18/06/2012
Mon camp
Au soir de la défaite de François Bayrou dans la circonscription dont il était l'élu depuis un quart de siècle, je dois dire que plus que jamais, mon camp est le sien, j'entends par là que mon camp est celui de la vérité, celui de l'intégrité morale dont il a fait une preuve nouvelle. Peut-être Bayrou aurait-il dû renoncer plus tôt à cette circonscription, peut-être le renouvellement aurait-il dû le préoccuper plus et depuis plus longtemps. On peut gloser aussi sur la récente campagne présidentielle où il n'a pas donné l'impression de vouloir gagner, où il a semblé manquer de motivation, où il s'est immobilisé à partir de la mi-janvier. On peut critiquer aussi le manque de travail fait sur le réseau politique qu'est le Mouvement Démocrate depuis la création de ce parti, les critiques ne seront pas superflues, car il y a des progrès à faire. Mais il est indéniable que, du point de vue du Parti Socialiste, la prise de la circonscription de Bayrou est immorale. Et il ne fait aucun doute que les défauts de Bayrou ne peuvent estomper le courage qu'il a eu de s'opposer seul à un pouvoir sarkozyste dont les dérives ultradroitières étaient patentes et inquiétantes, alors que nombre de ses amis s'inclinaient devant ce pouvoir avec une souplesse peu sympathique dont quelques-uns trouvent aujourd'hui la triste récompense. Et enfin, qu'il a eu le courage d'aller au bout de sa logique politique en tendant la main au futur président Hollande, indisposant son électorat local contre lui-même. Cet ensemble d'apparence contradictoire forme un tout et dans le camp de ce tout-là, dans son camp au sens historique, je suis et serai forcément. La période économique troublée que nous abordons menace de se changer en dépression mondiale, les pires penchants politiques menacent de se réveiller et, selon la citation de Bidault maintes fois rappelée par Bayrou, quand il s'agit de dire non, le meilleur moment, c'est le premier. L'histoire rendra certainement hommage à Bayrou d'avoir dit non et gageons que l'histoire ne sera pas seule, et que les événements viendront vers lui.
Voyons maintenant ce que je pense du reste du paysage politique.
La droite sans âme
Désormais, la droite n'a plus de doctrine, plus de sociologie claire. Jadis, naguère, les campagnes, la paysannerie, les églises, les notables, la bourgeoisie, les commmerçants, l'armée, formaient les bataillons de ses électeurs, avec le Sénat pour temple. Mais ce que je viens de décrire est la vieille France, celle que remplace chaque jour un peu plus la France bobo, la France rurbaine, sans église, sans intérêt de classe, sans patriotisme autre que l'argent, une France rousseauiste, amnésique, perdue, futile et versatile, à laquelle les instruments doctrinaux hérités des décennies passées ne disent plus rien, au milieu de laquelle le patriotisme se défigure en racisme et l'égalité en communautarisme.
Il faudra donc à la droite un travail sur elle-même, un travail de fond, un travail philosophique et conceptuel pour s'adapter aux temps nouveaux. Il faudra aussi une clarification. Il ne fait aucun doute, par exemple, que notre pays a besoin d'un parti de centre droit. Cessons d'invoquer les mânes et le fantôme de l'UDF, ce parti a disparu avec une mauvaise image. Il faut faire autre chose. Là encore, le centre droit a besoin d'une réflexion doctrinale, et il a devant lui le redoutable défi de sa dispersion structurelle, de son éparpillement en plusieurs formations politiques : une partie de l'UMP, le Parti Radical (valoisien), le Nouveau Centre et l'Alliance Centriste. Le dépassement des chapelles et la construction d'une stratégie présidentielle sont la condition de son existence politique, avec ou sans candidat présidentiel, mais avec une stratégie empruntant des chemins clairs et libres. Ce travail-là va demander un effort étalé sur plusieurs années. L'élaboration de concepts capables de ravaler l'extrême droite à son rang de groupuscule est sa priorité, de façon à pouvoir éventuellement prendre la tête de l'ensemble des droites.
Le mythe de la croissance
Les majorités trop écrasantes sont celles qui mènent aux défaites les plus cuisantes, l'expérience le prouve. La gauche a devant elle un défi economique et social sans précédent depuis la Seconde Guerre Mondiale. Elle a menti pour se faire élire, préférant l'imposture qui gagne au risque de la vérité. Mais elle est désormais au pied du mur. Elle va devoir prouver maintenant comment elle peut faire à la fois tant de choses contradictoires entre elles.
Hélas, elle se focalise sur l'un des points faibles de son programme : la croissance. Sans croissance, pas question de tenir les fallacieuses promesses multipliées dans la campagne. Sans croissance ? se dit-elle, mais alors tout est simple : il n'y a qu'à faire de la croissance. Et snap, elle claque des doigts. Or hélas, on l'a assez répété, la croissance ne se décrète pas. Une croissance alimentée par la dépense publique ne vaut que si elle est supérieure à la dépense qui l'impulse, mais depuis trente ans, toutes les relances de court terme se sont soldées par une croissance inférieure à la dépense consentie, si bien que depuis trente ans, nous détruisons de la valeur au lieu d'en créer.
