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14/11/2012

Que se passe-t-il à Sciences Po Paris ?

L'Institut d'Etudes politiques (IEP) de Paris est l'une des institutions d'enseignement les plus prestigieuses de France. Il alimente traditionnellement les rangs de la haute fonction publique. Sa création en 1872 sous le nom d'école libre des sciences politiques a sans doute été à l'origine de l'efficacité de l'administration française avant la guerre de 1914-18. Mais comme toute institution, elle a fini par s'enfoncer dans la sclérose avec les administrations dont elle alimentait les cadres.

Le cloisonnement des administrations en baronnies indépendantes les unes des autres a été considéré par la plupart des observateurs de l'époque comme l'une des causes profondes de l'échec de 1940. Creuset commun aux différents grands corps de l'Etat, Sciences Po devait prendre sa part de responsabilité de cet échec.

Parmi les conclusions tirées par ceux qui, dans la clandestinité, réfléchissaient à l'après-guerre, figurait la création d'une nouvelle grande école unique d'où sortiraient les chefs des différentes administrations, l'Ecole Nationale d'Administration (ENA), formant un corps transversal capable de décloisonner les actions de l'Etat. Sciences Po, bientôt rebaptisé IEP, conserva un rôle éminent dans le prcsessus en se taillant régulièrement la part du lion parmi les élèves de l'ENA.

Longtemps, l'ENA donna satisfaction et joua son rôle. Les premières générations d'anciens élèves, animées par l'esprit des pionniers, ont fortement contribué à la modernisation de leurs corps administratifs dans les années 1950 et 1960. Mais avec le temps, l'esprit s'est dissous et trois défauts sont apparus.

Le premier est que l'ENA se comporte comme un réseau de pouvoir parmi d'autres dans la société française, un réseau de grande école concurrent de celui de l'école Polytechnique, puis de HEC, l'école de commerce la plus prestigieuse de France. Les énarques n'occupent plus les fonctions de direction des administrations auxquelles ils sont destinés, ils dirigent des entreprises, ce pourquoi ils n'ont pas été formés, et qui nuit à la fois aux entreprises et à l'Etat qu'ils désertent.

Le deuxième est une reproduction des élites dénoncée voici plus de vingt ans déjà par Bourdieu dans "la Noblesse d'Etat" (profitez-en, vous ne me verrez pas souvent citer Bourdieu). Les fils d'énarques succèdent à leurs pères, quand ce n'est pas à leurs pères ET mères, voire à leurs grands-pères et grands-mères. La mobilité sociale devient insuffisante, ce qui doit indiquer une sclérose en cours d'installation.

Le troisième est l'incapacité de notre administration à adopter des schémas de pensée nouveaux dans un monde qui, lui, change.

On a donc mis en cause le recrutement de Sciences Po, ouvert cette école aux banlieues pour recréer des mécanismes d'ascenseur social, avec un résultat qui, jusqu'ici, n'a fait l'objet d'aucune publication. Puis on a jeté à bas la clef-de-voûte de son style : la culture générale, supposée geler la mobilité sociale et favoriser la reproduction des élites. On a ainsi voulu casser le thermomètre sans réfléchir au mal.

L'histoire a pris un tour dramatique avec la mort subite et spectaculaire du directeur de l'IEP, Richard Descoings, aux Etats-Unis, une mort apparemment naturelle, mais dont les circonstances étonnantes ne sont pas toutes expliquées.

Il a donc fallu procéder au remplacement de Descoings et, à l'issue d'un vote dont les conditions ne sont pas connues du grand public, la solution de continuité a prévalu en la personne d'Hervé Crès, qui, nous dit-on, était le candidat des deux hommes forts de Sciences Po : Georges Pébereau et Jean-Claude Casanova, ce dernier ayant succédé voici peu d'années au regretté René Rémond comme président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.

Le politologue Dominique Reynié, qui a fait campagne pour la présidence en s'appuyant sur le thème de la culture générale (thème qui m'est par ailleurs cher), a participé à une Assemblée du personnel, que certaines sources présentent comme représentative, et qui a rejeté à l'unanimité la désignation de M. Crès.

Cet événement est sans précédent dans la vénérable maison de la rue Saint-Guillaume, temple de la bonne éducation à la française. Elle s'appuie sur des conclusions que l'on dit issues d'un rapport émis par la cour des Comptes, qui accablerait la gestion de Descoings à la tête de l'établissement et mettrait en cause MM. Pébereau et Casanova dans des conditions assez vilaines qui cadrent très mal avec ce que l'on sait de l'un comme de l'autre.

Je dois dire qu'il y a peut-être un effet de génération, ou un coup de billard politique, dans cette affaire. Alain Lancelot, alors directeur de Sciences Po, soutint la candidature de Raymond Barre à la présidentielle 1988, comme MM. Pébereau et Casanova. M. Reynié, lui, est l'employé d'un établissement de réflexion politique dirigé par Nicolas Bazire, ancien proche de MM. Balladur et Sarkozy, dont le nom est cité régulièrement dans l'affaire Karachi.

D'où je suis, je ne me prononcerai pas sur le fond, n'ayant pas envie de consacrer un long moment à cette affaire, mais on ne peut que souhaiter que la lumière soit faite. Je ne doute pas que MM. Pébereau et Casanova seront blanchis, mais j'espère que la gestion de Sciences Po sera améliorée et son esprit en effet modernisé pour s'adapter au monde nouveau.

Modernisé ne signifie pas que l'on doive y supprimer la culture générale. Au contraire, elle doit être renforcée et approfondie, et sans doute modernisée dans sa méthode, pour éviter la sclérose des schémas trop connus. Il faut la refonder. Peut-être est-ce d'ailleurs ce qu'il faut faire aussi à Sciences Po même, une refondation.

La culture générale est le seul véhicule tous terrains de l'intelligence. Or un véhicule intellectuel ordinaire n'aurait pas imaginé les taxis de la Marne en 1914. Ce qu'il nous faut, c'est du tous terrains.

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Commentaires

Le titre de ce billet ne peut que me plaire Hervé, vous préchez là une convaincue , vous le savez^^^.
Repasserai plus tard, pour lire le reste du billet à tete reposée.

Écrit par : Martine | 20/11/2012

Mon com s'appliquait à votre dernier billet à savoir: la culture rempart contre la barbarie.
Aucune fausse manip de ma part.
Ne comprends pas trop comment il a pu atterrir ici, c'est "zarbi" ...

Écrit par : Martine | 20/11/2012

Les commentaires sont fermés.