11/11/2007
11 novembre : la mort des nations.
Avant les nations, il y avait les républiques maritimes : Venise, les Pays-Bas. Bien sûr, il y avait aussi la France et ses hordes de chevaliers, mais la richesse et la puissance de l'argent se trouvaient dans le camp des marins.
Venise put financer une croisade et utiliser la puissance franque. Les Pays-Bas régnèrent sur les mers durant presque deux siècles, du début du XVIe jusqu'à la fin du XVIIe. Au temps de Colbert, les Pays-Bas contrôlaient encore 80% de la flotte européenne au long-cours.
Le temps des nations, qui naquit avec son contrepoint parfait, le siècle des Lumières, effaça la surpuissance de ces petits États pour la rendre aux grandes entités humaines, forts territoires, populations nombreuses. La nation française fut la première à se cristalliser, un peu plus à l'étroit que son histoire, puisqu'elle abandonna le Piémont au sud-est (qui n'a jamais fait partie de la France mais où toute culture est longtemps restée française) et plusieurs pays au nord : Brabant, Hainaut, Liège et Hesbaie. La question de la nation allemande fut posée à partir de 1806 lorsque Napoléon commit l'erreur de détruire la vieille Allemagne, celle de Charlemagne, celle des Othon, celle des Habsbourg, pour la remplacer par une vaste interrogation qui aboutit à Bismarck. D'autres nations se formèrent, une par une. Cependant, l'idéal de nation était mort le 11 novembre 1918.
La fin de la guerre de 14-18 fut en effet la chute du masque : la nation n'était que l'alibi de l'intérêt de quelques-uns et non la sublimation de l'intérêt de tous. La guerre de 14-18, sans autre idéologie que la nation, aboutit, par l'intensité de l'horreur qu'elle imposa aux peuples, à tuer le fantasme national. La France, pionnière nation de l'ère moderne, se trouvait aux avant-postes de cette découverte des limites de sa propre invention : il n'y a pas de générosité dans le principe national, il n'y a que de l'égoïsme.
D'autres se laissèrent encore prendre au jeu, notamment les retardataires de la construction nationale, mais l'idéologie, nouvelle maladie des peuples, nouvel alibi de l'intérêt de quelques-uns déguisé en intérêt de tous, s'y était mêlée. L'horreur fut plus grande encore, au sommet de l'abomination, à travers les extravagants massacres des Japonais en Chine dans les années 1930, les effroyables purges staliniennes, et bien sûr l'immense tragédie de la Shoah. De ces atrocités, la nation ne ressuscita pas.
On parlait alors, après la guerre de 39-45 (Georges Bidault) des frontières comme des "cicatrices de l'Europe". L'Europe n'était plus dupe, elle ne se laisserait plus avoir au jeu des guerres intestines. Elle s'organisait et pénétrait dans un corridor métanational qui devait aboutir, espérait-on, à une sage et pacifique fédération, il est vrai soudée par l'ennemi commun, le communisme, ou plutôt le despotisme soviétique.
Elle appliquait en quelque sorte la devise de la Belgique : "L'union fait la force".
De fait, si l'on ne fait plus la guerre, si les nations ne rivalisent plus sur les champs de bataille, si les guerres ne font plus rage ailleurs que sur les marchés économiques, l'outil de l'État-nation perd sa pertinence.
Et alors ? Que se passe-t-il ?
Eh bien, dans ce monde dans lequel nous vivons, dans ce monde globalisé, interconnecté, fluide comme l'électricité, grésillant en permanence du murmure de l'Internet, on voit renaître ce qui a précédé les nations.
C'est ainsi que les Pays-Bas se découvrent de nouveaux orgueils. C'est ainsi que la Belgique souffre. C'est ainsi que peut-être, demain, elle mourra.
Car les Flamands ont soif de puissance et rejettent la faiblesse des Wallons. Ils traitent ceux-ci de parasites.
Grave erreur, devraient-ils savoir, car en vérité, si les Wallons sont faibles, c'est parce qu'eux Flamands sont forts. Qu'ils se séparent de leurs faibles, qu'ils perdent leur faire-valoir, et ils deviendront le faible d'un plus fort.
En revanche, pour les Wallons, ce pourrait être l'occasion d'un nouveau départ.
Je devrais donc me réjouir, moi dont la grand-mère était liégeoise, de cette chance donnée à la "communauté française de Belgique" par l'égoïsme balourd des électeurs flamands. Mais non, je ne m'en réjouis pas.
La Belgique est un pays attachant, Flamands et Wallons se ressemblent bien plus qu'on ne le croit. Il n'y a peut-être pas de nation belge, c'est possible. Après tout, leur État est né d'une scission des Pays-Bas en 1831 et, sans le veto de l'Angleterre, tous seraient devenus français. Dans une certaine mesure, leur pays est un accident de l'Histoire, une erreur, une coquille de typographe, une rature, une anomalie absurde, et cependant, puisque les nations ne sont plus l'alpha et l'oméga de l'organisation humaine, puisque nous n'en sommes plus dupes, la Belgique peut bien vivre aussi, claudicant sur sa double culture.
Mais non, les Flamands (les Néerlandophones, comme on dit parfois pour prendre un ton plus compétent) sont tentés par la solitude, par l'orgueilleuse puissance des petits États laborieux et ingénieux que permet la chute de l'idée nationale. Puisque les nations ne servent plus à rien, ils veulent se replier sur la leur. Oh, elle n'est pas bien grande, elle ne faisait pas le poids dans la guerre de tranchée, dans la bataille de la fonte et du fer, mais dans la paix, dans un monde de marchands, elle vit comme un poisson dans l'eau.
C'est ce qu'ils croient.
Et pourtant, "l'union fait la force".
04:20 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : belgique, 14-18, histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook