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26/11/2009

Dorothy de Warzée, droits d'auteur, numérisation, réédition sur papier.

Le nom de Dorothy de Warzée ne vous dit sans doute rien. Cette femme a été l'auteure d'un seul livre, "Peeps into Persia", paru en 1913 chez Hurst et Blackett, un éditeur londonien. À l'époque, ce livre est passé plutôt inaperçu, tiré à peu d'exemplaires. Depuis ce temps, et jusqu'en 2008, il n'avait jamais été réédité. Mais avec le temps, et avec l'intérêt qui a grandi sur l'Iran (enconre dénommé Perse en 1913), il est devenu un document, une sorte de classique introuvable, qui a fait qu'en 2008, Kessinger publishing en a fait ce qu'on nomme un "reprint", c'est-à-dire un fac-similé. Dans le même temps, l'université de Californie à Los Angeles, mieux connue sous le sigle UCLA, l'a mis en ligne dans le projet Archive.org (j'ouvre une fenêtre de lecture en bas de cet article), très bien numérisé (bien mieux que par Google, soit dit en passant).

Pourquoi j'en parle ? Il se trouve que Dorothy de Warzée est mon arrière-grand-mère, qu'elle est morte en 1963, et que son ouvrage n'est pas dans le domaine public, ce qui ouvre évidemment des perspectives sur le fait que les ayants-droits n'aient jamais été consultés sur les opérations de réédition, ni de numérisation...

Commençons par le commencement.

Dorothy de Warzée, née Davis

Dorothy de Warzée, qui s'intitule "baroness" (baronne) d'Hermalle, est née Dorothy Davis en janvier 1880 à Marylebone, un district de Londres, fille d'un avocat, James Davis. Celui-ci, peu d'années plus tard, fit un pari avec un journaliste et devint ainsi un librettiste d'opérette très renommé, Owen Hall, et pour ceux qui ne savent pas ce qu'est un librettiste d'opérette, je précise que c'est celui qui écrit les lvrets, les textes, des opérettes. Owen Hall était l'un des librettistes les plus en vue à Londres vers 1900, et il faut comparer ce métier avec celui des scénaristes de cinéma à succès d'aujourd'hui : c'était très rémunérateur et très glorieux. Owen Hall se ruinait de temps à autre avec son écurie de courses de chevaux, mais il se refaisait aussitôt avec une nouvelle opérette.

En 1902, la famille passe ses vacances sur la Côte d'Azur, en France. On joue au tennis. Il y a là un couple de Belges. Lui est "directeur des jeux de la reine (des Belges) à Spa", c'est-à-dire qu'il dirige le casino de Spa. La couronne belge l'a nommé à ce poste parce que ça lui interdisait de jouer au casino, et qu'il avait tendance à se ruiner au casino... La femme de ce directeur, nommé Léon le Maire, est née Noémi de Warzée d'Hermalle, fills du baron de Warzée d'Hermalle.

Sans entrer dans trop de détails, disons que la famille de Warzée remonte à Païen de Warzée qui fut compagnon de Godefroi de Bouillon lors de la première croisade, en 1096. Le château de Warzée laisse de vagues ruines quelque part dans le Brabant wallon, je crois. Une branche cadette de ces Warzée s'est installée à Liège vers la fin du XIIIe siècle sous le patronyme Payen de Warzée. À la fin du XVe, elle a abandonné Payen pour ne garder que de Warzée, s'établissant à Huy, une ville alors prospère. Au XVIIIe siècle, deux branches se sont formées. L'aîné de l'aînée était bâtonnier de l'ordre des avocats de Liège en 1789. Ses descendants ont été créés barons de Warzée d'Hermalle par le roi des Pays-Bas, titre confirmé par le roi des Belges lorsque la Belgique a fait sécession en 1831. Le père de Noémie de Warzée d'Hermalle était l'avant-dernier baron, il était un peu excentrique et dilapida sa fortune, ne laissant qu'un dernier baron et Noémi. Le dernier baron fit ce qu'on nomme une adoption simple pour transmettre son patronyme aux fils de sa sœur. Les fils en question se prénommaient Léon et Willy, Willy le Maire de Warzée d'Hermalle fut souventes fois champion de Belgique de tennis (un peu plus que selon la notice wikipedia) et même finaliste en double à Wimbledon en 1918.

Femme de diplomate

Dorothy trouva Léon le Maire de Warzée d'Hermalle séduisant, il fumait le cigare, jouait au poker et pratiquait un humour assez caustique. Elle se laissa donc enlever, on ne sait pas pourquoi les parents ne voulaient pas de cette union, sans doute pour des raisons religieuses. Bref, Dorothy et Léon se marièrent rapidement, puis Léon passa un concours de la fonction publique belge du roi Léopold II et devint consul de Belgique. Le couple alla à Lima, au Pérou, où ma grand-mère est née en 1903, puis revint en Méditerranée (je crois que c'est là qu'est né leur fils Guy, père de l'acteur Michel de Warzée), puis une première fois à Téhéran, dans le pays qu'on appelait encore la Perse, où la Belgique avait obtenu de nombreux marchés publics.

