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18/09/2009

Paris - Jean Bouin : le béton et les sempiternelles magouilles parisiennes.

Depuis quinze jours, j'ai donné quatre notes sur le projet de démolition du stade Jean Bouin. Pour mémoire, on peut les lire ici, ici, ici et . Voici je pense la dernière, en tout cas mes conclusions complètes et définitives.

Pour mémoire également, je rappelle qu'il s'agit officiellement de démolir les installations existant sur le stade Jean Bouin, tout contre le Parc des Princes, à Paris, le long de la frontière du 16e arrondissement de Paris et de la ville de Boulogne-Billancourt. À la place, le projet aboutit à la construction d'un nouveau stade entièrement dédié au rugby, pouvant accueillir 20000 spectateurs, ainsi qu'un nouveau gymnase, 1000 m2 de bureaux et 7400 m2 de commerces. Quelques courts de tennis en plus de la vingtaine existante achèvent le tableau.

Le bonneteau financier et l'appropriation privée du domaine public

En fait, il est impossible de détacher le projet de Jean Bouin du reste des équipements sportifs voisins : il se trouve que le propriétaire du concessionnaire du Parc des Princes (le fonds spéculatif Colony Capital, propriétaire du Paris-Saint-Germain) est devenu concessionnaire de la piscine Molitor, ce qui est logique pour lui, parce qu'il a des intérêts substantiels dans le groupe hôtelier Accor et que la piscine Molitor doit devenir l'accessoire d'un hôtel **** consacré à la remise en forme, une thalasso de luxe en quelque sorte. Depuis que l'État, sous l'impulsion du ministre de la Culture Jack Lang, a décidé en 1990 d'inscrire une partie de la piscine Molitor à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, la Ville de Paris a pris la piscine en grippe, s'en sentant dépossédée, et a toujours juré que si l'on voulait que la piscine soit restaurée et rouverte, il fallait que cela ne coûtât pas un centime au contribuable parisien.

Or la rénovation de la piscine, sans ses accessoires hôteliers, coûterait sans doute 50 millions d'Euros.

Depuis 1990, plusieurs projets ont couru, dont certains utilisaient l'ancien bassin couvert à fin hôtelière, d'autres utilisaient la partie nord, tout près de Roland Garros, pour une résidence pour les jeunes tennismen qui, tout au long de l'année, viennent s'entraîner à Roland Garros. Le musée du Tennis aurait été installé dans les sous-sols de la piscine. Bref, des projets plus ou moins sportifs avaient couru.

L'arrivée de Colony Capital dans le paysage, au Parc des Princes, a tout changé. Colony Capital est un fonds spéculatif de droit américain, spécialisé dans l'immobilier. Et Colony Capital, tout en pleurnichant qu'il lui faudrait cinquante ans pour rentabiliser la piscine Molitor nouvelle, a présenté un projet qui, en apparence, est un énorme cadeau pour la Ville : investissement de 68 millions d'Euros pour restaurer les deux bassins de la piscine et le bâtiment, transformation d'une partie du bâtiment en hôtel quatre étoiles et accessoires de remise en forme, création de quelques dizaines de places de parking et de quelques commerces.

Or Colony Capital est un vrai fonds d'investissement, à l'américaine. Il sait que, pour vendre, pour vendre cher, pour soutirer beaucoup d'argent au client, il faut d'abord, non pas indiquer le prix qu'on demande (fi !), ni même les qualités du produit (bof...), ni même encore flatter le client (quoique...) mais surtout, surtout, lui faire un cadeau de bienvenue (ah !...).

Bienvenue au casino Colony Capital, asseyez-vous, vous prendrez bien une piscine Molitor ? C'est gratuit... (prononcer cette phrase avec la bouche en coeur, et un air de philanthrope, sans laisser transparaître une grosse arrière-pensée : "on va vous soutirer des millions").

Car dans le même temps où, pour l'intérêt public et dans un élan de sacrifice et de risque financier considérable, Colony Capital s'apprête à débourser 68 millions d'Euros pour que les habitants du 16e arrondissement de Paris (et les scolaires en particulier) puissent retrouver leur chère piscine, le même fonds Colony Capital cherche paraît-il... 75 millions d'Euros pour retaper et moderniser le Parc des Princes. Qui, croyez-vous, va se dévouer pour financer ces travaux au Parc des Princes ? Le contribuable parisien. Autrement dit, Colony Capital débourse 68 millions pour créer une affaire rentable, qui lui permet d'économiser une dépense de 75 millions dans son stade... Un jeu de bonneteau, pas vu pas pris. Bénéfice net immédiat de l'opération : 7 millions d'Euros, plus un hôtel **** de 98 chambres avec thalasso, piscine attenante, parkings, et boutiques.

