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11/11/2012

Notre patrie, la langue française

Ecrire le 11 novembre ne peut se faire sans rappeler que voici presque cent ans, la France défendit son territoire contre la puissance allemande alors triomphante. La France assuma pendant cette guerre le commandement en chef des opérations militaires. Elle mena en particulier la plupart des batailles décisives du conflit : celle de la Marne, sauvetage in extremis rendu possible parce qu'alors, la moitié des taxis circulant dans le monde servaient à Paris, la percée de Franchet d'Esperey dans les Balkans qui empêcha l'Allemagne de profiter du retrait de la Russie du conflit en ouvrant un nouveau deuxième front à l'Est, et quelques autres bien connues.

Ce commandement victorieux donna à la France des responsabilités internationales que l'échec de 1940 révéla excessives pour un pays qui sortit exsangue et dévasté de plus de quatre ans de guerre sur son sol. Le bilan humain, rien que pour la France, est effarant : un million et demi de morts, cinq millions de mutilés, huit cent cinquante mille veuves de guerre et des centaines de milliers d'orphelins pupilles de la Nation. C'est ce sacrifice horrible qui fait que je suis hostile à la banalisation du 11 novembre en célébration de tous les morts pour la France.

Dans son film "La vie et rien d'autre", Bertrand Tavernier fait dire au personnage incarné par Philippe Noiret, à propos de la tombe du Soldat Inconnu, que ce sera bien commode, ce tombeau d'un seul soldat, pour éviter de penser aux immenses champs de croix des cimetières de la Somme, de l'Aisne, de Verdun et d'ailleurs. Ce soldat que l'on honorera deviendra l'arbre qui cache la forêt, en saluer un seul permettra d'escamoter les effroyables statistiques. Il me semble qu'il en va de même aujourd'hui avec cette idée d'égréner les soldats tombés sur nos actuels terrains opérationnels.

Cela étant, nous ne pouvons nous refermer sur ce que représente la patrie française et, au moment où il est tant question du "produit en France" et du diagnostic de notre perte de compétitivité, je crois qu'il faut déplacer notre champ de vision, bouger le curseur. Notre vraie patrie, celle qui fait ce que nous sommes, celle qui a fait ce que nous avons accompli d'une manière collective, c'est la langue française. Elle est un principe cosmique, la pierre d'angle à partir de laquelle nous reconstruisons le monde. Oui, il faut que nous en soyons conscients : si nous perdons du terrain, si nous reculons, c'est parce que nous avons perdu l'exigence de bien construire nos phrases.

Une belle phrase, bien construite, une syntaxe épanouie, une orthographe subtile et minutieuse, c'est la promesse d'un monde déjà meilleur. Et si nous sentons que dans notre pays, on a perdu l'exigence du produit, l'ambition de la forme, la recherche du contenu, c'est d'abord parce que nous n'espérons plus dans la construction de la phrase. Si nous voulons redevenir collectivement utiles à l'humanité, et productifs de chemins économiques, philosophiques, éthiques, culturels, nouveaux, la solution n'est pas dans le coût du travail, non plus que dans les fariboles qui nous sont vendues à prix d'or par des médias déboussolés. Elle se limite à ce simple chemin de retrouver la juste phrase.

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Commentaires

La syntaxe bien sûr, mais le lexique, pas moins :
"L'enracinement des mots plus bas que la sorte de réalité qu'ils balisent, leur libre respiration de cet au-delà que tout de même ils pressentent, leur mémoire de cette nuit où s'origine toute lumière, c'est donc une nécessité pour l'esprit. Que cet humus fasse défaut à la langue, et la société est en grand péril, la parole ne trouvant plus à la seule surface des vocables de quoi entreprendre ou même simplement concevoir la transgression des dogmes qui est sa tâche. Et voilà qui déjà explique beaucoup de l'expansion, tout un moment si rapide au pays de Goethe et de Hölderlin, d'une idéologie hostile comme aucune autre à l'exercice de la parole. Peut-être le déferlement sur la société allemande des aspects les plus extérieurs du rapport au monde en un temps, après 1918, de guerre absurde perdue, d'économie en crise profonde, de sciences exactes imposant leur vocabulaire aux sciences humaines, a-t-il joué une rôle néfaste." Yves Bonnefoy, Le Siècle où la parole a été victime, Mercure de France, 2010

Écrit par : Mapie | 11/11/2012

""Si nous voulons redevenir collectivement utiles à l'humanité, et productifs de chemins économiques, philosophiques, éthiques, culturels, nouveaux, la solution n'est pas dans le coût du travail, non plus que dans "les fariboles" qui nous sont vendues à prix d'or par des médias déboussolés.""

De belles phrases ciselées telles des objets d'art, mille fois oui !
Il y a un mot notamment que j'ai retrouvé à plusieurs reprises dans les écrits de mon grand-père, un mot délicieusement désuet : "calembredaines"...
J'espérais avoir l'occasion de l'employer un jour sans paraître trop affectée. Après les "galéjades" exploitée deux fois... voilà qui est fait !

Écrit par : Françoise Boulanger | 11/11/2012

"...une orthographe subtile et minutieuse, c'est la promesse d'un monde déjà meilleur."

Justement, l'orthographe minutieuse, je ne l'ai pas vraiment appliquée dans mon commentaire précédent... Pour un monde meilleur, je vais donc rétablir :
1. J'aurais dû écrire "ciselées tels des objets d'art" ou "ciselées telles des oeuvres d'art" !
2. Et puis surtout mettre au pluriel mes "galéjades exploitées"...

Écrit par : Françoise Boulanger | 14/11/2012

Goethe disait que "l'âme d'un peuple vit dans sa Langue"

Écrit par : Catherine Lemoine | 15/11/2012

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