Nous ne sommes pas les seuls, il ne fait aucun doute que le modèle d'obsolescence programmée mis au point aux États-Unis est devenu profondément contre-productif, la croissance à tout prix cela ne marche pas. La croissance n'est saine que si elle naît d'elle-même, des conditions objectives de l'économie. Une croissance véritable serait aujourd'hui celle qui utliserait peu de matières premières et qui reposerait sur des innovations techonolgiques utiles. On en est loin.
Ce qu'il faudrait, la campagne de Bayrou l'a démontré, c'est améliorer la marge de nos entreprises et cravacher la recherche et développement tout en favorisant l'épanouissement d'un tissu d'entreprises équilibré et sain. Le tout, sans remettre en cause les protections sociales les plus importantes. De tout cela, le Parti Socialiste a désormais la responsabilité, même s'il semble encore lui manquer la conscience claire.
Et sans doute, le centre gauche devra prendre ses responsabilités dans les temps qui viennent.
Une page se tourne
Je souhaite bonne chance à François Bayrou et aux siens parmi lesquels je garde beaucoup d'amis. Ce blog va probablement entrer dans une phase d'alimentation plus rare. Mes activités personnelles et professionnelles vont sans doute m'absorber beaucoup, mais je viendrai de temps à autre m'y exprimer pour ceux qui auront la bonne idée de vouloir connaître mon opinion, je dois dire que je vais écrire sur le centre et sur le centre droit dont j'ai été militant pendant trente ans. J'ignore encore si cela sera sous une forme un peu officielle ou plus personnelle, dans le ton des portraits et souvenirs que j'ai parfois développés ici même. Cette affaire-là est à suivre.
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Commentaires
Merci pour l'élan et la hauteur, Hervé. C'est dur de vivre dans le sillage de cet homme-là, de ce centre qui peine, mais le reste du paysage politique est soit décevant d'inconséquence, soit vacillant, même dans sa démesure...
C'est toujours la voix étroite, il faut que l'étroitesse devienne enfin féconde !
Je voudrais toujours bien connaître ton opinion, qui l'est, elle, sans conteste.
Écrit par : mapie | 18/06/2012
Magnique billet. Merci à toi, Hervé, de décrire si finement ce que beaucoup d'entre nous ressentons. Puis-je m'approprier certaines de tes formules ?
"...plus que jamais, mon camp est le sien, j'entends par là que mon camp est celui de la vérité, celui de l'intégrité morale dont il a fait une preuve nouvelle."
"Et il ne fait aucun doute que les défauts de Bayrou ne peuvent estomper le courage qu'il a eu de s'opposer seul à un pouvoir sarkozyste dont les dérives ultradroitières étaient patentes et inquiétantes, alors que nombre de ses amis s'inclinaient devant ce pouvoir avec une souplesse peu sympathique..."
"Cet ensemble d'apparence contradictoire forme un tout et dans le camp de ce tout-là, dans son camp au sens historique, je suis et serai forcément."
C'est également mon choix. Comme l'a dit François Bayrou après les résultats, il s'agit d'exiger "une politique d'imagination et de courage". Comme toi, je serai de ce camp-là.
En tout cas, j'ai hâte de découvrir tes futurs écrits ! C'est à chaque lecture un ravissement renouvelé, un plaisir dont on ne se lasse pas.
Écrit par : Françoise Boulanger | 18/06/2012
Bien d'accord. Quel que soit le lieu, promouvoir une vision politique à la manière de Bayrou, c'est ce qu'on peut souhaiter de mieux. Pour ma part, c'est le seul leader de son envergure qui me laisse espérer en politique française.
Ce serait bien qu'à l'UMP certains s'émancipent pour promouvoir une politique courageuse, visionnaire, long-terme : NKM, Lemaire, etc. ? Et au centre aussi, il faut que de nouvelles voix s'affirment dans les médias, pour défendre les au moins 20% des Français qu'ils représentent.
Écrit par : ZigHug | 18/06/2012
Cher Hervé,
Une page se tourne, tu le soulignes. Ici, là ou ce dernier acte s'est passé entre quartiers chics de Pau et plaine de Nay, c'est la tristesse des partisans et l'esprit de vengeance des opposants, qui l'ont "eu".
Les idées ne s'arrètent pas, la Vérité finit toujours par avoir le dessus.
Bien à toi, en souvenir de nos années militantes communes.
Écrit par : François lui aussi béarnais | 19/06/2012
Salut à toi, François, l'autre Béarnais qui connais bien Paris et la POrte de Saint-Cloud. Oui, ayons confiance.
Écrit par : Hervé Torchet | 19/06/2012
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