29/05/2012
La crise mondiale entre-t-elle dans une deuxième étape ?
Ces dernières années, la croissance mondiale a été portée par les BRIC et d'une manière générale les pays émergents. De plus en plus, la Chine a assis son développement sur son marché domestique mais elle reste tributaire des échanges avec l'Occident, comme d'ailleurs l'Inde. Or voici que ces deux immenses pays phares des BRIC, dont la vitalité semblait exemplaire et capable de pallier l'anémie de nos économies "anciennes", rencontrent des difficultés dont il est encore délicat de prédire l'ampleur. La Chine, d'abord, ralentit. Il lui faut 8,5% de croissance annuelle pour absorber son exode rural intérieur, et elle se trouve actuellement à 8%. Un peu tôt pour s'alarmer, mais étant donné l'absence de visibilité sur un retour de la croissance en Europe, on peut légitimement s'interroger sur l'avenir de la Chine. L'Inde, elle, connaît des signes différents d'essoufflement : sa monnaie perd de la valeur chaque jour, assez fort, et son déficit budgétaire s'envole. Que lui dit-on ? qu'elle doit ouvrir son économie et privatiser. Certes, tout cela est bien beau, mais ouvrir une économie à un monde qui s'effondre ne peut être considéré comme une promesse d'opulence.
Il se trouve que, en face de ce ralentissement des nouvelles économies, notre Europe passe pour l'homme malade de l'économie mondiale. On pourrait en tirer une forme d'orgueil : longtemps, les États-Unis firent résoudre leurs problèmes structurels par la communauté internationale parce qu'ils étaient les consommateurs de la production mondiale. Si leur marché ralentissait, toute l'économie mondiale, et européenne au premier chef, toussait. Aujourd'hui, ce pouvoir indirect, cette capacité de nuisance sur la conjoncture mondiale, s'est déplacée : c'est l'Europe qui entraîne tout le monde dans l'abîme.
C'est du moins ainsi qu'on nous le présente, car en fait, les choses sont tout autres.
Du côté des États-Unis, d'abord, il convient de signaler que le déficit budgétaire de l'État fédéral américain dépasse largement la croissance du pays, de plusieurs points, mettons cinq points pour faire un chiffre rond, et s'il était vrai que les USA continuaient à produire 20% du PIB mondial, ils grilleraient à eux seuls presque 5 points de ce PIB. En fait, c'est environ 4. 4% du PIB mondial sont détruits chaque année par l'État fédéral américain. Qu'on m'entende bien : il ne détruit pas du PIB en volume, mais en valeur. C'est 4% de la valeur ajoutée du PIB mondial que les États-Unis détruisent chaque année. À eux seuls, par leur déficit persistant, inarrêtable en apparence, ils dérèglent donc l'ensemble des principes de fonctionnement du marché mondial, et il ne faut chercher nulle part ailleurs de cause de la crise mondiale.
Oh bien sûr, l'Europe aussi détruit de la valeur, moins, mais trop aussi. Mettons que le différentiel de croissance et de déficit public de l'Europe coûte 3% de la valeur ajoutée mondiale chaque année, c'est déjà colossal, et c'est bien plus que l'économie mondiale ne peut en absorber. Car à plus de 7% de valeur ajoutée détruite, cependant que le PIB continue à croître en volume, c'est évidemment la valeur marginale de la production qui ne cesse de s'éroder. On ne cesse de produire plus de denrées qui ont de moins en moins de valeur en moyenne, puisque la valeur ajoutée mondiale est lourdement grevée.
Donc la correction de tous ces mécanismes économiques est ce que nous pouvons prévoir à la fois de plus inévitable et de plus terrible. Car la réadéquation de la production à la valeur (autrement dit le retour à un marché qui fonctionne correctement) ne peut que se traduire par un ajustement à la baisse de la valeur du volume produit. C'est probablement à cet ajustement que nous assistons et comme la distance est grande, la période d'ajustement s'annonce très longue. Cela s'appelle au mieux le marasme, au pire la dépression mondiale, dont on sait qu'elle a été synonyme dans le passé de tragédies politiques, de guerres, de génocides, au mieux de spoliations.
Je me réjouis que les dirigeants français actuels expriment avoir compris cet enjeu d'échelle historique. Ils en tirent la conclusion qu'ils devront tenir les équilibres budgétaires. Tant mieux. Tout ce qu'ils feront par ailleurs pour libérer les entreprises du carcan juridique et fiscal sera bienvenu pour permettre à notre économie de traverser au mieux la période de trouble qui s'ouvre. Ils doivent aussi travailler à rétablir notre balance extérieure, car seules les économies les plus solides et les plus stables parviendront sans dommage au terme de la période tourmentée. Disons tout de suite que les mécanismes européens seront une aide précieuse, qu'il est probablement imprudent de charcuter encore les équilibres politiques et insitutionnels de l'Union avant le retour d'une meilleur conjoncture, qui ne dépend pas, répérons-le, du bon vouloir de nos dirigeants politiques, mais à la fois d'un meilleur fonctionnement du marché mondialisé et de l'adaptation de notre socitété aux révolutions de la technologie et de l'information que nous connaissons.
Devons-nous trembler ? Peut-être. Nous avons en tout cas le devoir de dire non très tôt à tout ce qui peut mener au triomphe des idéologies meurtrières, racistes (voire racialistes), et c'est pourquoi je suis heureux que la ligne digne puisse triompher à l'UMP l'automne prochain, mettant fin aux dangereux errements récents. Nous aurons besoin de toutes les forces pour affronter la tempête qui menace. C'est d'ailleurs une raison supplémentaire pour moi d'espérer que François Bayrou conservera sonsiège de député à l'Assemblée Nationale, un enjeu dont on ne sait pas si les paramètres sont le travail de sape de certains réseaux de droite, l'égoïsme proverbial du Parti Socialiste (dont l'attitude est peu glorieuse dans les cas de Jean-Luc Mélenchon et de rené Dosière) ou quelque autre circonstance. Il est évident que l'éviction de Bayrou serait un séisme dont l'impact sur le second tour est impossible à prédire, et qu'il vaut donc mieux éviter. La raison est donc notre meilleure espérance.
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Commentaires
Voilà encore une analyse qui englobe beaucoup de choses à la fois!
Notamment un point pour compléter ton analyse: le caractère non soutenable (écologiquement) de certaines économies. Le fait, par exemple, que la croissance chinoise doive être aux alentours de 10% n'est pas soutenable et pas réalisable sur une longue période.
Par exemple, j'ai trouvé dans un document consacré à l'interaction entre la finance et la biodiversité, un chiffre qui m'a interrogé (c'est sur le diagramme, page 4) http://www.unepfi.org/fileadmin/documents/CEO_DemystifyingMateriality_fr.pdf
On nous dit qu'un des risques les plus importants est une perte de vitesse de la croissance chinoise. Et dans le même temps, on nous dit que ce risque est un des plus probables.
Je n'en tire aucune conclusion, et ça ne va pas m'empêcher de passer une bonne journée, mais tout de même...
Écrit par : Eric | 29/05/2012
@ Eric
Il est évident que les États-Unis consacrent des efforts considérables à l'encerclement et à l'affaiblissement du pouvoir chinois. Leur perception d'une chute économique éventuelle de ce grand pays est donc complexe. L'instabilité politique de Pékin ne leur déplairait pas, je crois, et de fait le régime chinois a beaucoup de progrès à faire dans les domaines politique et social, mais on a le droit de se demander si les Américains ne jouent pas avec le feu assis sur un baril de poudre.
Écrit par : Hervé Torchet | 29/05/2012
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