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15/01/2013

Les forces et failles du projet de loi "mariage homo"

J'ai lu le projet de loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe" (c'est son intitulé officiel, et non le "mariage pour tous", qui est le slogan) sur le site de l'Assemblée Nationale.

Je n'ai pas procédé à un examen minutieux article par article des nombreux amendements des textes actuels qu'il contient. Peut-être quelqu'un aura-t-il ou a-t-il eu ce courage. Je vais me contenter ici des grandes lignes, qui suffisent à justifier des commentaires.

Il peut être divisé en trois portions : l'article 1 traite du mariage des couples homosexuels. La suite est hors sujet et concerne la filiation, en deux morceaux : d'abord l'adoption, ensuite la suppression des mots "père" et "mère" du Code Civil et de divers autres codes ou textes compétents. Voyons donc ces trois aspects.

L'instauration du mariage entre personnes de même sexe

On comprend bien que les homosexuels vivent encore des situations sociales qui ne sont pas faciles, que la société reste sourdement hostile à nombre d'entre eux dans la vie de tous les jours. On comprend aussi que ceux mêmes qui ne souhaitent pas user du droit de se marier considèrent que le refus d'ouvrir ce droit soit en lui-même une manifestation d'homophobie, d'abord parce que ce n'est pas toujours faux, ensuite parce que tout un chacun a droit aux réactions épidermiques. On comprend enfin que François Hollande, qui avait introduit cette disposition dans ses promesses présidentielles, ait envie de tenir lesdites promesses.

J'avoue que, personnellement, je préférerais, comme François Bayrou, Alain Juppé et VGE, une solution "douce", avec cérémonie en mairie ouvrant les mêmes droits civils aux couples homosexuels qu'aux autres, mais ne recourant pas au mot mariage, car cela contribue à une pente de confusion mentale dont il sera question un peu plus loin.

Cela étant, dans la mesure où il s'agit de l'intitulé de la loi, il faut dire que les dispositions de l'article 1 sont, dans l'ensemble, cohérentes avec l'objet de la loi. Je ne vois pas où (ce que l'on dit) il y aurait suppression de la prohibition de l'inceste. Si elle se cachait quelque part, il faudrait y remédier. Je suis plus réservé sur l'alinéa créant un chapitre IVbis du livre I du Code Civil. Je vois bien qu'on cherche à profiter de la loi pour introduire en droit français une notion du droit privé international, mais, pour une raison que je n'arrive pas à cerner, je sens qu'il y a un loup caché dans ces quelques lignes. D'ailleurs, si le mariage homo est interdit dans le pays d'origine d'un étranger qui vient se marier en France, je ne vois pas en quoi une disposition du droit français suffirait à rendre son mariage en France légal pour le monde entier, y compris et surtout dans son propre pays. Il me semble qu'il serait moins risqué d'écrire tout simplement que "le fait que le mariage ne soit pas ouvert aux personnes de même sexe dans le pays d'origine de personnes de nationalité étrangère ne peut faire obstacle à leur mariage en France". Cela serait plus modeste et plus exact, sans se lancer dans de glissantes digressions.

L'adoption

En eux-mêmes, les alinéas consacrés à l'adoption par les couples homosexuels ne posent qu'un problème de principe, mais en les lisant, on se dit, comme pour la suite, qu'il s'agit d'un texte bâclé. On a voulu aller trop vite. En fait, ce qu'il faut, c'est une vraie réforme du droit de la filiation, une mise à jour en profondeur des principes et de leurs applications, et il faut que cela se fasse dans le consensus, après un long travail collectif.

La suppression des mots "père" et "mère"

Je trouve extrêmement disproportionnée la suppression des mots "père" et "mère" du Code Civil. Je trouve d'ailleurs qu'elle se fait en massacrant la langue française, ce qui n'est jamais bon signe. Dans l'esprit, il s'agit d'indifférencier les parents, puisqu'il peut y avoir deux pères légaux et non plus un père et une mère. Seulement voilà, un père et une mère, cela n'a qu'un sens. Si l'on veut remplacer "père et mère" par "les parents", on tombe dans l'imprécision. Car "les parents", cela peut désigner aussi bien "père et mère", que "la parentèle", c'est-à-dire les oncles, les cousins, les grands-parents, une foule assez large parfois. Donc, pour chasser cette confusion, on va expulser aussi du Code Civil les parents dans le sens de la parentèle et on va les remplacer par une circonlocution affreuse : les "personnes unies par un lien de parenté". Hou que cela est lourd.

En vérité, il n'y a aucune raison de chasser les parents sous prétexte que les personnes titulaires de l'autorité parentale pourraient être désormais des personnes du même sexe. Il serait infiniment plus simple, plutôt que de remplacer "le père et la mère" par l'obscur "les parents" et "le père ou la mère" par "l'un des parents", d'ajouter après "le père et la mère" "ou toute personne titulaire de l'autorité parentale" et le tour serait joué. Cela aurait d'ailleurs l'avantage d'englober toutes les situations où l'autorité parentale est détachée de la filiation biologique.

Enfin, il faut en venir à cette question de la filiation biologique. Les homosexuels n'ont pas compris que l'on mette tant l'accent sur cet aspect de la question, il faut donc l'expliquer. On sait, par le cas des enfants nés sous X, que l'accès à la filiation biologique est un droit essentiel de l'enfant, que cela fait partie de son intérêt le plus immédiat et le plus pressant. Or dans un couple homosexuel, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles et prévisibles pour le moment, s'il ne faut pas toujours un père et une père pour faire un enfant, il faut en tout cas un spermatozoïde et un ovule. Or dans un couple de personnes du même sexe, on trouvera facilement l'un des deux ingrédients, mais pas l'autre, qu'il faudra chercher à l'extérieur du couple. Il ne pourra pas y avoir plus d'un parent sur deux qui soit parent biologique de l'enfant. Il y aura une filiation biologique extérieure au couple titulaire de l'autorité parentale. Cette filiation biologique, l'accès à cette origine, doit être protégé pour l'enfant et il semble que la rédaction actuelle du projet de loi vise, au contraire, à l'effacer. C'est cela qui a fait le dialogue de sourds autour de cette question.

J'ajoute qu'il serait logique, en cas de divorce, que la garde de l'enfant soit toujours donnée au parent biologique, mais on voit que cette question va être épineuse et qu'il est impossible de la traiter à la va-vite.

Maintenant, il faut le dire, on se demande ce que viennent faire, dans un projet de loi "ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe", toutes ces dispositions relatives à la filiation, d'autant plus que comme on n'a pas voulu consulter le comité d'éthique (dont c'est pourtant la fonction première), on se hasarde en pleine aventure juridique.

Voilà donc ce que j'en pense : la majorité peut sans doute se considérer mandatée pour "ouvrir le mariage aux couples de personnes du même sexe". Il y a nécessité de trouver une formule garantissant les mêmes droits que le mariage pour les couples homos, l'idéal étant de ne pas nommer cette formule mariage mais par exemple union. Je trouve que l'alinéa créant le chapitre IVbis devrait être libellé comme je l'ai dit plus haut. Je trouve que tout ce qui a trait à la filiation (y compris l'adoption) devrait être renvoyé à une réforme globale du droit de la filiation, qui serait faite en prenant son temps, en consultant toutes les familles politiques, toutes les écoles de pensée, toutes les opinions philosophiques ou religieuses, bref, en prenant son temps et en se libérant des carcans idéologiques pour trouver un équilibre qui traduise et accompagne l'état actuel de notre société.

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Commentaires

Et si la vraie modernité, et si la vraie progressivité, c'était d'accepter enfin de changer de méthode, de préférer la co-construction aux forceps, un accouchement sous péridurale à l'enfantement judéo-chrétien dans la douleur et l'arrachement ?

Écrit par : Mapie | 16/01/2013

Enfin "progressivité" au sens qu'il avait en 1770, c'est à dire celui de "progrès", oups ;) (fatigue)

Écrit par : Mapie | 16/01/2013

Rien compris au commentaire de Mapie version novolangue.
Bien le bonsoir à elle, à Taddemachin version V, ou F, à Florent et Vincent et sa centrale verte de rép soli très proche de Melbidule...
Très franchement suis explosée de lol ce soir!
N'ai aucement de revenir comme autrefois, les ambitions personnelles ne m'ont jamais intéressée, pas plus hier que demain.

Écrit par : Martine | 16/01/2013

Vous avez raison, Martine, je n'ai pas été très claire, il était tard hier quand j'ai commenté. Sur le fond, je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit Hervé, n'ayant pas moi-même encore pu lire le projet de loi. Je réagissais sur sa conclusion. Mon propos était d'évoquer la méthode d'élaboration de la loi : on aurait pu oser entrer dans la modernité en se donnant les moyens d'auditionner et de consulter avec lenteur et du coup, de tester une démocratie plus collaborative qui émonderait le projet et le rendrait consensuel. Là, on a encore à faire à la vieille rengaine du : c'est dans le programme, j'applique ! Et au sempiternel affrontement idéologique progressisme-réaction... qui divise, coupe la société en deux, arrache, déchire... alors que pour moi, la réaction est justement dans la méthode, d'un autre siècle !

Écrit par : Mapie | 16/01/2013

Quand vous ne parlez pas de Sarkozy et de Sarkozysme bref de toutes les conneries médiatico-histrionnesques, vous redevenez intelligent et donc lisible monsieur Torchet.
Votre texte est très intéressant, bien documenté, et j'avoue n'avoir pas pensé à la reconnaissance internationale de ce type d'union.
Qu'en sera t'il par exemple en terme d'héritage de biens possédés à l'étranger ? Quels droits d'héritage seront-ils perçus ? Et vis-à-vis des enfants lors d'un voyage à l'étranger dans un pays ne reconnaissant pas ce genre d'union ?
Personnellement, je sais que je ne serai pas entendu mais je soutiens l'idée d'un débat suivi d'un vote référendaire.
C'est pour le principe, le politicien de province, retors et hypocrite déguisé en Président de la République ne prendra pas ce genre de risque.
Il y a quelque chose que vous n'avez pas traité à fond dans votre texte, mais qui il est vrai pose des problèmes d'éthiques dépassant le cadre d'un blog, c'est le problème de la dynamique de ce type de loi.
Rappelons nous l'abolition de la peine de mort, la grande conscience morale autoproclamée qu'est le bon maître Badinter avait suggéré, sans le dire explicitement que la peine de mort serait remplacée par la perpétuité réelle.
Etant moi-même adversaire de la peine de mort pour des raisons plus politiques que morale, la vie ou la mort de quelques assassins assez ignobles à la Dutroux, ne m'empêche pas de dormir je dois dire. Mais bon on est en Europe...
Cinq minutes après le vote, on commençait à nous expliquer que la perpétuité réelle s'apparentait à de la torture, ce qui a donné la brillante prestation de monsieur Patrick Henry dès sa sortie de taule.
Dans cette affaire de mariage homosexuel, il n'est pas difficile de prévoir que dès le vote de la loi, les mêmes associations, qui ne représentent qu'elles mêmes, commenceront une campagne en faveur de la gestation pour autrui.
Leur bailleur de fonds de ces "assoces", l'immense milliardaire de "gôche" Pierre Bergé, a déjà commencé à pointer le bout de l'oreille avec son immortelle formule : "Entre louer ses bras, et louer son ventre, qu'elle est vraiment la différence ?"
Voilà ce qui nous attends à partir de février mars.

Écrit par : Jihème | 18/01/2013

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