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07/01/2016

Déchéance : comment fabriquer des ennemis de l'intérieur

La déchéance de nationalité pour tous ou pour les binationaux, voilà deux options. J'ai dit hier pourquoi et en quoi la déchéance pour tous, en ce qu'elle ouvrait la possibilité de créer des apatrides, constituait une trahison de l'une des plus généreuses utopies de l'après-guerre, François Bayrou et Manuel Valls ont d'ailleurs rejeté cette hypothèse, le premier au nom d'un illogisme manifeste, le second au nom des engagements internationaux de la France. Voici maintenant pourquoi la déchéance des binationaux représente une faute historique dont les conséquences sont incalculables.

La conquête de l'Algérie fut rendue nécessaire en 1830 par la persistance des activités de piraterie et d'esclavagisme pratiquées à Alger et autour. Mais sa suite n'alla pas de soi, c'est le moins que l'on puisse dire, il y eut diverses périodes dont l'historique n'est pas le sujet, non plus que celui de la Guerre d'Algérie pour laquelle mon père a été décoré en octobre 1958 de la Croix de la Valeur Militaire, une sorte de Croix de Guerre.

Ce qui est certain, et qui importe pour le présent article, c'est qu'au début de ce qu'on a nommé la "bataille d'Alger", moment clef de la guerre en question, la population algéroise alors qualifiée du vilain mot d'"indigène" était largement favorable à la France. Des boutefeux jusqu'auboutistes commirent alors la faute de renoncer au droit commun pour mettre fin aux attentats qui endeuillaient toute la population algéroise sans distinction d'origine. En vertu de "pouvoirs spéciaux" (tiens, tiens) votés en mars 1956, on confia à l'armée et au général Massu en 1957 le soin d'éradiquer ce terrorisme.

Or l'armée (on ne me verra pas ici dire du mal de l'armée française, dont chacun connaît les qualités) n'avait pas, dans son arsenal, les instruments tactiques nécessaires pour la mission qui lui était confiée par des politiciens totalement déboussolés et empressés de se débarrasser d'un pouvoir qui les dépassait totalement (voir ce que j'écrivais hier sur ce sujet). L'armée gagna certes cette bataille d'Alger, mais cette victoire se transforma en défaite, car elle nous fit perdre finalement la guerre.

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Non pas la Guerre d'Algérie, qui a été perdue le jour où, en 1960, les Soviétiques annoncèrent soutenir officiellement le FLN, mais la guerre pour appliquer la paix conclue par de Gaulle et le FLN en 1962. En effet, cette paix représentait probablement la meilleure issue possible compte tenu des forces en présence : des centaines de milliers de Français d'Algérie restaient chez eux paisiblement et les liens institutionnels forts demeuraient entre le nouveau pays et la France, ce qui n'était pas si loin de l'hypothèse évoquée un siècle plus tôt par Napoléon III.

Hélas, cet arrangement fut bousculé aussitôt par les jusqu'auboutistes des deux camps, ce qui aboutit à la célèbre formule "La valise ou le cercueil" et tout le côté positif des liens historiques profonds a été perdu, au désavantage des deux pays, mais surtout à celui des "pieds-noirs" et de la France. Dans ce moment précis de bascule se révéla la faute commise d'envoyer l'armée et de perdre ainsi la sympathie d'une population pourtant favorable. "Oderint me cives dum timeant", cela ne marche qu'en vase clos, pas dans un monde ouvert, le recours à l'armée suscita crainte, certes, mais haine surtout, et cela se fit en traitant toute la population algéroise d'origine (quel vilain mot décidément) "indigène" en suspecte. À force d'injustes soupçons et de brimades, ils sont devenus hostiles.

Or c'est exactement l'engrenage auquel nous expose le principe de déchéance de nationalité pour des binationaux. On comprend qu'il ne s'agit pas d'une critique absolue qui serait vraie en tous temps, mais que hic et nunc (désolé pour Mme Belkacem qui n'aime pas le latin), le principal effet de cette déchéance de nationalité est la brimade et la stigmatisation, puisque chacun, même ses auteurs, s'accorde à reconnaître que son efficacité contre le terrorisme est tangentielle à zéro. Pour des binationaux (pas tous, c'est vrai), et principalement des binationaux que leur autre nationalité rattache à des pays de tradition ou d'histoire musulmane, l'effet d'image n'est pas du tout tangentiel à zéro : ils ne sont subitement plus des Français à part entière, mais des Franco-Algériens ou des Franco-Tunisiens, etc., ce qui n'est pas la même chose que d'être considérés comme entièrement français.

