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06/08/2015

Les privilégiés, comptez-vous !

Au matin du 5 août 1789, tous les privilèges étaient abolis en France. La Révolution Française venait de commencer et, depuis ce temps, cette fameuse "nuit du 4 août" exerce une grande fascination sur l'imaginaire collectif des Français. Pourtant, cette fascination repose sur un malentendu et ce malentendu est tel qu'il explique à lui seul tous les débats qui ne cessent de renaître sur la véritable nature de la Révolution. Voyons-le.

Un privilège est une loi privée. L'étymologie l'indique sans ambiguïté. Le mot, à lui seul, divise le corps légal en deux mondes antagonistes : d'un côté la loi publique, de l'autre les lois privées. La "nuit du 4 août" se définit donc comme une nationalisation de la loi privée, nationalisation d'ailleurs sans contrepartie. Et cette nationalisation se traduit par l'abolition de la loi privée, son annihilation.

Qu'était cette loi privée ? Elle était l'ensemble des législations qui n'émanaient pas du roi. On les connaît : décisions des cours féodales, principes qui régissaient les corporations de métiers, droits de l'Église, en bref, tout ce qui subsistait de la société féodale, tout ce qui faisait écran entre la loi du roi et le citoyen.

Ces droits privés n'avaient pas toujours joué un rôle mauvais : aux temps féodaux, ils encadraient strictement le pouvoir du puissant sur le faible, ils empêchaient l'abus de pouvoir du fort et garantissaient le quidam contre les sautes d'humeur des politiques ombrageux qu'étaient les féodaux. La féodalité était un monde entièrement juridique, le citoyen ou sujet ou vassal s'y définissait par un ensemble de droits et devoirs qui formaient un cocon autour de lui. Violer une loi privée, même petite, mettait toute la pyramide en péril. L'équilibre global se bâtissait ainsi.

La centralisation croissante de la monarchie absolue avait mis cet édifice en péril et le privait d'une grande part de son efficacité. En Angleterre, de nouveaux outils, plus modernes, offraient l'exemple d'une meilleure garantie de l'individu qui achevait de périmer le vieux système féodal. Il s'agissait de l'habeas corpus (1679) et du "bill of rights" (1689). En place depuis un siècle, ils avaient eu le temps de prouver leur efficacité. Logiquement, en 1789, l'abolition des privilèges aboutit aussitôt à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui formalisait les droits et devoirs de l'individu désormais proclamé citoyen. La Révolution avait commencé.

Un principe se dégageait dès les premiers articles de la DDHC, qui consacrait à lui seul l'abolition des privilèges et l'universalité de la loi publique : "La loi est la même pour tous". Le texte est, précisément, "La loi est la même pout tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Il n'existait donc plus, en France, que la loi générale, appliquée généralement, sans exception possible, uniformément. C'est là que se glisse le malentendu.

Car ce dispositif crée un principe d'égalité, formalisé lui aussi par la DDHC : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits". Or il est apparu au bout d'un siècle de pratique post-révolutionnaire que l'universalité de la loi ne procurait pas une égalité aussi forte qu'elle le prétendait : les citoyens ne se voyaient pas égaux devant une justice souvent perçue comme gouvernée par les principes de la bourgeoisie et les inégalités de patrimoine et de revenu ne semblaient pas apaisées par l'ordre social. La majorité du corps social commença à aspirer à une législation qui ne se contente pas de constater l'égalité de principe, mais qui corrige les effets les plus flagrants de l'inégalité de fait, voire qui organise des flux de revenus et de patrimoine, ce que l'on appelle la redistribution.

C'est ainsi qu'au nom de l'égalité, on a fini par connaître des lois qui, chaque jour, méconnaissent le principe de l'universalité de loi, et qui le font au nom de ce que l'on nomme l'égalité proportionnelle, qui est tout sauf de l'égalité. Nous en sommes là, au milieu d'un critère de l'égalité qui a perdu toute son objectivité et qui n'est plus gouverné que par des présupposés idéologiques qui, trop souvent, servent d'alibi à des pratiques mafieuses habillées en corporatismes, à un point tel que le mot privilégié a perdu tout lien avec son étymologie pour n'être plus que synonyme de riche, si bien que l'abolition des privilèges se résume dans l'esprit de beaucoup à la ponction des riches. Or l'on n'arrive pas à supprimer la richesse, et même, cette inégalité de fortunes ne cesse de s'aggraver malgré les dispositions multipliées que l'on prend pour la brider.

Devant l'impuissance à instaurer l'égalité, un esprit de compensation fait que chacun se crée une petite niche de droits et de revenus dont il espère être le seul bénéficiaire et qui, au fond, ne sont que les privilèges d'autrefois ressuscités, ce qui permet à toutes les catégories sociales de s'invectiver réciproquement en se traitant de privilégiées, ce qui est à la fois vrai et faux. On s'en doute, le seul vainqueur de ce glissement régressif est l'immobilisme. Il va donc falloir jeter tout cela à bas et repartir sur des bases saines.

08:30 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : révolution | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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