Plus encore : la rénovation du stade Jean Bouin, en principe, est destinée à créer un stade de rugby pour l'équipe phare du rugby parisien, celle qui a révolutionné l'économie du rugby français en quinze ans : le Stade Français. Or en fait, les autorités de la Ville ne cachent pas qu'un nouveau club de rugby va être créé dans le 16e, à l'image de ce qui a été fait avec le PSG lorsqu'il a fallu doter le tout nouveau Parc des Princes d'un club résident voici quarante ans. Et comme la concession accordée (puis brusquement retirée) à Paris Jean Bouin et au Stade Français s'avère illégale (selon le Tribunal Administratif de Paris, qui sera certainement confirmé en appel par le Conseil d'État), le nouveau stade Jean Bouin se retrouve sans destinataire. Et qui, croyez-vous, va se dévouer ? Colony Capital, comme le président de cette structure ne le cachait pas fin août dans un entretien accordé au site Challenges.fr.

Et là, on passe aux vrais gros sous. 7 millions et un hôtel, c'était un hors d'oeuvre.

200 millions d'Euros d'investissement, 1000 m2 de bureaux, 7400 m2 de commerces, 500 places de parking, dans le 16e arrondissement, ça vaut des fortunes. Et pour acquérir tout cela, pas un centime : le contribuable parisien va tout payer. On va transformer un espace vert du domaine public en galerie marchande de gros rapport. Miam, on va se goinfrer. Et Colony Capital va prendre l'ensemble en concession contre une redevance modique, qu'il ne versera d'ailleurs à la Ville de Paris qu'en échange d'autres coûteux et encombrants travaux, le tout baignant sans aucun doute dans la plus parfaite honnêteté.

Et avec un stade de footbal de haut niveau, un stade de rugby de haut niveau également, et Roland Garros à deux pas, la thalasso sera ce que sont beaucoup de ces thalasso : une mine d'or. On va se goinfrer, je vous dis.

En somme, en apparence, Colony Capital fait le beau geste de rénover une piscine à fonds quasi-perdus. En réalité, il se prépare des bénéfices  rapides de plusieurs dizaines de millions d'Euros.

Le tout, grâce à une municipalité de gauche. Qu'est-ce que ce serait avec une municipalité de droite !

Victimes : le domaine public, l'espace vert, les sportifs amateurs du cadre associatif, et plusieurs milliers d'élèves des lycées voisins, qui vont devoir faire la noria en autocar (170 rotations par semaine) pour galoper dans un stade du 15e arrondissement, de l'autre côté de la Seine. Une paille.

Le départ de Guazzini est-il inéluctable ?

L'arrivée de Guazzini dans le rugby et au stade Jean Bouin, au début des années 1990, a été une grande surprise. Une image de grande fraîcheur s'en dégageait, ainsi que l'image d'un homme d'affaires mécène, à qui tout réussit. Or il y avait un fort risque de dérapage politico-financier dès cette époque, et si Internet avait été développé alors comme ça l'est aujourd'hui, il est évident que nous aurions tous considéré l'affaire d'un autre oeil.

Il s'agit évidemment des liens personnels, politiques et financiers qui unissent Delanoë à Guazzini : on apprend ici que Guazzini a tenu la permanence juridique du jeune député Delanoë voici une trentaine d'années, et on apprend que c'est Delanoë qui a présenté Jean-Paul Baudecroux, fondateur de la radio et du groupe NRJ, à Guazzini en 1981. Le site Bakchich a d'ailleurs souligné à l'occasion de cette interview les liens qui unissent NRJ au Parti Socialiste, Delanoë ayant été en quelque sorte "commissaire politique" auprès de la radio.

Or NRJ va mollement, comme beaucoup de médias anciens, le PS ne va pas follement non plus, et Delanoë a annoncé qu'il ne se représenterait pas à la mairie de Paris en 2014 (peut-être pour se ménager une carrière nationale qui va cependant devenir délicate...). Tout semble donc converger pour que Guazzini, qui a passé la soixantaine, songe à se retirer. C'est l'une des hypothèses les plus vraisemblables qui circulent : Guazzini revendrait ses droits locaux, et toucherait ainsi en quelque sorte son dividende de quinze ans d'investissement personnel et politique.

En tout état de cause, Anne Hidalgo, venant présenter le projet de stade Jean Bouin à la mairie du 16e, n'a pas caché, comme je l'ai dit, qu'une nouvelle équipe de rugby serait créée dans le 16e, ce qui semble accréditer l'hypothèse de la retraite de Guazzini, fortune faite.

Comment Delanoë a "plumé la volaille centriste" et verte.