Il y a donc des milliers de gens qui sont sur le fil du rasoir jusqu'ici, hésitant entre un camp ou l'autre, et que cette provocation va faire basculer peu à peu dans le camp des ennemis de la France. C'est cet engrenage qui, pourrait transformer une lutte antiterroriste en véritable guerre civile, dont les conséquences et la durée sont incalculables. Toute guerre, outre sa propre monstruosité, porte en elle, des suites d'affaiblissement et de dépopulation.

Que l'on me comprenne : je sais bien, comme tout le monde, qu'il y a, en France, des milliers de gens qui n'aiment pas la France telle qu'elle est et qui voudraient la transformer en charialand. Contre eux, les moyens légaux du droit commun seraient suffisants si l'État s'en donnait les moyens, notamment en recrutant plus de juges spécialisés et en ne se privant pas des compétences longuement et durement acquises de spécialistes comme Marc Trévidic. Mais il y a d'autres milliers et milliers de gens qui ne songent même pas à détester la France, alors même que nos ennemis les y incitent. Par cette provocation, nous donnons des armes à nos ennemis pour nous fabriquer d'autres ennemis de l'intérieur, une armée bien plus grande encore que celle que nous redoutons. C'est pourquoi ce principe de déchéance de nationalité, tel qu'il est présenté, est supérieurement dangereux et, de ce fait, inacceptable, alors que l'instauration d'une indignité nationale, dont les effets sont très puissants et la symbolique considérable, fournirait un outil de très bonne qualité.

Hélas, il semble qu'au sommet de l'État, les couloirs du pouvoirs soient hantés par d'obscurs boutefeux en quête de Guerre Sainte, alimentés aussi bien par l'extrême droite française que par des puissances étrangères, à un point tel qu'il semble que prêcher la raison et l'apaisement soit désormais voué à la plus glaciale inutilité. Vox clamans in deserto. Pourvu que, cette fois, on m'entende.

06/01/2016

La France vers un régime autoritaire ?

Le président Hollande a annoncé au Congrès, le 14 novembre dernier, une double constitutionnalisation : celle de l'état d'urgence, à peu près dans les termes actuels de la loi de 1955, et celle du principe de déchéance de nationalité pour les binationaux, cette dernière restriction étant destinée à ne pas ouvrir de cas d'apatridie, mais désignant en fait les binationaux issus de l'immigration en provenance d'Afrique du Nord comme tous coupables potentiels, et tous de nationalité française incomplète.

L'interdiction faite aux États de créer des apatrides par déchéance de nationalité est l'une des utopies anti-hitlériennes de l'après-guerre : Hitler avait usé et abusé de la déchéance de nationalité, celle-ci se voyait donc associée à raison à l'infamie hitlérienne et au mécanisme juridique et politique des chambres à gaz. Déchoir quelqu'un de sa dignité aboutissait à lui ôter un élément crucial de sa dignité d'être humain, quels qu'aient été les traités chargés d'organiser la prise en charge des apatrides. La déclaration universelle des droits de l'Homme de l'ONU posa comme principe-clef de l'organisation nouvelle du monde la prohibition de la possibilité pour les États de priver leurs nationaux de nationalité. Il y eut une convention de l'ONU en 1961, que la France, encore empêtrée dans la guerre d'Algérie, signa mais ne ratifia pas et une convention européenne, dans le cadre du Conseil de l'Europe, conclue en novembre 1997 et signée par la France en 2000 (mais jamais ratifiée non plus) qui posait que "Tout homme a droit à une nationalité".

On le voit donc, la lutte contre l'apatridie et contre le principe de la déchéance de nationalité est de la même nature que la lutte pour l'abolition de la peine de mort : il s'agit d'un progrès de civilisation. Et c'est contre ce progrès de civilisation que, pour une raison obscure, le président Hollande a décidé de faire légiférer le pouvoir constituant français. En d'autres temps, il en eût été couvert de honte et d'opprobre par la gauche mais celle-ci réagit dans un mélange de confusion et de trouble qui aboutit à un véritable concours Lépine des justifications les plus abjectes du principe de déchéance de nationalité. C'est un véritable tohu-bohu au milieu duquel on croit distinguer trois tendances à gauche : ceux qui suivront M. Hollande à tout prix, ceux qui invoqueront la clause de conscience quoi qu'il arrive, et enfin ceux qui attendent de voir comment le vent tourne et comment leur gamelle s'emplit. In fine, l'on peut envisager que, lâchement, beaucoup d'opposants au principe de déchéance de nationalité s'abstiennent comme Ponce Pilate, ce qui leur permettra de prétendre qu'ils ont eu le courage de ne pas le voter, mais qui n'empêchera pas cette disposition historiquement rétrograde d'entrer dans la constitution, car à droite, l'on aura peut-être le courage de s'abstenir aussi, mais il est improbable que l'on aille au-delà.

