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22/01/2010

Haïti : réponse à Eva Joly.

On me signale sur Facebook une intervention d'Eva Joly, je suppose que c'est en plénière du parlement européen. L'intervention de Mme Joly, pour généreuse et énergique qu'elle soit, marque son ignorance du dossier, et c'est regrettable. Bien que je partage en grande partie ses conclusions, je dois corriger et compléter celles-ci de la façon suivante :

Mme Joly, dans son intervention, note que dans les années 1970 (c'est-à-dire sous la dictature de Duvalier Jr, dit "Bébé Doc", il faut le rappeler sans pour autant appeler au retour ni de la dictature ni de Duvalier), la république d'Haïti était autosuffisante à 90 % du point de vue alimentaire. Mme Joly en conclut qu'il suffirait de peu pour revenir à cette autosuffisance, et qu'il suffit donc de repenser le modèle de développement agricole que nous voulons aider en Haïti.

Or il se trouve que depuis les années 1970 évoquées par Eva Joly, la population haïtienne a doublé. Il est donc logique que la même quantité de production alimentaire aboutisse à une autosuffisance divisée par deux.

Cela étant, certains marchés alimentaires (comme le riz) ont été profondément désorganisés par l'importation en Haïti de produits extérieurs (américains surtout) subventionnés, moins chers au détail que les productions locales (!).

Il faut pour être honnête bien considérer que les fautes de la communauté internationale ne sont pas la première cause de la misère haïtienne : sa première cause, c'est la démographie. Il y avait en effet avant 1790 moins de 600 000 habitants dans ce qui allait devenir Haïti. Il y en a aujourd'hui près de douze millions, soit vingt fois plus. Si l'on rapportait le même coefficient de croissance démographique, il y aurait, dans la seule France métropolitaine, 450 millions d'habitants. On voit bien que cette explosion démographique, dans un territoire comparable à celui de la Belgique, fortement accidenté et dont une part notable des plaines cultivables est inévitablement rongée par l'urbanisation, ne pouvait se faire sans dégâts.

Notons d'ailleurs qu'aux douze millions que j'évoquais plus haut, il faudrait ajouter environ quatre autres millions d'expatriés, la "diaspora", dispersée pour un quart aux États-Unis, un autre quart en République Dominicaine, et une moitié éparpillée au Canada, en Amérique Latine (y compris les DOM) et en Europe, cette diaspora rapporte un milliard de dollars en invisibles au pays chaque année, soit environ un quart du PIB.

Il est vrai que la France et les USA (ces derniers ont occupé et vampirisé le pays de 1915 à 1934) doivent rembourser ce qui a été perçu abusivement par eux depuis l'indépendance, ce serait justice (moins ce qui a été réalisé, comme une longue route créée et offerte par la France dans les années 1970 et depuis lors entretenue par elle).

Mais ce sera insuffisant car, de toute évidence, la production locale ne pourra plus jamais faire face aux besoins locaux, sauf à passer aux méthodes de production intensive pratiquées en Europe et aux USA, et je ne crois pas que ce soit ce résultat-là que Mme Joly évoque lorsqu'elle parle de réflexion sur le modèle de développement. En fait, il faudrait accepter dans les pays développés une plus grande immigration haïtienne, qui fournisse plus de liquidités au pays, lui permettant de se passer de son autre grande source d'invisibles, le trafic de drogue, qui s'est développé dès la fin de l'ère Duvalier. Progressivement, Haïti pourrait ainsi développer une économie de services qui paraît être son meilleur salut.

Cela étant, on pourrait, sans arriver à l'extrémité d'une immigration dont on voit bien qu'aucun pays développé n'acceptera d'y recourir, aider au moins l'agriculture locale à être un peu plus rentable, d'une part en cessant de subventionner nos propres produits (c'est là une mesure de justice qui ne concerne pas qu'Haïti), d'autre part en y favorisant l'implantation, déjà consistante, du commerce équitable.