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11/01/2016

13 novembre : les doutes légitimes, barbouzes et policiers

On l'a oublié un peu vite, mais les attentats du 13 novembre et leurs suites immédiates ont laissé de violents doutes sur l'attitude des services spéciaux et d'une partie de ceux de la police. Les détails que la presse a fait connaître permettent désormais une synthèse qui alourdit encore la critique et qui ne peut que la lester de suspicion.

En amont de l'attentat, il est à noter que les choix successifs des gouvernements français ont abouti à la présence d'agents spéciaux français dans tous les camps syriens, sauf sans doute celui de Daech. Le financement initial de cette organisation par l'Arabie Séoudite et par le Qatar, tous deux alliés de la France quoique rivaux entre eux, rend plus que probable l'envoi d'agents des services à ce Daech débutant. Il y a d'ailleurs fort à penser qu'il s'agissait d'agents de la DGSE, car on a constaté que, dans ce qu'on a nommé un peu vite le "printemps arabe", la DGSE était apparue dans le camp des contestataires, cependant que, le plus souvent, la DCRI soutenait les régimes en place. Les liens de la DCRI (devenue entre-temps DGSI) avec le régime syrien ont été confirmés récemment par Bernard Squarcini, fondateur de la DCRI, lorsqu'il a expliqué qu'Assad avait voulu lui faire passer la liste des terroristes de Daech opérant en France, liste qui aurait été refusée par le premier ministre Valls. La DGSE, de son côté, a formé de nombreux adversaires du régime syrien, dont certains sont ensuite passés à Daech pour diverses raisons qu'il n'importe pas de détailler ici.

Or voici que nos oreilles, répandues aux quatre vents du conflit syrien, n'ont pas été capables d'y organiser une collecte d'information sur les activités des terroristes en France. Qui peut le croire ? Il est vrai que, dans les semaines qui ont précédé les attentats, la DGSE était surtout concentrée sur l'exfiltration de pilotes en République Dominicaine.

Plus près des attentats eux-mêmes, on sait que des alertes ont été adressées à la France, notamment par l'Irak, avec des précisions de dates qu'il était au moins possible de prendre au sérieux. Ces alertes ont été ignorées, et si peu prises au sérieux que, le soir même des attentats, le standard d'alarme de la police n'a pas répondu à un témoin qui, pendu au fil pendant deux heures, n'a cessé de tenter de joindre une vigie. Il n'y avait que trois policiers de garde au poste et une douzaine d'astreinte dans le quartier. Quand Thomas Guénolé, chroniqueur sur RMC, a souligné ces faits dans sa revue de presse, il a été aussitôt mis à pied et congédié, sans que l'on sache d'ailleurs avec clarté si c'était la direction de RMC, le ministre, ou les deux à la fois, qui avait ainsi sanctionné sa clairvoyance. Comme chantait feu Béart "Le premier qui dit la vérité, il sera exécuté".

Passons sur d'autre détails bizarres et venons-en à l'intervention de Saint-Denis. Les premières images que nous en avons vues étaient celles d'une jeune femme qui criait aux policiers du RAID, par la fenêtre : "C'est pas mon copain ! Vous me laissez sortir ?" Et elle paraissait appeler au secours. On ne peut entièrement reprocher aux policiers d'avoir pris cet appel au pied de la lettre, car ils pouvaient supposer un subterfuge pour se rapprocher d'eux et pour se faire exploser près d'eux.

Cependant, force est de constater que la version, devenue officielle par les communiqués qu'en fournit le rigoureux procureur Molins, n'est plus du tout satisfaisante. On y lit que les terroristes, présentés comme retranchés dans un véritable Fort Chabrol, disposaient en tout et pour tout d'une arme de poing, un browning, destiné à contenir dix balles, et qui en contenait neuf. Les terroristes auraient donc tiré, au plus, un projectile, auquel la police aurait répliqué par non moins de cinq mille tirs, une gigantesque pétarade, totalement gratuite.

Une pétarade d'autant plus délirante que pas un des terroristes n'a reçu le moindre de ces innombrables plombs. Si l'on a bien lu, les hommes sont morts de l'explosion d'une ceinture piégée par l'un d'eux (à quel moment ? ce n'est pas dit) et la pauvre fille qui voulait sortir a péri, étouffée ou écrasée, sous les gravats, aussi horriblement que certaines victimes de ses lugubres amis.

On ne sait plus, du coup, comment le chien est mort, mais ce n'est plus qu'un détail. Car subitement, cette interminable fusillade à sens unique nous rappelle l'exécution du truand Mesrine par les troupes du commissaire Broussard, le même commissaire Broussard qui a créé le RAID, ce RAID qui a tiré sans fin dans les rues de Saint-Denis, RAID dont le premier chef fut Ange Mancini, tout récemment encore chargé de la coordination du renseignement français, et aujourd'hui chargé de divers barbouzages africains au groupe Bolloré, Bolloré ultime soutien de Nicolas Sarkozy.

L'apparition du nom d'un politique nous renvoie à l'affaire Merah de 2012, dont les liens avec la DCRI avaient paru troubles aux observateurs, et dont les zones d'ombres se multipliaient dès lors que l'on tentait de clarifier une chronologie précise.

Nous voici donc avec un plateau politique compliqué : la DGSE qui a failli dans la collecte de renseignements et qui, dans le même temps, s'affichait avec Jean-Marie Le Pen à travers certains de ses agents dans l'affaire dominicaine. La DGSI toujours proche d'Assad par certains de ses éléments, et rappelant que, dans le passé, elle avait fait le pont entre le SAC et la police nationale dans l'affaire dite du groupe "Honneur de la Police". Cette même DGSI dont certains courants demeurent proches de Nicolas Sarkozy. Enfin, puisqu'il y a eu faute du ministre Cazeneuve, l'on ne peut manquer de s'interroger sur la chronologie de novembre : comme en janvier, la cote de confiance du président Hollande a bénéficié des attentats. Seulement, en janvier, cette cote était retombée avant les élections départementales, trop tôt pour servir au scrutin. Cette fois, en novembre, les attentats sont tombés à une date telle que leur effet dopant sur la cote du président a eu un impact sur les élections.

La question est donc évidente : et si tout cela était calculé ? Et si, en offrant sur un plateau sa réforme constitutionnelle au camp sarkozyste, le président Hollande n'avait fait que matérialiser un pacte, un pacte faustien conclu entre tous ces acteurs ? C'est plus que difficilement imaginable, c'est évidemment délirant, et cependant, nous sentons bien une main invisible dans tout cela.

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Or si l'on ne veut pas mettre les hommes en cause, c'est une structure qu'il faut critiquer, une technostructure, celle de la police nationale. C'est elle qui doit maintenant s'expliquer sur les principaux dysfonctionnements de l'affaire. Tant que cela ne sera pas fait, nous invoquerons le doute légitime à chaque fois que l'on proposera de mettre en cause le moindre élément de notre état de droit.

 

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07/01/2016

Déchéance : comment fabriquer des ennemis de l'intérieur

La déchéance de nationalité pour tous ou pour les binationaux, voilà deux options. J'ai dit hier pourquoi et en quoi la déchéance pour tous, en ce qu'elle ouvrait la possibilité de créer des apatrides, constituait une trahison de l'une des plus généreuses utopies de l'après-guerre, François Bayrou et Manuel Valls ont d'ailleurs rejeté cette hypothèse, le premier au nom d'un illogisme manifeste, le second au nom des engagements internationaux de la France. Voici maintenant pourquoi la déchéance des binationaux représente une faute historique dont les conséquences sont incalculables.

La conquête de l'Algérie fut rendue nécessaire en 1830 par la persistance des activités de piraterie et d'esclavagisme pratiquées à Alger et autour. Mais sa suite n'alla pas de soi, c'est le moins que l'on puisse dire, il y eut diverses périodes dont l'historique n'est pas le sujet, non plus que celui de la Guerre d'Algérie pour laquelle mon père a été décoré en octobre 1958 de la Croix de la Valeur Militaire, une sorte de Croix de Guerre.

Ce qui est certain, et qui importe pour le présent article, c'est qu'au début de ce qu'on a nommé la "bataille d'Alger", moment clef de la guerre en question, la population algéroise alors qualifiée du vilain mot d'"indigène" était largement favorable à la France. Des boutefeux jusqu'auboutistes commirent alors la faute de renoncer au droit commun pour mettre fin aux attentats qui endeuillaient toute la population algéroise sans distinction d'origine. En vertu de "pouvoirs spéciaux" (tiens, tiens) votés en mars 1956, on confia à l'armée et au général Massu en 1957 le soin d'éradiquer ce terrorisme.

Or l'armée (on ne me verra pas ici dire du mal de l'armée française, dont chacun connaît les qualités) n'avait pas, dans son arsenal, les instruments tactiques nécessaires pour la mission qui lui était confiée par des politiciens totalement déboussolés et empressés de se débarrasser d'un pouvoir qui les dépassait totalement (voir ce que j'écrivais hier sur ce sujet). L'armée gagna certes cette bataille d'Alger, mais cette victoire se transforma en défaite, car elle nous fit perdre finalement la guerre.