Or cette situation d'un troupeau de Ponce-Pilate laissant sacrifier les principes essentiels au nom d'une hypothétique efficacité sécuritaire et militaire, nous la connaissons bien. Le dernier siècle nous en a donné deux fois le spectacle. La première fois, cela aboutit au vote de confiance au maréchal Pétain, la deuxième à l'investiture de de Gaulle après les journées algériennes de mai 1958. Oui, ces élus, chargés de défendre le peuple et l'état de droit, qui courent au sauve-qui-peut, qui jettent les principes éthiques à la Seine, et qui se dépêchent de se débarrasser du pouvoir pour retomber dans leur médiocrité, nous les connaissons. En 1940, ils investirent un pouvoir qui se voulait autoritaire et antirépublicain. En 1958, ils ouvrirent la voie à un régime républicain, dont il ne s'agit pas ici de soupeser qualités et défauts, mais dont la nature autoritaire est bien connue elle aussi.

L'on pourrait remonter à la Deuxième République, qui, au fond, finit un peu de la même façon, dans Cavaignac, puis dans Louis-Napoléon.

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Il est donc légitime de se poser cette question : l'incapacité et la médiocrité manifeste de notre classe politique, puis l'abandon de l'essentiel auquel elle se livre, sont-ils les signes avant-coureurs d'un nouveau passage par la case d'un régime autoritaire ? Nous le saurons bientôt.

26/12/2015

Hollande ne veut que des "Français de souche"

L'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français continue à agiter l'internet francophone, autant qu'elle suscite de critiques de la presse étrangère. Parmi les critiques adressées à cette mesure : le fait qu'elle conforte la notion de "Français de souche".

Selon la Constitution de 1958, l'État, ni la loi, ne peuvent faire de distinction entre les Français, ni en fonction de leur origine, ni en fonction de leur race (notion alors rétrospective et destinée à repousser les théories hitlériennes), ni en fonction de leur religion. C'est en raison de cette disposition qui figure dans l'article 1 de la Constitution de 1958, donc parmi les principes les plus généraux et les plus forts, que le gouvernement souhaite donc introduire dans la constitution, à force égale, l'ouverture du cas de déchéance de nationalité aux binationaux se dégradant dans le terrorisme contre la France.

La déchéance de nationalité pour actes de trahison contre la France a été instaurée le 12 novembre 1938 par un décret-loi du gouvernement Daladier, quelques jours à peine après les fâcheux accords de Munich par lesquels les dirigeants français et anglais ont abdiqué tout honneur en cédant aux prétentions hitlériennes qui annonçaient pourtant la guerre sans merci. La déchéance de nationalité n'a pas été appliquée par ce gouvernement Daladier, mais par le régime de fait du maréchal Pétain, en particulier contre le général de Gaulle, dès juin 1940. On s'en est servi aussi pour annuler la naturalisation des très nombreux juifs allemands que l'Allemagne avait rendus apatrides et qui avaient cru pouvoir se ranger sous la protection de la France. Pétain avait promis de protéger les juifs français contre les nazis. Sa prétendue protection ne s'étendait pas aux naturalisés, dont beaucoup, rendus à l'Allemagne, finirent dans les Camps de la Mort. On comprend que, depuis cette époque, la déchéance de nationalité ait fait figure de spectre dans le droit français et, compte-tenu de ce précédent épouvantable, c'était bien le moins.

Le général de Gaulle, lorsqu'il fut confronté au terrorisme de l'OAS, ne procéda à aucune déchéance de nationalité, mais fit prononcer des peines de "bannissement", en pratique une interdiction de séjour sur le territoire français, qui fut levée au bout de quelques années par la loi d'amnistie et que le droit international prohibe désormais.