De là, ils allèrent pour quelques mois à Sofia, en Bulgarie. C'est alors qu'on apprit que Léopold II était mort. Léon, Dorothy et leurs enfants revinrent précipitamment à Bruxelles : Léopold II ne voulait pas développer le corps diplomatique de son pays, il se souciait d'économie et ne travaillait que le corps consulaire. Avec sa mort, le corps diplomatique allait pouvoir reprendre de l'étoffe, et Léon tenait à y entrer. Il consacra donc six mois à Bruxelles à préparer le concours, qu'il réussit haut la main. Il repartit aussitôt pour Téhéran dans le corps diplomatique, je pense qu'il devait être premier secrétaire de la légation, à moins qu'il n'ait été directement ministre (c'est-à-dire ambassadeur) de Belgique à Téhéran.

C'est ce second voyage surtout qui a inspiré "Peeps into Persia", le livre de Dorothy.

Le couple Warzée (par commodité et pour répondre au vœu du dernier baron de Warzée d'Hermalle, on utilisait son nom, comme aujourd'hui Galouzeau de Villepin est appelé Villepin dans la vie courante) passa trois ans supplémentaires à Téhéran, de 1910 à 1913, ce qui lui en faisait cinq en tout. Lorsque parut "Peeps into Persia", en 1913, Dorothy ne put rentrer faire la promotion du livre à Londres : son mari venait d'être nommé ministre de Belgique auprès de l'empereur du Japon. Les Warzée remontèrent jusqu'à Moscou, où ils prirent le Transsibérien qui les mena jusqu'à la côte pacifique de l'Asie, en fait jusqu'à la Mer du Japon, qu'ils traversèrent en bateau.

Ils passèrent huit ans au Japon, de 1913 à 1921, notamment toute la Première Guerre Mondiale pendant laquelle Léon ne reçut plus son traitement et vécut un peu de son poker. Contemporain de ma grand-mère, le jeune Hiro Hito, qui fit plus tard trembler l'Amérique pendant la Seconde Guerre Mondiale, fut alors son camarade de jeux...

Du Japon, les Warzée allèrent à Washington pour une conférence importante, puis à Cuba où l'activité principale était le poker, ce qui réjouit Léon. Enfin, pour la première fois depuis douze ans, ils revirent l'Europe. Léon avait été fait baron le Maire de Warzée d'Hermalle par le roi Albert Ier. Signalons au passage que lorsqu'elle s'intitule baronne, en 1913, Dorothy anticipe un peu sur les événements. Licence poétique...

Le dernier poste de Léon fut Pékin. Les Warzée y arrivèrent en 1923 et y demeurèrent jusqu'à la mort de Léon, en poste, en 1931. Dorothy mena alors une vie de veuve itinérante, courant le monde, allant chez des cousins ou chez des amis. Ayant quelque ascendance juive, elle s'éloigna d'Europe autant qu'elle le put pendant la Seconde Guerre Mondiale, qu'elle passa en Afrique du Sud. Elle est morte à Nice en septembre 1963.

Les Davis

Elle avait une nombreuse famille dans les arts au Royaume Uni : l'une des sœurs de son père, Julia, était devenue romancière sous le pseudonyme de Frank Danby, de qui sont nés Gilbert Frankau, Ronald Frankau et même Pamela Frankau (fille de Ronald).

Hyman Davis, père d'Owen Hall (et donc grand-père de Dorothy, avait été circoncis sous le nom de Haim HaLevi. Il avait débuté comme peintre puis, ayant enlevé sa femme (une tradition familiale), il avait dû se trouver une occupation plus rémunératrice, s'était d'abord installé à Dublin, puis était revenu à Londres, où il avait été l'un des tout premiers photographes. La National Portrait Gallery, de Londres, conserve des portraits photographiques réalisé par lui à cette époque, parmi lesquels on remarque des chanteurs d'opéra qui, peut-être, ont contribué à l'essor d'Owen Hall.

Curieusement, Hyman et sa femme Bella avaient confié l'éducation de leurs enfants à une nurse à domicile qui n'était autre que Mme Lafargue, la fille de ... Karl Marx.

Encore plus curieusement, cette éducation n'avait pas empêché le jeune James Davis qui n'était pas encore Owen Hall de s'enrôler dans le Parti Conservateur, et d'y être même investi pour des législatives auxquelles il renonça d'ailleurs à se présenter. Par compensation, Owen Hall était ami du paria Oscar Wilde et de quelques autres artistes moins conservateurs...

La question juridique

Une directive européenne a unifié le principe de la durée de la protection des droits patrimoniaux des ayants-droits, à 70 ans après le décès de l'auteur. Comme on le sait, des tentatives récentes ont voulu porter cette durée à 100 ans, ce qui reviendrait en pratique à cantonner le domaine public aux œuvres passées dans la postérité. Il y a par exemple moins de cent ans que Proust est mort, comme Apollinaire. Dans le domaine phonographique, 100 ans reviendrait à annihiler purement et simplement tout domaine public. Dans la peinture, Monet, mort en 1926, rentrerait dans le champ de l'exploitation patrimoniale dont il est sorti depuis longtemps, ce qui ferait sortir des œuvres des années 1860 (!) du domaine public. On croit rêver. Si un lecteur a la gentillesse de placer un lien pour préciser où en est cette question de la durée, il en sera remercié.

Selon le droit actuel, l'œuvre modeste de Dorothy de Warzée est protégée jusqu'en 2033, ce qui n'est déjà pas mal, son livre étant paru en 1913.

Les ayants-droits sont ma mère, sa sœur, quelques-uns de leurs neveux et nièces, et leurs trois cousins germains belges. C'est évidemment beaucoup de monde pour de maigres droits d'auteur.

Il n'est évidemment envisageable pour personne d'interdire ni la diffusion gratuite du livre sur Internet (c'est un document en soi, un texte un peu dispersé mais charmant, oscillant entre les considérations ethnographiques, les potins mondains, le shopping minutieux, et diverses autres perspectives), ni sa réédition, au contraire, c'est merveilleux que ce texte trouve une vie si longtemps après être paru et oublié.

Au passage, je signale le projet Archive.org, qui semble être une alternative assez efficace à la numérisation par Google, non sans défaut cependant.

Alors ? que faire ? rien ? ou devons-nous, par respect pour notre aïeule, manifester notre existence ? Je le crois.

 

29/09/2009

Ce que l'affaire Polanski enseigne sur Hadopi.

Bien entendu, le texte qui va suivre ne vise aucunement à légitimer l'acte commis par Roman Polanski voici plus de trente ans, mais à comprendre le piège dans lequel certains dispositifs judiciaires peuvent placer les éventuels justiciables. L'acte délictueux en lui-même (l'acte sexuel avec une mineure âgée de 13 ans) est inexcusable sauf circonstances vraiment exceptionnelles, mais les faits ne sont pas ceux que l'on nous a servis d'abord.

Le piège du plaider coupable

Selon la version qui traîne beaucoup, notamment sur Internet, Polanski aurait drogué et violé une toute jeune fille. Dit comme cela, c'est ignoble, on clame "Renvoyez-le à ses juges ! qu'il aille croupir !" Mais selon une autre version que l'on commence à entendre, la mère de la jeune fille aurait poussé Polanski à faire des photos de sa fille dans une situation que l'on imagine, à peu près comme cela a été le cas pour Brooke Shields à la même époque, sauf que... une fois l'acte commis, voici Polanski dans un piège : il ne peut nier, il a commmis l'irréparable. Pour sortir d'une situation dans laquelle il se sent piégé, ce qu'il est en effet, Polanski peut aller au procès, dont le résultat est aléatoire, ou transiger avec sa victime et avec la justice, ce qui l'oblige à plaider coupable. La gravité de la peine est l'un des éléments substantiels de la transaction avec la justice. Pour obtenir une peine relativement légère, Polanski accepte de plaider coupable et d'indemniser sa victime dont la mère semble pourtant aussi coupable que lui.

Désormais, quoiqu'il arrive, le voici dans la nasse de la culpabilité. Et lorsqu'il sent que la peine va dépasser la durée pour laquelle il a transigé, il préfère s'enfuir. Le piège s'est refermé sur lui. Trente ans plus tard, un procureur, sans doute en mal de notoriété, va agiter la nasse. Polanski est arrêté par les autorités d'une Suisse qui cherche désespérément à se refaire une virginité aux yeux des États-Unis. On va sacrifier Polanski sur l'autel du sacro-saint paradis fiscal helvétique.

J'avoue que cette seconde version me paraît plus vraisemblable que la première, et finalement, cette affaire de piège s'est répétée plus tard contre Michael Jackson, sans succès automatique, puisqu'il a payé une fois et gagné l'autre. Dans la dernière, le gamin qui avait accusé Jackson a reconnu après sa mort que ses accusations étaient fausses.

Ainsi, dans le dispositif Hadopi, y a-t-il de petits ruisseaux qui peuvent composer de grandes rivières judiciaires. On dit "mais l'Hadopi qui constate n'incrimine pas", sauf que ses constatations créent une présomption de culpabilité. On dit ensuite "Mais la procédure d'ordonnance judiciaire est légère et n'aboutit pas à une condamnation pénale" sauf qu'elle est optionnelle dans le dispositif, entre les seules mains de la partie civile, d'une part, et du procureur qui agit sur instruction politique d'autre part. La procédure enclenchée par la constatation de la prétendue infraction peut, sans aucune preuve autre, mener le justiciable en correctionnelle, avec très lourde amende et surtout prison à la clef. Et la constatation faite par la commission de l'Hadopi fait foi jusqu'à preuve du contraire, il y a bien toujours une présomption de culpabilité, dont le justiciable peut n'avoir aucun moyen de se libérer.

Ainsi, le raisonnement que l'on nous sert à propos d'Hadopi est-il celui qui a piégé Polanski : "Vous pouvez accepter le dispositif judiciaire, car, c'est promis, la peine sera légère". Or en justice comme ailleurs, et l'affaire Polanski le démontre, les promesses n'engagent que ceux qui les entendent. Et le législateur, lui, ne peut valablement se contenter d'une promesse de l'autorité politique devenue maîtresse des poursuites judiciaires : il est là, au contraire, pour fixer les règles qui offrent au justiciable des garanties de défense équitable et la clarté métronomique de la loi pénale, non pas l'aléatoire de la bonne volonté du pouvoir politique. En matière pénale, s'il y a pouvoir discrétionnaire valide, c'est toujours dans le sens de l'allégement de la pénalité, jamais dans celui de son alourdissement. C'est en quoi le texte Hadopi 2 est aussi liberticide que l'était Hadopi 1 avant censure par le conseil constitutionnel.

Voilà ce qu'enseigne l'affaire Polanski, le piège du plaider coupable, sur le texte Hadopi 2, le piège de la présomption de culpabilité.

03:38 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : justice, culture, hadopi, polanski | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/09/2009

"No pasaran" et le stade Jean Bouin.

Soirée thénatique, c'et imparable : de 7 à 9 à la mairie du XVIe arrondissement pour débattre de l'avenir du stade Jean Bouin (et accessoirement de l'hippodrome d'Auteuil, dans le Bois de Boulogne). De 10 heures à minuit aux Champs-Élysées devant le film "No pasaran". Deux points communs pour cette soirée thématique : le rugby, et l'apparition d'un supposé progrès dans un paysage calme.

L'histoire du stade Jean Bouin

Je ne vous infligerai pas le calvaire d'un historique remontant aux calendes celtiques, mais tout de même : la paroisse primitive englobant Boulogne, le Bois, Auteuil et Passy, se nommait, au temps de Clovis et un peu après, "Nemetum". Est-ce un mot franc, un mot romain ? Non, c'est un mot gaulois : le nemeton est le bois sacré des temps druidiques. Ce Bois était tellement sacré que, deux mille ans plus tard, il en reste un grand bout, irréductibe, le Bois de Boulogne.

Dans les années 1850, Napoléon III, l'empereur bling-bling, écouta l'idée de génie d'un de ses conseillers qui voulut faire un nouveau quartier, ultra-snob, qui serait pris sur le Bois de Boulogne. Ce quartier s'appellerait (on se croirait dans Astérix),  non pas le Domaine des Dieux, mais le quartier des Princes. De ce quartier est né le Parc des Princes, par exemple, qui a succédé à un autre stade qui avait une vocation fort différente. Dans ce quartier des Princes, selon le décret bling-bling, on ne pouvait faire commerce, et on devait faire du sport. Là furent implantées les Serres d'Auteuil dont je vous recommande la visite florale, et progressivement une série d'équipements sportifs implantés notamment sur l'espace gagné par la démolition des anciennes fortifications de Paris. Il y eut le Parc des Princes, le stade du Fond des Princes, et puis deux fleurons : Roland Garros et Jean Bouin, dont le dispositif fut complété par une piscine d'architecture très inspirée pour son époque (les années 1920) : la piscine Molitor. Je pourrais d'ailleurs y ajouter Géo André, stade originel du Stade Français (club omnisport dont le rugby est la vitrine), et même le stade Pierre de Coubertin, qui est en fait un monument regroupant des gymnases, célèbre pour l'escrime et le judo.

Jean Bouin a encore sa tribune d'honneur datée de 1925, une rareté que les projets de la municipalité parisienne promettent aux dents d'acier des bulldozers, alors qu'on devrait la classer.

Jean Bouin a eu son heure de gloire, il y a très longtemps. Puis progressivement, au même rythme que d'un côté le vieux Parc des Princes dédié au cyclisme subissait l'éclatante métamorphose qui l'a changé et temple de béton, et que de l'autre côté Roland Garros devenait l'une des références mondiales du tennis à grand spectacle (dévorant même le stade du Fond des Princes), la piscine Molitor s'assoupissait comme une Belle au Bois (de Boulogne) Dormant, et Jean Bouin se ramollissait en stade de quartier, oublié entre les deux géants.