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Non pas la Guerre d'Algérie, qui a été perdue le jour où, en 1960, les Soviétiques annoncèrent soutenir officiellement le FLN, mais la guerre pour appliquer la paix conclue par de Gaulle et le FLN en 1962. En effet, cette paix représentait probablement la meilleure issue possible compte tenu des forces en présence : des centaines de milliers de Français d'Algérie restaient chez eux paisiblement et les liens institutionnels forts demeuraient entre le nouveau pays et la France, ce qui n'était pas si loin de l'hypothèse évoquée un siècle plus tôt par Napoléon III.

Hélas, cet arrangement fut bousculé aussitôt par les jusqu'auboutistes des deux camps, ce qui aboutit à la célèbre formule "La valise ou le cercueil" et tout le côté positif des liens historiques profonds a été perdu, au désavantage des deux pays, mais surtout à celui des "pieds-noirs" et de la France. Dans ce moment précis de bascule se révéla la faute commise d'envoyer l'armée et de perdre ainsi la sympathie d'une population pourtant favorable. "Oderint me cives dum timeant", cela ne marche qu'en vase clos, pas dans un monde ouvert, le recours à l'armée suscita crainte, certes, mais haine surtout, et cela se fit en traitant toute la population algéroise d'origine (quel vilain mot décidément) "indigène" en suspecte. À force d'injustes soupçons et de brimades, ils sont devenus hostiles.

Or c'est exactement l'engrenage auquel nous expose le principe de déchéance de nationalité pour des binationaux. On comprend qu'il ne s'agit pas d'une critique absolue qui serait vraie en tous temps, mais que hic et nunc (désolé pour Mme Belkacem qui n'aime pas le latin), le principal effet de cette déchéance de nationalité est la brimade et la stigmatisation, puisque chacun, même ses auteurs, s'accorde à reconnaître que son efficacité contre le terrorisme est tangentielle à zéro. Pour des binationaux (pas tous, c'est vrai), et principalement des binationaux que leur autre nationalité rattache à des pays de tradition ou d'histoire musulmane, l'effet d'image n'est pas du tout tangentiel à zéro : ils ne sont subitement plus des Français à part entière, mais des Franco-Algériens ou des Franco-Tunisiens, etc., ce qui n'est pas la même chose que d'être considérés comme entièrement français.

Il y a donc des milliers de gens qui sont sur le fil du rasoir jusqu'ici, hésitant entre un camp ou l'autre, et que cette provocation va faire basculer peu à peu dans le camp des ennemis de la France. C'est cet engrenage qui, pourrait transformer une lutte antiterroriste en véritable guerre civile, dont les conséquences et la durée sont incalculables. Toute guerre, outre sa propre monstruosité, porte en elle, des suites d'affaiblissement et de dépopulation.

Que l'on me comprenne : je sais bien, comme tout le monde, qu'il y a, en France, des milliers de gens qui n'aiment pas la France telle qu'elle est et qui voudraient la transformer en charialand. Contre eux, les moyens légaux du droit commun seraient suffisants si l'État s'en donnait les moyens, notamment en recrutant plus de juges spécialisés et en ne se privant pas des compétences longuement et durement acquises de spécialistes comme Marc Trévidic. Mais il y a d'autres milliers et milliers de gens qui ne songent même pas à détester la France, alors même que nos ennemis les y incitent. Par cette provocation, nous donnons des armes à nos ennemis pour nous fabriquer d'autres ennemis de l'intérieur, une armée bien plus grande encore que celle que nous redoutons. C'est pourquoi ce principe de déchéance de nationalité, tel qu'il est présenté, est supérieurement dangereux et, de ce fait, inacceptable, alors que l'instauration d'une indignité nationale, dont les effets sont très puissants et la symbolique considérable, fournirait un outil de très bonne qualité.

Hélas, il semble qu'au sommet de l'État, les couloirs du pouvoirs soient hantés par d'obscurs boutefeux en quête de Guerre Sainte, alimentés aussi bien par l'extrême droite française que par des puissances étrangères, à un point tel qu'il semble que prêcher la raison et l'apaisement soit désormais voué à la plus glaciale inutilité. Vox clamans in deserto. Pourvu que, cette fois, on m'entende.

06/01/2016

La France vers un régime autoritaire ?

Le président Hollande a annoncé au Congrès, le 14 novembre dernier, une double constitutionnalisation : celle de l'état d'urgence, à peu près dans les termes actuels de la loi de 1955, et celle du principe de déchéance de nationalité pour les binationaux, cette dernière restriction étant destinée à ne pas ouvrir de cas d'apatridie, mais désignant en fait les binationaux issus de l'immigration en provenance d'Afrique du Nord comme tous coupables potentiels, et tous de nationalité française incomplète.