La déchéance, toujours pour actes contre l'État et contre la France, est réapparue beaucoup plus tard, dans les années 1990. Elle a été réservée aux naturalisés par une loi de 1996. La logique était alors qu'en accomplissant un acte de terrorisme contre la France, le naturalisé récent (moins de dix ou quinze ans) prouvait qu'il avait fait une fausse demande de naturalisation et qu'il ne souhaitait pas réellement devenir français. La déchéance de nationalité revenait alors à l'annulation de la naturalisation. En près de vingt ans, il existe très peu de cas où cette loi ait été appliquée.

Le nouveau principe consisterait à permettre la déchéance de nationalité de personnes nées françaises, de parents français, ayant étudié en France et en français, et n'ayant jamais vécu qu'en France. Ces personnes n'encourraient cette peine que par la circonstance particulière de disposer d'une deuxième nationalité, ce qui, de fait, les placerait en situation d'inégalité avec les Français n'en ayant qu'une.

En soi, on peut considérer que cette ouverture nouvelle n'est qu'une peine supplémentaire, une parmi d'autres, et même, selon des auteurs d'habitude mieux inspirés, qu'elle rétablit une égalité en ouvrant à une nouvelle catégorie la déchéance. Mais Laurent de Boissieu se trompe sur un point qui est crucial : la réforme voulue par Hollande ne rend pas tous les Français égaux devant la déchéance, celle-ci n'est pas encourue, comme il l'affirme "quel que soit le mode d'acquisition de la nationalité", puisque 95% de Français, qui n'ont qu'une nationalité, n'y sont pas exposés et que eux aussi ont acquis la nationalité française par la naissance, tout comme les binationaux désormais menacés. Il y a donc un sophisme dans le raisonnement de l'ami Laurent, excusable, mais qu'il faut souligner.

En réalité, il faut relire ce qui a été écrit en 2010 par l'excellent Robert Badinter (où l'on retrouve un Bayrou plus offensif qu'aujourd'hui) qui est que la loi doit être la même pour tous. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dit explicitement : "La loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Or en soumettant deux Français ayant acquis la nationalité française de la même façon (par la naissance) à un régime différent, il est évident que le projet Hollande, comme naguère le projet Sarkozy, crée une inégalité, une discrimination, incompatible avec le principe énoncé par la Déclaration de 1789. C'est pourquoi Jack Lang avait noté dès 2010 qu'il faudrait modifier la Constitution pour appliquer la réforme voulue par Sarkozy et aujourd'hui reprise par Hollande. À n'en pas douter, la réforme constitutionnelle annoncée pour introduire l'état d'urgence dans la Constitution n'est que le rideau de fumée de cette infamie fondamentale qui consiste à constitutionnaliser la plus choquante des infractions aux principes fondateurs de notre République. C'est à pleurer et à crier. Or ce n'est pas tout.

Car si nous trouvons dans le jeune arbre vénéneux porté par Hollande la trace de la mauvaise graine de Sarkozy, il faut ajouter aussitôt que ce n'est pas par hasard. Car dès le mois de février, Hollande a donné le signal de ce choix qui va faire mourir la Ve République : il l'a donné lorsque, devant le CRIF, il a employé les mots "Français de souche", devenus si chargés de sens haineux, menaçants et discriminatoires depuis quelques années. Le fait qu'il l'ait prononcé devant le CRIF, et tout le contexte que nous connaissons, finissent par faire naître un affreux soupçon : qu'il y ait, dans la mesure voulue par Hollande, une intention de brimade contre les musulmans français, désormais tous suspects, même si la loi ne permet de jeter dans la déchéance (quel mot) que ceux qui disposent d'une seconde nationalité et que ceux qui seront condamnés pour terrorisme. Faut-il rappeler qu'un ancien Premier ministre israélien, Itzhak Shamir, dans sa jeunesse, avait été parmi les "terroristes" de l'hôtel King David ? Ah ce mot de terrorisme... Et souvenons-nous de l'émir Abd-el-Kader et de sa seconde vie. Qu'aurions-nous fait si nous nous étions privés de lui après la première ?

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Enfin, une fois que la brèche sera ouverte, nos dirigeants pourront se vautrer tout à fait dans la fange, et étendre à leur guise la "déchéance" pour pouvoir en faire ce qu'ils veulent. Oui, désormais, nous n'en doutons plus : ce qu'ils veulent, Sarkozy, Hollande, et quelques autres, c'est réserver la France au seul bon Français, celui qu'aiment aussi les Le Pen, le "Français de souche".

Salauds.