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06/01/2016

La France vers un régime autoritaire ?

Le président Hollande a annoncé au Congrès, le 14 novembre dernier, une double constitutionnalisation : celle de l'état d'urgence, à peu près dans les termes actuels de la loi de 1955, et celle du principe de déchéance de nationalité pour les binationaux, cette dernière restriction étant destinée à ne pas ouvrir de cas d'apatridie, mais désignant en fait les binationaux issus de l'immigration en provenance d'Afrique du Nord comme tous coupables potentiels, et tous de nationalité française incomplète.

L'interdiction faite aux États de créer des apatrides par déchéance de nationalité est l'une des utopies anti-hitlériennes de l'après-guerre : Hitler avait usé et abusé de la déchéance de nationalité, celle-ci se voyait donc associée à raison à l'infamie hitlérienne et au mécanisme juridique et politique des chambres à gaz. Déchoir quelqu'un de sa dignité aboutissait à lui ôter un élément crucial de sa dignité d'être humain, quels qu'aient été les traités chargés d'organiser la prise en charge des apatrides. La déclaration universelle des droits de l'Homme de l'ONU posa comme principe-clef de l'organisation nouvelle du monde la prohibition de la possibilité pour les États de priver leurs nationaux de nationalité. Il y eut une convention de l'ONU en 1961, que la France, encore empêtrée dans la guerre d'Algérie, signa mais ne ratifia pas et une convention européenne, dans le cadre du Conseil de l'Europe, conclue en novembre 1997 et signée par la France en 2000 (mais jamais ratifiée non plus) qui posait que "Tout homme a droit à une nationalité".

On le voit donc, la lutte contre l'apatridie et contre le principe de la déchéance de nationalité est de la même nature que la lutte pour l'abolition de la peine de mort : il s'agit d'un progrès de civilisation. Et c'est contre ce progrès de civilisation que, pour une raison obscure, le président Hollande a décidé de faire légiférer le pouvoir constituant français. En d'autres temps, il en eût été couvert de honte et d'opprobre par la gauche mais celle-ci réagit dans un mélange de confusion et de trouble qui aboutit à un véritable concours Lépine des justifications les plus abjectes du principe de déchéance de nationalité. C'est un véritable tohu-bohu au milieu duquel on croit distinguer trois tendances à gauche : ceux qui suivront M. Hollande à tout prix, ceux qui invoqueront la clause de conscience quoi qu'il arrive, et enfin ceux qui attendent de voir comment le vent tourne et comment leur gamelle s'emplit. In fine, l'on peut envisager que, lâchement, beaucoup d'opposants au principe de déchéance de nationalité s'abstiennent comme Ponce Pilate, ce qui leur permettra de prétendre qu'ils ont eu le courage de ne pas le voter, mais qui n'empêchera pas cette disposition historiquement rétrograde d'entrer dans la constitution, car à droite, l'on aura peut-être le courage de s'abstenir aussi, mais il est improbable que l'on aille au-delà.

Or cette situation d'un troupeau de Ponce-Pilate laissant sacrifier les principes essentiels au nom d'une hypothétique efficacité sécuritaire et militaire, nous la connaissons bien. Le dernier siècle nous en a donné deux fois le spectacle. La première fois, cela aboutit au vote de confiance au maréchal Pétain, la deuxième à l'investiture de de Gaulle après les journées algériennes de mai 1958. Oui, ces élus, chargés de défendre le peuple et l'état de droit, qui courent au sauve-qui-peut, qui jettent les principes éthiques à la Seine, et qui se dépêchent de se débarrasser du pouvoir pour retomber dans leur médiocrité, nous les connaissons. En 1940, ils investirent un pouvoir qui se voulait autoritaire et antirépublicain. En 1958, ils ouvrirent la voie à un régime républicain, dont il ne s'agit pas ici de soupeser qualités et défauts, mais dont la nature autoritaire est bien connue elle aussi.

L'on pourrait remonter à la Deuxième République, qui, au fond, finit un peu de la même façon, dans Cavaignac, puis dans Louis-Napoléon.

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Il est donc légitime de se poser cette question : l'incapacité et la médiocrité manifeste de notre classe politique, puis l'abandon de l'essentiel auquel elle se livre, sont-ils les signes avant-coureurs d'un nouveau passage par la case d'un régime autoritaire ? Nous le saurons bientôt.

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