L'interdiction faite aux États de créer des apatrides par déchéance de nationalité est l'une des utopies anti-hitlériennes de l'après-guerre : Hitler avait usé et abusé de la déchéance de nationalité, celle-ci se voyait donc associée à raison à l'infamie hitlérienne et au mécanisme juridique et politique des chambres à gaz. Déchoir quelqu'un de sa dignité aboutissait à lui ôter un élément crucial de sa dignité d'être humain, quels qu'aient été les traités chargés d'organiser la prise en charge des apatrides. La déclaration universelle des droits de l'Homme de l'ONU posa comme principe-clef de l'organisation nouvelle du monde la prohibition de la possibilité pour les États de priver leurs nationaux de nationalité. Il y eut une convention de l'ONU en 1961, que la France, encore empêtrée dans la guerre d'Algérie, signa mais ne ratifia pas et une convention européenne, dans le cadre du Conseil de l'Europe, conclue en novembre 1997 et signée par la France en 2000 (mais jamais ratifiée non plus) qui posait que "Tout homme a droit à une nationalité".

On le voit donc, la lutte contre l'apatridie et contre le principe de la déchéance de nationalité est de la même nature que la lutte pour l'abolition de la peine de mort : il s'agit d'un progrès de civilisation. Et c'est contre ce progrès de civilisation que, pour une raison obscure, le président Hollande a décidé de faire légiférer le pouvoir constituant français. En d'autres temps, il en eût été couvert de honte et d'opprobre par la gauche mais celle-ci réagit dans un mélange de confusion et de trouble qui aboutit à un véritable concours Lépine des justifications les plus abjectes du principe de déchéance de nationalité. C'est un véritable tohu-bohu au milieu duquel on croit distinguer trois tendances à gauche : ceux qui suivront M. Hollande à tout prix, ceux qui invoqueront la clause de conscience quoi qu'il arrive, et enfin ceux qui attendent de voir comment le vent tourne et comment leur gamelle s'emplit. In fine, l'on peut envisager que, lâchement, beaucoup d'opposants au principe de déchéance de nationalité s'abstiennent comme Ponce Pilate, ce qui leur permettra de prétendre qu'ils ont eu le courage de ne pas le voter, mais qui n'empêchera pas cette disposition historiquement rétrograde d'entrer dans la constitution, car à droite, l'on aura peut-être le courage de s'abstenir aussi, mais il est improbable que l'on aille au-delà.

Or cette situation d'un troupeau de Ponce-Pilate laissant sacrifier les principes essentiels au nom d'une hypothétique efficacité sécuritaire et militaire, nous la connaissons bien. Le dernier siècle nous en a donné deux fois le spectacle. La première fois, cela aboutit au vote de confiance au maréchal Pétain, la deuxième à l'investiture de de Gaulle après les journées algériennes de mai 1958. Oui, ces élus, chargés de défendre le peuple et l'état de droit, qui courent au sauve-qui-peut, qui jettent les principes éthiques à la Seine, et qui se dépêchent de se débarrasser du pouvoir pour retomber dans leur médiocrité, nous les connaissons. En 1940, ils investirent un pouvoir qui se voulait autoritaire et antirépublicain. En 1958, ils ouvrirent la voie à un régime républicain, dont il ne s'agit pas ici de soupeser qualités et défauts, mais dont la nature autoritaire est bien connue elle aussi.

L'on pourrait remonter à la Deuxième République, qui, au fond, finit un peu de la même façon, dans Cavaignac, puis dans Louis-Napoléon.

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Il est donc légitime de se poser cette question : l'incapacité et la médiocrité manifeste de notre classe politique, puis l'abandon de l'essentiel auquel elle se livre, sont-ils les signes avant-coureurs d'un nouveau passage par la case d'un régime autoritaire ? Nous le saurons bientôt.

04/01/2016

Mes vœux par Victor Hugo

En guise de vœux, un texte un peu amer de Victor Hugo qui décrit assez bien la médiocratie que nous subissons : c'est extrait de "Melancholia" dans les Contemplations. Le poème débute par "Un homme de génie apparaît" et, plus loin :

 

Il apporte une idée au siècle qui l’attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l’on pense un peu plus, si l’on souffre un peu moins !
Il vient. — Certe, on va le couronner ! — On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n’ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l’égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre,
On le siffle. Si c’est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu’on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l’œil calme,
Il contemple, serein, l’idéal et le beau ;
Il rêve : et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l’ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l’âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l’injure ardente et triste,
À chaque pas qu’il fait se transforme et persiste.

(....)

Il va semant la gloire, il recueille l’affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l’avant du navire il s’isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l’ignorance
Sait tout, dénonce tout : il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L’âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L’envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de le clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S’il est vraiment bien mort, s’il ne fait pas de bruit,
S’il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s’essuyant les yeux, dit : « C’était un grand homme ! ».

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08:30 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : 2016, victor hugo, médiocratie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook