03/09/2015
Agriculture : vivre et travailler au pays
Au lendemain des grands rassemblements des "Bonnets Rouges", notamment à Carhaix, j'observais que si l'on voulait faire bouger les pouvoirs publics, il ne servait à rien d'assembler 50000 personnes à Carhaix, car il n'y a que ce qui bloque Paris qui fasse réagir Paris. Les tracteurs sont en route. Tant mieux, mais encore faut-il qu'ils marchent pour des objectifs compréhensibles et clairs. On en est loin.
On en est loin, d'abord, parce que la mobilisation des "Bonnets Rouges" était authentiquement transversale : elle emmenait toute la Société dans ses cortèges. Ici, nous avons essentiellement des agriculteurs, on n'entend guère parler encore d'artisans, pourtant annoncés par ailleurs. Cette agrégation de paysans et d'artisans contre les charges sociales et fiscales renvoie directement au mouvement poujadiste des années 1950, ce qui donne l'impression qu'il ne se veut pas constructif et économique, mais au contraire politique et polémique.
De ce fait, sa sincérité est difficile à évaluer, de même que le degré de soutien à lui accorder. Car enfin, les producteurs se sentent toujours écrasés par les charges, et parfois c'est vrai, parfois ça ne l'est pas, mais le discours perdure, à toutes les époques, et ce ne sont pas forcément les plus étranglés qui crient le plus fort.
Il faut donc sérier les questions, en fonction de ce que nous avons entendu ces derniers mois.
Premièrement, s'il existe vraiment une concurrence déloyale, qu'attendent les organisations agricoles pour attraire leurs concurrents déloyaux devant la juridiction européenne ? Cela paraît être la première démarche à faire, avant même de mettre en jeu des mécanismes politiques.
Deuxièmement, si des producteurs sont victimes de l'embargo contre la Russie, il appartient à l'État de compenser les manques à gagner et les pertes de marché, et comme il s'agit d'une décision européenne, il appartient à la Commission, et à elle seule, d'organiser les compensations du déséquilibre des marchés consécutif à l'embargo. Le gouvernement français doit saisir la Commission à cet effet.
Troisièmement, si la sortie des mécanismes européens de quotas laitiers et de soutien à la filière avicole pénalise plus certains pays que d'autres, il faut comprendre pourquoi et, pour la France, puisque la majorité précédente ne l'a pas fait, il faut se donner le temps de rebâtir la filière, ce qui ne semble pas avoir été fait.
Quatrièmement, il y a des collections de normes dont la France a le secret et dont le seul but est de satisfaire la vanité de fonctionnaires de rang médiocre. Ces normes doivent être supprimées, dans l'agriculture comme ailleurs. Mais c'est aussi grâce à la qualité des normes de notre lait que Carhaix a emporté le marché chinois. Et il y a une contrepartie évidente à un ensemble de normes : ce sont les labels, qui ouvrent la voie à un meilleur prix pour un meilleur produit. Menés par des brigands sans éthique vendus (par exemple) aux marchands d'OGM, nos agriculteurs doivent comprendre que l'avenir de la marque France passe par la valorisation du terroir, future mine d'or. Songeons au miracle économique du Pata Negra. Nous avons des kyrielles de produits comparables à développer. La France, jardin de l'Europe, jouit de la meilleure palette de climats et de terrains, et il serait absurde de gâcher tout cela en se comparant à des pays qui font de la viande avec du charbon et du pétrole.
Enfin, et c'est sur ce point que les agriculteurs reçoivent le plein appui de la population, il faut que Paris cesse de penser les régions en termes de statistiques, pour se rappeler que les gens ne vivent pas de chiffres, mais de journées réparties en vingt-quatre heures, pas plus, et que le développement passe par les transports, et qu'une concurrence loyale passe par une organisation des services publics jusqu'aux tripes de la Société, par un équilibrage des territoires, qu'il en faut partout, au plus près, et non seulement entre la plaine Monceau et le faubourg Saint-Honoré. Les Français qui vivent là où ils vivent, là où leurs pères vivaient, ont le droit de souhaiter vivre, travailler et même décider, au pays.
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