Dans les années 1980, il était même si assoupi qu'un promoteur eut l'idée de raser lui et la piscine, et de bâtir des immeubles de quinze étages. Les druides ont dû se retourner dans leur tombe. La démolition de la piscine Molitor était imminente lorsque Jack Lang, par pure malice, pour casser les pieds de Chirac alors maire de Paris, eut la bonne idée de faire classer une partie de la piscine par son ministère de la Culture. La piscine était sauvée, mais depuis, elle est au piquet, l'administration municipale de Paris lui en veut. L'ancien directeur des Sports de la Ville m'a dit en 1995 : "Moi vivant, jamais la piscine Molitor ne sera restaurée". Elle n'a pas bougé depuis malgré les promesses de Delanoë.

De son côté, Jean Bouin a traversé une période de turbulence au début des années 1990 : un entrepreneur voyait grand pour l'équipe de rugby du Club Athlétique des Sports Généraux (CASG), la structure associative alors résidente du stade. Il fit beaucoup, mais récolta un désastre financier, qui mit l'existence même du CASG (et donc de Jean Bouin) en péril. C'est alors qu'apparut un chevalier blanc : Max Guazzini, cofondateur de la radio NRJ et propriétaire de 5 % du groupe, ce qui alors devait faire quelques centaines de millions de Francs. Guazzini proposait d'absorber la section rugby du CASG et son gouffre financier dans une nouvelle structure, paritaire avec le Stade Français. L'équipe s'appellerait Stade Français - CASG, elle jouerait à Jean Bouin. Guazzini injectait 15 millions de son argent et apportait son savoir-faire.

L'histoire est connue : en trois saisons, l'équipe atteignit l'élite, sous l'impulsion notamment de son entraîneur Bernard Laporte (dont l'image n'était pas aussi sulfureuse alors qu'elle l'est aujourd'hui). Puis ce fut le sommet, les boucliers de Brennus (encore un Gaulois) en chapelet, puis les calendriers érotiques et le maillot rose de meilleurs grimpeurs du rugby mondial, par la face Nord.

Lorsque j'étais élu chargé des sports dans ce quartier, l'aventure de Guazzini m'était sympathique, j'allais souvent à Jean Bouin soutenir l'équipe. J'y croisais des journalistes sportifs, des gens des médias, du fric, et Pascal Nègre. Je n'ai jamais réussi à y faire venir Bayrou pour un match Paris-Pau.

Dès ce temps, Guazzini se trouvait à l'étroit dans son terrain herbeux, il rêvait de plus grands espaces, débordait sur le Parc des Princes, et louchait sur les parties du stade qui ne lui étaient pas dévolues.

Il faut dire que, comme stade de quartier, Jean Bouin est crucial : il y a un stade purement municipal (pour le moment) juste à côté, et les deux doivent suffire à environ 6000 élèves du secondaire public, plus les centaines d'adhérents des sections athlétisme, football, basket, hand, et hockey sur gazon (très nombreuse à Jean Bouin, l'un des rares stades parisiens à pratiquer encore ce sport). Cette situation incontournable a retenu longtemps la municipalité parisienne de succomber aux instances du grand Max.

Fin 2006, on m'a parlé d'un projet dit "Paris 2012", dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olypiques (JO) de 2012. Il s'agissait de construire une tribune nouvelle, ou de surélever celle qui existait du côté de Boulogne (l'une des rues qui bordent le stade est frontalière de la ville de Boulogne-Billancourt). Mouais. c'était encore du béton, mais de toutes façons, il va bien falloir moderniser un peu Jean Bouin qui, il est vrai, est vétuste. En contre-partie, on proposait d'ouvrir enfin l'espace central de l'hippodrome d'Auteuil pour y implanter des terrains de sport. La contrepartie était valable. Quand on me demanda mon opinion, j'indiquai qu'on pouvait voter le projet, ce qu'ont fait, je crois, les élus UDF (ou la plupart d'entre eux, même Bariani concerné de près) en février 2007.

Apparemment, dès la fin 2007, le loup était sorti de la bergerie, et le projet actuel commençait à circuler. Il faut dire qu'entre-temps, Laporte, proche de Guazzini, avait été nommé au gouvernement... Guazzini parvenait à mettre en synergie, à son profit, la droite et la gauche.

Sur le papier, c'est séduisant : un stade hi-tech, éclairé grâce à des panneaux solaires, utilisant l'eau de pluie pour arroser le gazon, et construit avec des matériaux peu carbonés. Seulement voilà : ce stade "fait" 20000 places. À côté du Parc des Princes, c'est comme une réplique en miniature de l'épouvante. Et surtout : exit les scolaires, place aux vrais sportis, ceux qui sont là pour éclabousser l'écran d'une gifle de paillettes et pour faire du fric, du vrai. Et bien entendu, revoilà notre promoteur, un peu plus modeste, qui veut implanter des tas de boutiques dans le nouveau stade, petit colosse.

En somme, on dépense au moins 150 millions d'Euros (trois fois le montant nécessaire à la restauration de la piscine Molitor, 150 ou 200 fois de quoi construire une crèche dans le XIIIe ou dans le XIXe) pour évacuer du sport scolaire et associatif et le remplacer par du sport bling-bling.

Et tout ça, par une municipalité de gauche.

Un cauchemar.

Anne Hidalgo et son adjoint aux sports ont mal défendu, ce soir, un dossier qui n'est pas défendable autrement qu'en exprimant ce qu'ils ont fait : la haine des gens du XVIe, une haine stupide et aveugle, qui ignore complètement la réalité sociologique de l'arrondissement, notamment du sud. Certes, je ne dirai pas que le XVIe soit un quartier déshérité, mais si l'on y voit une population d'environ 150000 habitants, dont environ 20 % votent à gauche, on ne sera pas loin de considérer que les 6000 gamins du secondaire public sont ceux dont les parents votent pour Delanoë, et qui n'ont pas de solution de rechange à la disparition d'un équipement de quartier comme Jean Bouin.

Et d'ailleurs, les prof d'EPS (j'ai cru d'abord qu'ils étaient prof de PS et je ne comprenais pas) étaient là, ce soir, fous de rage, véhéments : personne ne les a consultés, ni eux ni les chefs d'établissements. "Nous travaillons avec  le rectorat, seul compétent, puisque c'est lui qui attribue les créneaux horaires dans les stades", plaidait Hidalgo. "C'est faux ! hurlaient les prof d'EPS, personne n'est consulté ! Il n'y a rien au rectorat !"

La seule compensation proposée est gorgée d'arrière-pensées politiques honteuses : si les terrains de sport (qui doivent accueillir les activités devenues impossibles à Jean Bouin) ne se font pas à l'hippodrome d'Auteuil, ce sera la-faute-à-la-droite, puisque c'est la droite qui gouverne et que l'hippodrome est à l'État. Certes, c'est politiquement satisfaisant, de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre, mais en attendant, qu'est-ce qu'on fait des 6000 gamins qui n'ont pas de stade ?

6000 gamins qu'on va promener en autocar, pendant au moins 3 ans, dans des stades du XVe (l'arrondissement qu'Hidalgo n'a pas gagné en refusant de s'allier avec le MoDem) ou peut-être du XVIIe. À raison de 35 jeunes par autocar, ça fait environ 170 rotations par semaine, 170 allers et 170 retours, dans les embouteillages, dans la pollution, et produisant de la pollution. Une réussite. Et si le champ de courses traîne, ce sera pour des années, des années, des années... des années... des années... 170 allers, 170 retours par semaine, 700 par mois.

Depuis vingt ans que la piscine Molitor a fermé, les enfants des écoles primaires publiques du XVIe n'ont plus que 40 % des créneaux horaires de piscine nécessaires. Des générations entières ne sont jamais allées à la piscine de toute leur scolarité primaire. Tout ça parce que des connards de politique trouvent ça marrant de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre. Et j'invite ceux qui croient que les écoles publiques du XVIe sont des annexes du Jockey-Club à faire la sortie des écoles, pour comprendre la sottise de leurs préjugés.

Or concernant le champ de course supposé servir d'espace sportif de rechange, on a des raisons d'être sceptique : les procédures de décision sont infiniment lourdes le concernant, parce qu'il appartient à l'État, qu'il implique quatre ministères différents (chacun avec son esprit de clocher), que la Ville de Paris en est en partie concessionnaire (ou l'était jusqu'en 1999), que le concessionnaire (France Galop) ne pense qu'au fric, et que tout cela a fait que, de 1999 à 2006, l'exploitation des champs de course du Bois de Boulogne n'avait plus aucun support juridique : de 1999 à 2001, le gouvernement de gauche ne voulait pas s'entendre avec la Ville de Paris de droite. De 2001 à 2002, c'était trop court, et de 2002 à 2006, c'était le gouvernement de droite qui ne voulait plus s'entendre avec la Ville de Paris de gauche, la roue avait tourné. Ubu roi. Kafka. Enfin, il a fallu toute la savante diplomatie de Rothschild, nouveau patron de France Galop, pour parvenir à faire sortir les champs de courses de la gestion de fait dans laquelle ils traînaient depuis des années parce que nanana la droite ne travaille jamais avec la gauche et réciproquement, car c'est beaucoup plus satisfaisant de pouvoir dire que c'est-la-faute-à-l'autre.

