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24/10/2012

Louis-Philippe, le roi "normal"

Lorsque Louis-Philippe devint roi des Français, en 1830, il décida de faire exactement le contraire de ce que son prédécesseur avait tenté : au lieu de rétablir donc la monarchie absolue, il irait au bout de la logique de 1792, il incarnerait une monarchie constitutionnelle et parlementaire, et même, il pousserait un peu plus loin encore avec une sorte de mélange de monarchie et de république. Ce mélange fut synthétisé par le vocable de "roi-citoyen".

En cela, il se montrait fidèle à l'esprit de son père, Philippe d'Orléans surnommé Philippe Égalité, qui avait plusieurs fois exprimé sa volonté de désacraliser la monarchie alors dirigée par son cousin Louis XVI, par exemple en faisant construire les "galeries du Palais Royal", un véritable temple de la consommation de l'époque, innovation scandaleuse pour le premier cousin du roi, appelé à lui succéder si ses fils et ses frères venaient à périr, ou à être renversés, ce qui finit par arriver, donc, à son dernier frère Charles X, un peu aidé par la foule des "Trois Glorieuses" de juillet 1830.

Le roi-citoyen Louis-Philippe Ier troqua son sceptre contre un parapluie. Il allait parfois à pied dans Paris et entendait débarrasser la cour de son empois et de son décorum. Il avait été le seul représentant de la famille ci-devant royale aux batailles de la jeune République de la fin 1792, Valmy et Jemmappes, puis s'était résigné à émigrer au Royaume-Uni et aux États-Unis, d'où il avait ramené un esprit incisif et très politique que l'on trouve dans ses Mémoires rédigés en 1801. Surtout, il en avait ramené cette idée du "roi-citoyen", que Lafayette l'aida à mettre en œuvre en 1830.

Outre le parapluie symbolique (forcément inventé lors du séjour à Londres, climat aidant), la monarchie de Louis-Philippe se caractérisa par son libéralisme, refus de la censure de la presse, ouverture de la science, progrès économique... C'est une époque que j'aime personnellement beaucoup, parce qu'elle s'exprime dans la plus grande génération littéraire que la France ait connue, la génération de 1830, Victor Hugo, Balzac, Alexandre Dumas, Lamartine, Vigny, Musset, et quelques autres, la génération romantique, aussi romantique que le régime nouveau se voulait prosaïque.

Le libéralisme du régime est incarné par un homme qui professe le "juste milieu", et qui dirige le gouvernement pendant près de la moitié du règne de Louis-Philippe. Le protestant François Guizot est célèbre pour une citation qu'on lui attribue et qu'en général on tronque : "Enrichissez-vous", qui serait en fait "Enrichissez-vous par le travail..." et par je ne sais plus quoi. J'ai eu un portrait de Guizot chez moi pendant des années, qui avait été peint sur le modèle par un de mes ancêtres peintre, ce n'était pas un marrant.

Il y avait cependant un péché de jeunesse dans ce régime dont les qualités de gouvernement restent manifestes avec le recul dont l'Histoire dispose. Ce péché, c'était le scrutin censitaire. Marqué jusqu'au bout par le système britannique, Louis-Philippe ne comprenait pas que l'aspiration du peuple à la démocratie dépassait de loin le stade parlementaire de 1792. Le roi-citoyen, son régime reposant sur le suffrage des riches, n'était que le roi-bourgeois, honni à la fois des aristocrates et des républicains, des premiers parce que bourgeois, des autres parce que roi. Sa bonne gestion et sa gouvernance prudentielle ne lui servaient à rien, puisque, privé d'expression, le peuple les ignorait. C'est ce qui fit que la durée du régime fut émaillée par des émeutes, Victor Hugo a raconté celles de 1832 dans "Les Misérables".

Il tomba finalement de lui-même, par peur, en 1848, et fut remplacé au bout de quatre ans par une autre tentative de créer une autre forme de monarchie non seulement constitutionnelle, mais quasi-républicaine, le Second Empire, un pouvoir plus fort, mais appuyé sur le suffrage universel masculin, une monarchie plébiscitaire, qui, malgré des succès économiques initiaux, finit par échouer aussi.

Lorsqu'avant la dernière présidentielle, j'entendais Daniel Cohn-Bendit dire que, pour lui, le président de la république devait être un citoyen comme les autres, et développer de ce fait une vision très scandinave de la fonction présidentielle, je pensais au roi-citoyen, au roi-bourgeois des années 1830, et lorsque François Hollande évoquait le concept de président "normal", je trouvais qu'il y avait de l'écho.

En son temps, Valéry Giscard d'Estaing, issu de la tradition libérale, avait tenté (assez maladroitement) de retrouver l'inspiration qui, au début du régime de 1830, avait rendu Louis-Philippe assez populaire dans l'opinion parisienne. Il avait renoncé à la voiture présidentielle pour parcourir les Champs-Élysée à pied, il s'invitait chez les gens, il recevait les éboueurs. Tout cela échoua, comme la tentative de Louis-Philippe. Finalement, il n'y eut que le régime d'assemblée de la IIIe république qui y parvint, avant la guerre de 1914, et cela dans le contexte particulier de l'Union Sacrée vers la revanche qui fut prise, enfin, en 1918.

Or finalement, on s'est aperçu que, dans l'esprit de Hollande, "normal" désignait avant tout ce qui pouvait, d'une manière décisive, l'opposer à son prédécesseur, de même que l'hyperactivité de Sarkozy fut dictée par sa volonté de trancher avec les défauts de la fin de règne de son prédécesseur. Cette similitude de tournure d'esprit des deux derniers présidents fait d'ailleurs beaucoup contre la cote de popularité de l'actuel, car elle installe le peuple dans l'idée qu'il n'est sensible qu'à son image, comme son prédécesseur, au lieu de se concentrer sur les effets de la gestion de l'État, sur les résultats. Ce qui manquait le plus à Sarkozy, c'étaient les résultats, et c'est sur ce point et sur ce point seulement, que doivent se concentrer les efforts du président pour se démarquer de son prédécesseur.

Pour aller au bout de la comparaison historique, il est assez curieux que les trombes d'eau qui tombaient sur Paris le jour de l'installation de Hollande aient fait que l'objet symbolique de son entrée en fonction était le même que pour Louis-Philippe : un parapluie. Or aujourd'hui comme en 1848, un parapluie ne suffit pas à transformer un régime inefficace en régime efficace, il est vrai que le président actuel, si son gouvernement tangue, a pu exprimer certaines de ses propres qualités pour corriger son image. Ce n'est pas quelqu'un que l'on prendra à ... ouvrir le parapluie.

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Commentaires

"Enrichissez-vous par le travail et... PAR L'EPARGNE".

Réponse trouvée ici : "un socialiste au pouvoir"
http://www.napoleontrois.fr/dotclear/index.php?post/2006/03/25/9-un-socialiste-au-pouvoir

Merci pour ce très beau billet. La comparaison est flagrante en effet.

Écrit par : Françoise Boulanger | 24/10/2012

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