Il faut aller encore un peu plus loin : jusqu'ici, nous n'avons évoqué que le stade Jean Bouin, la piscine Molitor, le Parc des Princes, il y a à une distance de quelques centaines de mètres à peine un autre équipement historique du Bois de Boulogne : l'hippodrome d'Auteuil.

Cet hippodrome est censé accueillir les scolaires délogés de Jean Bouin. Pour cela, la Ville de Paris a prévu des travaux (encore un montant faramineux) à hauteur de 25 millions d'Euros, pour créer une piste d'athlétisme, trois terrains de sport sur gazon, et une promenade paysagée, le tout sur 14 hectares. Apparemment, il ne s'agirait que d'un premier pas dans le dépeçage de l'hippodrome d'Auteuil.

Et tout soudain, on se dit que ce qu'on a aimé dans Delanoë 1 manque cruellement à Delanoë 2, et que si ça manque, il faut voir pourquoi ça manque.

La Ville de Paris a connu, depuis Haussmann, de nombreuses périodes de fièvre bâtisseuse. Celle d'Haussmann, bien entendu, celle des fortifications entre les deux guerres mondiales, celle de Pompidou, prolongée jusqu'au début des années 1990 par Chirac. Trop nombreux sont les exemples pour qu'on ait besoin de les citer.

Cette fièvre a baissé brusquement avec l'arrivée de Jean Tibéri à la mairie de Paris en 1995 : il a renoncé à toute nouvelle ZAC (Zone d'Aménagement Concerté) alors que plusieurs projets frétillaient encore dans les cartons. Après lui, Delanoë a rejeté aussi toute idée de bétonnage. Pourquoi ? Apparemment, pas par conviction personnelle. Mais parce qu'il ne disposait d'aucune majorité au Conseil de Paris sans les voix des élus Verts.

Il faut se remettre dans le contexte : en 2001, la campagne municipale se fait sur fond de "majorité plurielle" et le PS de Jospin et Delanoë entend se montrer comme un leader de la Gauche, certes, mais un leader magnanime, qui laisse beaucoup de place à ses partenaires. L'élection parisienne est une vitrine de la stratégie de communication de Jospin pour la présidentielle de l'année suivante. On sait ce qu'il en a été, et comme le PS a attribué à sa trop grande générosité son échec du 21 avril 2002.

Et Delanoë restait avec ses encombrants alliés sur les bras. Les Verts, en particulier, très exigeants dans le domaine des transports (ce qui les rend impopulaires), mais aussi contre le bétonnage, et, cerise sur le gâteau, en matière financière. De véritables empêcheurs de fricoter en rond.

Et puis les Verts avaient un défaut, cardinal aux yeux d'une grande partie du PS parisien : ils étaient très ouvertement pro-Palestiniens, et critiquaient abondamment les subventions communautaristes qu'ils trouvaient dans le budget de la Ville. On trouvera facilement, par exemple, le rapport fait alors par une adjointe verte au maire du 14e arrondissement, qui refusait une subvention à une école juive loubavitch, au nom de la laïcité. Certains des réseaux qui soutiennent le plus Delanoë ne supportaient plus les contraintes de cette alliance verte. Il fallait faire quelque chose.

Or il s'est trouvé qu'à partir de 2002, les centristes de l'UDF de François Bayrou et Marielle de Sarnez cherchaient à se libérer du joug UMP. C'est à partir de 2004, je crois, que certains votes de l'UDF permirent à Delanoë de s'émanciper de sa "majorité purielle" municipale. En filigrane se dessinait peu à peu l'hypothèse d'un retournement d'alliance de l'UDF parisienne, qui entrerait dans la "majorité plurielle" de Delanoë à l'occasion des municipales suivantes.

Est-ce à cause de la présidentielle, ou parce que son but (l'affaiblissement des Verts) était atteint ? Delanoë, seul en piste, choisit de gouverner désormais seul, entouré d'alliés croupions et séparé des ex-UDF devenus à la fois MoDem, ratatinés et cocus.

La conséquence en est la réapparition du projet (qui traîne depuis trente ans dans les cartons) de tours géantes enceignant Paris, et un déferlement de béton et de fric sur le Bois de Boulogne.

Étant donné le tour pénal pris par les événements à Jean Bouin, il ne fait aucun doute que son chemin ne sera désormais plus tapissé de pétales de roses.

Le départ de Roland Garros est inéluctable

Si l'on met même de côté l'éventualité du bétonnage de l'hippodrome et de toute cette partie du Bois, il y a encore un dossier de nature à exciter les hormones des promoteurs immobiliers : c'est celui de Roland Garros, autre équipement sportif dans le voisinage immédiat de tous ceux dont il a été question jusqu'ici.

Roland Garros est un mythe. Ce stade de tennis a vu ses premiers "internationaux" en 1928, plusieurs victoires des Mousquetaires de la coupe Davis y ont été remportées, mais le tennis mondial, sport spectacle par excellence, torrent de pognon à échelle planétaire, a du mal à se satisfaire désormais des installations de la porte d'Auteuil. Tôt ou tard, elles ne lui suffiront plus, le tournoi de Roland Garros devra déménager ou mourir.

Il y a trois aspects dans l'affaire : la compétition sportive, la kermesse, le programme de télévision.

La compétition n'a pas besoin d'un espace plus grand que le Roland Garros actuel, elle y est à son aise. La kermesse n'est pas aussi étendue, loin s'en faut, que dans d'autres tournois majeurs : celui des États-Unis, à Flushing Meadow, s'étale sur une surface deux fois plus grande que Roland Garros. Or qui dit kermesse dit boutiques, et argent, profit, donc moins de kermesse égale moins de sourires des marchands du sport. Le programme de télévision a aussi un problème à Roland Garros : la pluie. Quand il pleut, il n'y a pas de matchs, donc pas d'antenne, donc il faut rembourser la pub, bref c'est plus que contrariant pour la World Company.

Or au lieu de réserver le palais Omnisport de Bercy pour certaines retransmissions du tournoi (ce qui coûterait peu), voilà que Roland Garros a inventé de vouloir s'adjuger un stade municipal. Même pas comme Jean Bouin qui, depuis sa création, est concédé à un club de sports. Non, un vrai stade municipal, géré en régie, et qui sert lui aussi pour les scolaires et les associatifs : le stade Georges Hébert, juste en face du lycée La Fontaine.

On croit rêver.

Il s'agit d'y édifier un stade de 15000 places, couvert, devant servir ... quinze jours par an. Le comble du scandale.

Il est évident que ce projet trop absurde ne verra pas le jour, et que Roland Garros se contentera d'implanter une installation provisoire, démontable, à l'entrée du Bois de Boulogne, et une forme de toiture sur le court central.

Mais ces investissements ne feront que reculer l'échéance : au nom de la kermesse, au nom des programmes télévisés, il faudra, tôt ou tard, que Roland Garros se trouve une autre implantation, plus au large.

Hélas, ce n'est pas ce qu'a sérieusement voulu dire Jean Gachassain, président de la Fédération Française de Tennis, lorsqu'il a lancé que Roland Garros allait s'installer près d'Eurodisney ou près d'un hypothétique nouveau circuit de Formule 1 (grrr) à Sarcelles.

Il y a une part de sens dans la première idée : le Roland Garros nouveau doit disposer d'une importante infrastructure de transport et d'hébergement hôtelier, deux atouts que présente en effet Eurodisney. Mais on peut être sceptique pour l'aspect hôtelier : durant la quinzaine de Roland Garros, les principaux joueurs du circuit ATP résident dans les palaces parisiens. On les voit mal s'exiler à Eurodisney...

Et de toutes façons, il est évident que Gachassain a joué la provocation, peut-être pour faire pression pour son court de 15000 places, en tous cas pour éviter une hausse de la redevance que la FFT verse à la Ville de Paris pour l'utilisation de Roland Garros, qui paraît en effet modeste, puisqu'elle ne s'élève qu'à 1,5 million d'Euros par an, alors que le tournoi rapporte des dizaines de millions d'Euros à la FFT chaque année.

Le départ inéluctable de Roland Garros sera l'occasion de la véritable redistribution des cartes dans le quartier. Que fera-t-on des hectares de terre battue et des immenses courts en béton ? Voilà la grande question.

D'ici là, la Ville de Paris tente de promouvoir une candidature pour l'Euro de football 2016. Elle aurait tort de ne miser que sur ses propres forces, et il est évident que cette candidature doit être portée à l'échelle de l'agglomération parisienne tout entière, ce qui évitera de nouvelles emprises foncières sur des espaces verts.

Quant à notre quartier, entre la porte d'Auteuil et la porte de Saint-Cloud, il doit retrouver sa vocation d'espace vert et sportif. Je pense que le projet de Jean Bouin va devenir vite un "bâton merdeux" pour la municipalité, qui ne pourra le mener à bien. Le seul inconvénient de la disparition de ce projet est que, probablement, elle entraînera celle de la rénovation de la piscine Molitor qui en est en fait l'accessoire. Et on sera reparti pour un tour de fermeture, des années d'enfants sans piscine.

Il reste qu'on peut (et doit) se demander pourquoi Delanoë met un tel acharnement à s'aliéner la sympathie des écologistes.

J'ajoute qu'on m'a demandé sur place une prise de position formelle du MoDem parisien, moi qui n'y suis plus guère.

Décidément, ils sont incorrigibles, ces politiques de l'ancienne manière. Vivement qu'ils prennent leur retraite, comme dit Quitterie.