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22/02/2017

S’il fallait regretter d’avoir fait de la politique

La décision de François Bayrou de s’associer à la démarche d’Emmanuel Macron m’a surpris. Je n’ai aucune estime pour M. Macron dont les propos et agissements n’ont, jusqu’ici, aucun trait sympathique. Cet homme marié à une femme qui pourrait être sa mère et qui dit que la France doit aimer tous ses enfants me paraît enfermé dans un Œdipe mal résolu. Je suis surpris, déçu, un peu sonné, et cela m’encourage à me détourner enfin complètement de ce monde politique dans lequel je suis entré sur un malentendu en 1981 et qui, depuis cette époque, n’a cessé de se détériorer à mes yeux. Au fond, c’est peut-être moi qui lui suis de mauvais conseil et peut-être s’améliorera-t-il du fait que je m’affairerai à l’Histoire et à la littérature, activités ô combien plus grandes, ô combien plus utiles.

La déchéance récente de François Fillon m’avait déjà fort secoué. Voilà un homme qui continue à se réclamer de la mémoire de Philippe Séguin alors que par toute son activité personnelle des vingt-cinq dernières années, il a contredit ce qui reste l’un des deux ou trois apports majeurs de feu Séguin à notre vie publique : la loi de moralisation et de financement public de l’activité politique. Rappelons les faits.

Dans les années 1980, il n’existait aucune façon officielle de financer les partis politiques, autre que les cotisations de leurs militants, une somme notablement et notoirement rendue insuffisante par l’inflation des dépenses de campagnes. En 1985, lorsque j’ai commencé à découvrir les rouages de la machinerie, quatre ans après mon adhésion au CDS, parti de Lecanuet et de Bernard Stasi, le « permanent » du CDS qui s’occupait des jeunes du CDS (les JDS), avec le titre de secrétaire général adjoint, Éric Azière (aujourd’hui président du groupe UDI-MoDem du conseil de Paris), était en principe l’assistant parlementaire d’un sénateur du Rhône nommé Pierre Vallon. Il ne mettait jamais les pieds au Sénat mais me disait de temps à autre qu’il devait enfin rédiger un rapport pour ce sénateur, de façon à ne pas apparaître occuper un emploi en réalité fictif. En fait, le sénateur faisait faire son travail par son équipe lyonnaise (il était aussi président du Conseil Général du Rhône, ou quelque chose comme ça) et n’avait pas besoin d’un assistant à Paris. Le poste d’Azière servait à financer le parti.

C’était après tout presque normal. il n’y avait aucun moyen de financement, il fallait faire avec les moyens du bord et, parti dans l’ensemble honnête, le CDS ne bénéficiait guère des largesses du président Bongo ni de quelques milliardaires en mal de soutien politique. Le trésorier de l’époque, Parenty, en fut même de sa poche lorsqu’il fallut sauver le parti de la faillite juste après 1981. On est loin de ce qu’on a constaté par la suite. Je passe sur le pont de l’île de Ré et sur les belles affiches offertes en 1990 par Bouygues aux dirigeants du CDS qui y figuraient individuellement de trois quarts, sur fond du siège de Bouygues à Boulogne, dirigeants qui n’étaient autres que Pierre Méhaignerie, feu Jacques Barrot, feu Bernard Stasi et … Jean Arthuis, un homme si neuf et si propre qui soutient maintenant Emmanuel Macron. je passe aussi sur les tripatouillages postérieurs des comptes bancaires du CDS (avec passage par Luxembourg) qui aboutirent à un procès où l’expert-comptable Arthuis ne craignit pas de passer pour encore plus incompétent que malfaisant car, trésorier adjoint du parti (logique pour un expert-comptable), il se sauva de la condamnation en invoquant le fait qu’il n’avait jamais mis le nez dans lesdits comptes dudit parti. Encore plus incompétent, dis-je, et, qui plus est, occupant un poste fantôme dans un organigramme d’ailleurs postiche, mais laissons là toutes ces digressions et revenons à notre sujet.

On l’a remarqué, les pratiques des années 1980 sont celles auxquelles François Fillon s’adonnait encore récemment, dans les années 2000 et 2010, malgré la loi de financement lancée par Séguin (faisant suite à celle de Rocard) qui ont rendu toutes ces pratiques non seulement illégales, mais immorales. C’est cela qui est reproché à M. Fillon, non seulement par l’opinion publique entière, mais par tous ceux qui éprouvaient de l’estime pour lui, dont je suis.

Il m’en vient une nausée que j’ai déjà connue. C’était en 1994 : lors de la campagne présidentielle, les vannes des prébendes publiques étaient grand ouvertes par les balladuriens. Je revois tous les visages des responsables jeunes du parti à cette époque. Ils disaient tous la même chose : « Que veux-tu ? » C’était le moment de demander, on titularisait fort dans la fonction publique, à la SNCF, dans les conseils d’administrations de certaines entreprises publiques pour les plus notables d’entre nous. Cette rageuse curée, qui n’a rien à envier à celle que Zola a décrite, sauf l’envergure des sommes en jeu, me donnait la nausée et ne fut pas étrangère à mon ralliement au camp chiraquien où l’on ne me promettait rien.

Masochisme, allez-vous me dire. Sans doute, puisque je suis resté accroché encore plus de vingt ans aux destinées de ce centre. Mais pas seulement le masochisme : il y avait aussi et surtout, je l’ai déjà écrit, la personnalité attachante de Bernard Stasi, le plus brillant des dirigeants du CDS, le seul qui marquait de l’intérêt pour la culture. Stasi est mort depuis longtemps, mais nous le pleurons toujours. Il avait ses défauts, même moraux, mais le bilan de ce qu’il apportait aux débats était considérablement positif. C’est sans aucun doute par attachement à son parcours que je me suis fourvoyé dans ce monde politique dans lequel je n’avais rien à faire et qui, en dehors de lui, m’a fait rencontrer des personnages et personnalités parfois sympathiques, mais surtout un océan de médiocrité satisfaite et vénéneuse.

Lors de cette campagne de 1994-95, je venais de vendre un appartement que j’avais acheté dans le XVIe arrondissement de Paris dix ans plus tôt avec l’assurance-vie de mon père décédé à l’âge de quarante-huit ans. Fort de cette somme que je croyais infinie, j’ai pu me faire élire sur la liste de Pierre-Christian Taittinger à la mairie du XVIe où j’ai été adjoint au maire de 1995 à 2001. Malgré les amicales suggestions de mon maire, j’ai toujours refusé d’y prendre quelque commission que ce fût dans les (modestes) affaires dont j’avais à traiter. Résultat : au bout de six ans de mandat, la somme que je croyais infinie avait fondu presque jusqu’à zéro.

Depuis quinze ans et la fin de cette période municipale, j’ai fait beaucoup de livres, j’ai mené des études de plus en plus approfondies, qui ont révélé de plus en plus la réalité bretonne du Moyen Âge, mais tout cela ne m’a pas enrichi, au contraire, et l’attachement stupide que je marquais pour le parcours de mes anciens amis (qui, eux, continuaient à vivre plus ou moins largement du système) continuait même à me coûter. Au bout du compte, j’avoue qu’un peu d’amertume ne me semble pas injustifié, bien que je commence enfin à croire que mon travail scientifique inlassable apporte une utile lumière sur notre Histoire, Et, vous ne devinerez jamais : j’en suis presque à regretter la campagne de Balladur, à regretter qu’il ne se trouve plus personne pour me demander : « qu’est-ce que tu veux ? » car je crois qu’enfin, j’accepterais une bonne planque pour considérer en sûreté la chute prochaine de notre époque qui penche chaque jour un peu plus vers ce que décrivaient ces vers insurpassables de Victor Hugo :

« Il secoue un flambeau
qui, sous ses pieds dans l’ombre éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l’âme humaine ».

Cette haine, c’est celle que l’argent éprouve pour l’humain, et dont la bataille décisive s’annonce. Ou pas.

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À propos de mon nouveau livre

Voici la couverture de mon nouveau livre.

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Il s'agit du cinquième volume d'une collection que j'ai commencée en 2001 et qui édite le plus ancien recensement des foyers bretons conduit dans les années 1426 et suivantes sur décision du duc de Bretagne Jean V, à l'époque de la Bretagne libre. Après les anciens diocèses (alors à la fois circonscriptions religieuses et circonscriptions politiques et administratives) de Cornouaille, de Tréguier, de Saint-Malo et de Léon, il étudie celui de Saint-Brieuc, qui inclut le Goëlo, le Penthièvre et une partie du Porhoët.

C'est un document sociologique exceptionnel, certainement unique en Europe pour cette période, où sont données souvent, outre l'identité du chef de famille, des précisions telles que l'état de santé, le niveau de revenu, la profession, et autres. Le but est d'établi le niveau de taxation de chaque paroisse par un impôt d'origine normande que l'on nomme le "fouage". Le fouage normand est resté à peu près forfaitaire depuis sa création au XIe siècle, mais le fouage breton, instauré seulement en temps de paix en 1365, est calculé sur une logique progressive dès au moins les années 1420, ce qui signifie que plus on a de revenu, plus on paie un fouage élevé, mesure juste évidemment pondérée par le fait que les plus riches, c'est-à-dire les nobles et leurs métayers directs, ne paient aucun fouage, un privilège heureusement compensé en partie par le fait que les plus pauvres n'en paient pas non plus. En somme, il est payé sur une base progressive par les classes moyennes, ce qui nous renvoie à la situation de l'impôt à notre époque.

Les chiffres, calculés par paroisse, permettent de dresser des cartes géographiques de l'impôt et, donc, de la richesse de revenu des classes moyennes, pondérée par la densité de population au kilomètre carré. Un ensemble de cartes statistiques permet ainsi de se faire une idée précise de la sociologie de cette partie de la Bretagne. Des documents jusqu'ici inédits font découvrir le poids déjà important des tissages de Lamballe et de Quintin, qui prendront leur plein essor au XVIIe siècle, deux cents ans plus tard.

Comme les nobles y sont traités à part, c'est aussi l'occasion de rédiger le plus ancien nobiliaire universel de Bretagne, d'y ajouter des réflexions héraldiques du plus haut intérêt, où se dégage peu à peu un trait majeur : le poids des événements politiques du XIIIe siècle dans les règles d'adoption d'armoiries aux XIVe et XVe siècles.

Le tout est illustré de nombreuses photos de monuments médiévaux et, en fin de volume, de cahiers en couleur regroupant près de 470 écus de familles nobles recensées dans ce document, plus d'une sur deux, ce volume étant d'ailleurs celui de tous les records parce que les nobles y recensés sont plus de 1400, contre 750 en Cornouaille, 900 en Tréguier, 1000 en Saint-Malo par exemple.

En cette année de Brexit, il m'a paru pertinent de demander à Michael Jones, professeur émérite à l'université de Birmingham, spécialiste du pouvoir breton de cette époque, de retracer les relations de la Bretagne et de l'Angleterre dans les derniers siècles du Moyen Âge et leur impact sur ce document. Le Royaume-Uni est le plus vieil et plus universel allié de la France, ce qui, d'ailleurs, ne devrait pas conduire son chef de gouvernement à recevoir des candidats à l'actuelle élection présidentielle, une ingérence inacceptable à mon avis.

Paru aux Éditions de la Pérenne, 480 pages et une carte hors texte, 420 Euros.

 

 

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