Donc, en résumé, on a un stade un peu vétuste qui mériterait un toilettage (pour pas cher), on a un président de club sportif qui veut faire dépenser au moins 150 millions d'Euros (d'aucuns disent 200 millions) à la Ville de Paris pour un stade où son équipe jouera ... huit ou dix fois par an ... Hein ? 200 millions d'Euros, les scolaires à la rue, pour un stade où on va jouer huit ou dix fois par an ?????

Pincez-moi. On a une municipalité de gauche, à Paris ?

Et qu'ont-ils de génial à dire pour leur défense, les politiques promoteurs de ce projet génial ? C'est que dans tout le XIXe arrondissement, il y a en tout et pour tout 3 grands terrains de sport. Trois. Diable, c'est vrai, ce n'est pas beaucoup, c'est un chiffre honteux, on voit qu'ils sont au pouvoir depuis huit ans et qu'ils ont massivement investi pour que l'Est parisien rattrape son retard sur l'Ouest... Hum. Donc, pan dans la gueule, vilains petits bourgeois du XVIe (je crois avoir assez démontré que ce n'étaient pas les bourgeois du XVIe qui allaient trinquer, mais les autres), vous qui avez plus de terrains que les autres, on vous les sucre et on les donne à n'importe qui qui va y faire du pognon. En somme, il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais de déshabiller Pierre pour n'habiller personne. De déshabiller Pierre pour déshabiller Pierre.

Du temps où je m'en occupais, la création d'un terrain de football coûtait environ 1,5 million de Francs, soit 230000 Euros. J'ai cessé en 2001, mettons que les prix aient fortement augmenté depuis, allez, disons 400000 Euros. 200 millions d'Euros, ce sont 500 terrains de football que la municipalité pourrait créer dans les quartiers qui en manquent. 500 terrains de football. Mais non, il est plus urgent de punir les nantis du XVIe (qui votent si mal) en leur ôtant les terrains qu'ils ont. Na.

C'est bête à pleurer, à manger du foin.

Enfin, cerise sur le gâteau, Mme Hidalgo a failli nous faire pleurer (d'émotion et d'attendrissement, cette fois-là), en nous expliquant que la construction de ce nouveau stade allait créer des centaines d'emplois dans le bâtiment.

C'est là qu'on rejoint la seconde partie de notre soirée thématique :

"No pasaran"

L'histoire de "No pasaran", vous la connaissez, nous la connaissons, nous l'avons vue à la télé, lue dans la presse, quand nous regardions encore la télé et lisions encore la presse. C'est celle des Pyrénées, de la Vallée d'Aspe, des constructions d'autoroutes et de la réintroduction des ours.

Voici un paysan pyrénéen, 40 ans, toujours puceau (comme dit un autre film), mais un artiste du jambon (mmh j'ai eu une furieuse envie de dévorer un jambon de montagne en sortant du cinéma). Son député-maire est tout fier d'annoncer que sa belle vallée va accueillir le progrès, une autoroute, l'axe européen E38. Fini le bon air. Mais il ne va pas se laisser faire, notre jambonneur, il va faire appel à une éco-terroriste (Rossy de Palma échappée de la grande époque d'Almodovar, une virtuose du coup de poing au service de l'environnement, fort critique contre les écologistes qu'elle accuse d'être plus attachés à leurs éco qu'à autre chose) et, bref, le film est très drôle, quelques clichés, beaucoup d'idées tout à fait idiotes et délectables.

Et l'argument est connu : l'autoroute, c'est le progrès. Mais est-ce le seul progrès possible ?

Et en apparence, la construction du nouveau stade, ce sont des emplois, c'est le progrès, le sport de haut niveau, à Jean Bouin, c'est le progrès, ce beau stade tout bardé de certificats de développement durable, c'est le progrès. Ouais, sauf que, en fait, on pourrait s'en passer, on n'en a pas besoin, il y a déjà deux grands stades sous-utilisés en Île de France : le Stade de France et Charléty (à Paris XIIIe). Pourquoi construire un stade de plus quand on n'utilise pas ceux qu'on a ?

Et pourquoi cette autoroute saloperait-elle la Vallée d'Aspe quand on pourrait faire autrement, développer d'autres moyens de transport ? Alors, "no pasaran", le cri des communistes espagnols d'autrefois, traduction du fin mot des poilus de Verdun : "Ils ne passeront pas".

03/09/2009

"Non ma fille, tu n'iras pas danser", Breizh atao contre Hadopi.

