Armée de l'Air (DPMAA), je rédigeais des notes pour le général commandant cette DPMAA. Ma participation à la campagne s'en trouvait forcément affaiblie, je me trouvais bloqué sur base d'octobre à février et ne pus atteindre Balard que courant février, alors que la cote de Raymond Barre, au plus haut avant mon départ, plongeait dangereusement. J'ai fait quelques collages d'affiches, j'ai participé officieusement à des réunions, mais mon statut d'appelé du contingent m'interdisait en principe d'en faire trop. Finalement, Barre ne passa pas le premier tour, appela officiellement à voter pour Chirac au second, mais une bonne partie de ses électeurs se reporta sur Mitterrand, qui fut réélu.
En 1995, l'UDF n'avait pas de candidat. Les partis qui la composaient se montraient divisés : les deux principaux soutenaient Balladur (qu'escortait la silhouette patibulaire de Pasqua), mais la vieille garde, VGE, Barre et Monory, penchait pour Chirac. Je fis campagne pour ce dernier, suivant logiquement mon engagement aux côtés de Claude Goasguen commencé lors de la campagne interne pour la présidence du CDS où nous avions soutenu Bayrou à l'automne 1994. De décembre 1994 à mai 1995, je fus donc vissé au bitume du XVIe arrondissement, à distribuer des tracts. Une station de métro le matin vers 8 heures, un marché de dix heures à midi, une autre station de métro de six à sept le soir. Le week-end, pas de métro le matin, mais quatre heures de marché d'affilée. Ce sont les six mois les plus fatigants de mon existence. Nous avons démarré avec un Chirac à 12% et avons terminé avec le même Chirac à l"Élysée. Cette expérience très intense du terrain, pour épuisante qu'elle ait été, m'a donné le goût du tractage, que je fais chaque fois maintenant avec le même plaisir.
Il en fallait, d'ailleurs, pour la campagne suivante, en 2002, car la candidature de Bayrou avait du mal à accrocher dans le XVIe arrondissement où la droite dure était devenue reine. Je fis cette campagne avec désinvolture, ayant eu du mal à me réintéresser à la politique après mes six années de mandat municipal terminées en 2001. Je me trouvais en quelque sorte en état de sevrage. Le score de Bayrou fut décevant, cette fois-là, mais au fond, il me semblait que cette modestie de son entrée dans le cercle présidentiel lui donnait plus de liberté. Elle lui ôta en tout cas la majeure partie de ses élus.
En 2007, la campagne devint assez vite folle. Je la fis sur internet surtout. Là, les foules sentimenrales des bobos et des énervés s'étaient emparées de la candidature de Bayrou d'une façon phénoménale et quasi-tourbillonnaire. Nous en devenions un peu fous. On disait qu'il y avait soudain du gourou dans Bayrou, et je retrouve cette dévotion excessive des foules dans la façon dont les mêmes bobos et énervés, portés cette fois-ci sur Mélenchon, s'adressaient à celui-ci voici quelques jours encore. C'est profondément malsain et je comprends que les anciens UDF aient pu être effrayés par le tour pris par les choses en 2007. Soit dit en passant, les mélechonnistes d'aujourd'hui doivent être conscients que si leur idole est cul-et-chemise avec le sulfureux Patrick Buisson, cela ne peut pas être bon signe. Bref, nous avons vécu une campagne homérique, portée essentiellement sur les sujets sociétaux, passionnelle, qui a abouti à un véritable raz-de-marée de participation électorale, et dont nous gardons mille souvenirs émouvants.
Et voici cette étrange campagne 2012. Un Sarkozy grillé d'avance, qui a fait campagne à la droite de la droite de sa droite, un Hollande qui a géré l'avance que lui donnaient les sondages, une Le Pen mêlant stratégies sulfureuses et fautes de néophyte, un Mélenchon tonitruant parvenant à faire oublier que ses pères spirituels sont coupables d'au moins autant de massacres politiques qu'Adolf Hitler. Et puis, notre Bayrou, rescapé des scores terribles obtenus par le MoDem aux élections locales, et menant une campagne sérieuse, concentrée. Depuis début mars, je n'ai plus suivi grand chose de cette campagne, m'étant voué à la remobilisation des sympathisants autour de notre candidat. Depuis ce temps, à l'exception de trois jours consacrés à un deuil familial, du dimanche de Pâques et du jour du meeting de Rennes où je suis allé, j'a passé huit heures par jour à téléphoner au vaste fichier de ceux qui, à un moment ou un autre, depuis 2007, ont signalé leur sympathie à Bayrou.
Je crois que j'ai passé près de dix mille coups de fil. Plus de sept mille fois, j'ai simplement laissé un message sur un répondeur. Le reste du temps, j'ai parlé avec des gens qui, pour leur écrasante majorité, continuaient à soutenir la candidature de Bayrou depuis 2007, des gens de partout : Île de France, Languedoc-Roussillon, Franche-Comté, Bourgogne, Normandie, Bretagne, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais. Le taux d'efficacité de ce fichier, je puis l'affirmer car celles et ceux qui téléphonaient avec moi l'ont constaté comme moi, était supérieur à 75 %. Autrement dit, comme l'écrasante masse des noms de ce fichier provenait de la campagne de 2007, plus de 75 % des soutiens anonymes de Bayrou continuaient à suivre son chemin. Bien sûr, il y en avait qui s'étaient éloignés, mais la plupart lui revenaient de gaieté de cœur. La surprise entendue parfois chez des gens qui secrètement se portaient de nouveau sur Bayrou et qui ne s'attendaient pas à ce que, chez Bayrou, on le sût, car depuis cinq ans, on ne leur avait pas fait signe, restera un des grands moments de fraîche et franche joie politique auxquels il m'a été donné d'assister.
Et cette campagne restera la plus athlétique que j'aie eu à faire depuis 1995 : j'ai perdu trois kilos !
Maintenant, j'ai fait ce que j'ai pu, c'est aux électeurs de décider si Bayrou est au second tour, et donc s'il gagne, ce que je souhaite.
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Commentaires
Eh bien bravo pour l'énergie que tu auras déployée, en tout cas !
Écrit par : l'hérétique | 19/04/2012
Chapeau. You did the right thing.
La campagne de 2007 pouvait en effet faire peur aux anciens UDF, mais pas tant que ça. C'est l'après-présidentielle qui leur a fait peur.
Personne ou presque n'aurait quitté l'UDF-MoDem si Nicolas Sarkozy n'avait pas eu l'idée géniale du parti dissident PSLE puis NC. Car pour certaines choses, il a du génie.
Après quoi le parti a pédalé dans la semoule, avec une énergie militante sans débouché dans l'action et sans "feed-back" de la réalité sociale et politique, ce qui était une centrifugeuse.
François Bayrou a bien fait, je crois, de se présenter pour cette nouvelle campagne en rassembleur et partisan de l'union nationale. Il en avait la capacité, la hauteur de vue, il a été reconnu et apprécié pour ce rôle. Si cela ne suffit pas dimanche prochain, ce sera bien dommage.
Écrit par : FrédéricLN | 19/04/2012
@ FLN
La campagne que tu orchestrais surinternet était parfaite et n'effrayait personne, mais elle a attiré des gens dont l'attitude et la culture personnelle tranchaient avec les habitudes maison, je ne te critique pas un instant, je remémore ce qui s'est passé et je tente de l'analyser. Sur l'inefficacité de la structure MoDem, tu résumes la situation et ce sera le chantier suivant. J'espère que tu y seras consulté au moins.
Écrit par : Hervé Torchet | 19/04/2012
@FLN,
Je pense que vous avez volontairement omis certains autres épisodes postérieurs à l'époque que nous connaissons, cela me parait sage , sur ce blog. ;)
Écrit par : Martine | 19/04/2012
@ Hervé : tu es parfaitement placé pour savoir que je n'orchestrais rien du tout, mais j'avais eu la possibilité de lancer quelques maracas dans le public qui s'en était saisi, et ça sonnait bien. Pour le reste, il faut cultiver notre jardin.
@ Martine : sans doute ne prétends-je pas avoir raconté 5 ans en 5 lignes ; je ne prétends pas non plus deviner à quoi vous faites allusion, mais si ce sont des choses dont j'ai eu connaissance, elles sont certainement sur http://demsf.free.fr/index.php?tag/MoDem ;-)
Écrit par : FrédéricLN | 20/04/2012
@ Fred,
Voui pour partie. ;)
Écrit par : Martine | 20/04/2012
Oui, bravo pour toute ton énergie ! Tu as eu la volonté d'utiliser toute l'expérience que tu avais acquise au fil des campagnes. C'est une richesse, un filon que toi seul pouvais exploiter et personnellement je te remercie de ta générosité.
Chacun, selon ses moyens, a essayé de donner de son temps et de sa méthode dans cette campagne. Nous n'avions tous qu'un seul objectif. Faire élire Bayrou... Sa troisième sera la bonne !
Écrit par : Françoise Boulanger | 20/04/2012
Hervé on t'adore.
Écrit par : FB | 20/04/2012
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