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10/04/2009

"Katyn" : le monde en morceaux.

À la fin de l'année, nous célébrerons le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Avant cette chute, il y a eu des lézardes qui, peu à peu, ont démoli tout l'édifice soviétique dans les années 1988 et 1989, d'aucuns diront depuis la "glasnost" et la "perestroïka" gorbatchéviennes en 1986. La fin de la domination de l'Union Soviétique sur l'Est européen semblait l'aboutissement d'une lutte d'une décennie dont quelques noms étaient les symboles : Solidarnosc, mouvement civique et syndicat, Lech Walesa l'ouvrier syndicaliste, Bronislaw Geremek l'intellectuel, et Andrzej Wajda le cinéaste. "L'homme de fer" était le film emblématique de cette époque (celle où le Canard Enchaîné titrait "l'ordre règne à Varsoviet" pour résumer le coup de force de Varsovie). Wajda vint ensuite tourner en France un "Danton" très inspiré et continua à incarner la résistance à l'ordre extrême et totalitaire.

Le voici, vétéran, ayant dépassé les quatre-vingts ans (pour être honnête, je le croyais mort), sortant de son vieux chapeau un film terrible et autobiographique sur la déchirure, la blessure, à la fois intime et historique, qu'il partage avec son pays, la Pologne. Le titre de ce film est déjà sinistre : "Katyn".

Bronislaw Geremek, le regretté sage et libéral député polonais au parlement européen, vétéran de Solidarnosc comme je l'ai dit, a eu l'occasion de venir parler en France devant la commission pour le livre blanc sur la défense. Il aimait la France d'instinct, parlait un Français parfait et rendait hommage à Napoléon qui (on l'oublie trop souvent) a ressuscité la Pologne pour un bref instant de quelques années. En 2005, lorsqu'il est venu participer à des meetings pour l'adoption du référendum européen, il disait, navré : "Évidemment, il y a Napoléon, et puis il y a les Français d'aujourd'hui..." Bref, pour en revenir à ce qu'il a dit devant la commission sur la défense, ses mots étaient nets :

- Bien sûr, il y a eu Auschwitz (ndht : en fait, Auschwitz est la ville polonaise d'Oswiecin). Bien sûr, il y a eu Auschwitz, mais il y a eu Katyn.

Disant cela, il ne cherchait en rien à minimiser la shoah, ni à évacuer Auschwitz, mais il illustrait une pierre d'angle de l'approche diplomatique et géostratégique de la Pologne : on ne peut pas faire l'impasse sur le fait que les soviétiques ont commis l'affreux crime de guerre au printemps 1940 d'assassiner froidement 12 000 officiers de l'armée polonaise qu'ils détenaient prisonniers.

Et le film de Wajda, sombre, froid, terrible, nous explique pourquoi, bien au-delà encore du crime de guerre, l'atrocité de Katyn est un crime contre l'esprit humain : c'est parce que les soviétiques ont bâti une épouvantable mise en scène pour faire endosser le massacre par l'armée nazie. Plus terrible encore que le crime, il y a la négation du crime, et le fait que l'on ait fait enseigner à des générations d'écoliers que ce crime avait été commis par d'autres, travestissement de la réalité historique.

Et c'est aussi le symbole de ceux qui, survivants en 1945, ont choisi de plier le genou devant le pouvoir soviétique. Le monde était en morceaux, il fallait choisir un camp.

Le retour de la Pologne à la liberté, c'est aussi de pouvoir clamer enfin cette vérité. Pour Wajda, né en 1926, c'est un témoignage très personnel : son père a été tué à Katyn. La jeune femme qu'il montre, c'est en quelque sorte sa mère.

C'est donc un film à voir si l'on trouve une salle qui le passe.

J'en profite pour signaler que la Pologne est un très grand pays qui n'a pas eu de chance. Son aire culturelle s'étend sur plusieurs États actuels : Slovaquie, Lithuanie, tout l'ouest de l'Ukraine. Son retour dans l'Europe a été un moment important de l'histoire de l'Europe. On ne comprendra rien à l'état d'esprit de ses dirigeants si l'on ne voit pas que, pour eux, la Russie garde au talon quelques traces du sang de Katyn. C'est ce qu'a voulu dire Geremek, c'est ce que dit Wajda.