Connaissez-vous le lac de Guerlédan ? C'est l'un des sites les plus spectaculaires de Bretagne, dans les sommets de ce pays peu montagneux. J'ai participé à un chantier de fouilles archéologiques durant deux morceaux d'été, il y a vingt-cinq ans, non loin du lac, plus haut. Nous examinions ce qu'on appelle couramment un dolmen, en fait une sépulture néolithique à entrée latérale, avec hublot. L'endroit était charmant, l'équipe bigarrée et joyeuse, et il y avait une jolie fille. Bref, un bon moment.

Nous dormions dans l'école désaffectée de la petite commune de Caurel, au bord d'une voie romaine devenue la Nationale 164, la route du centre, la route des crêtes, en Bretagne. En contre-bas, à plusieurs dizaines de mètres, s'étendait le long et silencieux lac de Guerlédan. En vérité, ce n'est pas un lac. Ce fut d'abord un tronçon du canal reliant Nantes à Brest décidé par Napoléon, dont la création a occupé toute la première moitié du XIXe siècle. Après la première guerre mondiale, la fonction du canal a perdu son importance et un ingénieur a eu l'idée d'un barrage hydroélectrique, le lac de Guerlédan est la retenue d'eau de ce barrage.

En face de Caurel se dresse l'un des sommets véritables de la Bretagne : la colline Sainte-Tréphine, au sommet de laquelle Tréphine, l'épouse du roi Cheval, Marc Conomor (un personnage attribué au VIe siècle et supposé l'oeil des Mérovingiens en Armorique), aurait été assassinée par son mari. Elle ressuscita comme Sainte Quitterie, c'est une époque où les femmes maltraitées bénéficiaient de l'indulgence divine... Bref, celle colline Sainte-Tréphine est un site formidable de l'âge du bronze, un piton abrupt de trois côtés, auquel on accède par le quatrième, une pente également rude. Le camp fortifié du sommet est protégé par une triple rangée de rocher sphériques énormes. Dès qu'un assaillant s'essayait à escalader la pente, les défenseurs se jetaient sur les rochers avec des leviers et faisaient dévaler la pente à ces énormes boules de bowling qui devaient écraser les guerriers adverses à qui mieux-mieux.

Du haut de Sainte-Tréphine, par un à-pic, on domine le lac de Guerlédan de plus de cent mètres. Avant le lac, le sommet culminait à cent cinquante ou deux cents mètres au-dessus du fond du val.

La dernière enquête de la célèbre capitaine de police de Quimper Mary Lester, personnage du romancier Jean Failler, se déroule au bord du lac de Guerlédan.

Et toute la première heure du film s'y passe aussi, dans un manoir au bord du lac quand celui-ci n'est encore que le canal, tout près d'une écluse. À vrai dire, on fait aussi une escapade près du lac de Brennilis, on passe d'une centrale hydroélectrique à la première centrale nucléaire pionnière de l'énergie atomique...

C'est pour la bonne cause : une scène de conte qui rassemble une foule de costumes folkloriques de toutes les parties de la Bretagne pour une danse traditionnelle, une scène de toute beauté, formidablement filmée.

Chiara Mastroianni impériale

Le personnage central du film est une femme qui a passé la trentaine, une rebelle qui n'ose pas aller au bout de sa rébellion, une femme habitée par le mal-être, le mal de vivre, qui n'a pas supporté l'adultère dont elle est victime. Son divorce réveille le mal-être qui s'était estompé en elle, elle plaque tout et rejette tout avec une évidente souffrance.

La dépression est d'ailleurs l'un des thèmes récurrents de l'oeuvre de Christophe Honoré, on la trouve en particulier dans son film Dans Paris, en 2006, où Romain Duris fait une grosse déprime dans un film triste.

L'autre sujet récurrent, c'est la pulsion freudienne. Elle était très à vif dans "Ma mère", en 2004, l'un des films les plus malsains et désagréables que j'aie vus, malgré la peau soyeuse d'Emma de Caunes.

Logiquement, la cible de l'agressivité que lui donne sa dépression est la famille qui entroure le personnage interprété avec une grande sincérité par Chiara Mastronianni. Ils ont tous tort, tout le temps. Ils la jugent, ils interviennent dans sa vie, ils font tout à sa place. Elle étouffe, en quête de paix et de liberté.

Et ils sont tous parfaits dans leur rôle, très justes de bour en bout, la mère Marie-Christine Barrault, la soeur Marina Foïs, le frère Julien Honoré, dans cette belle Bretagne filmée sans manière, avec la simplicité du regard familier.

Pour elle, et c'est vrai, personne ne peut vivre sa vie à sa place, et si elle ne peut pas se satisfaire du confort tiède de la vie bourgeoise, ils doivent accepter qu'elle soit en perpétuelle recherche d'autre chose, en fait une inquiétude liée à sa souffrance, plus qu'une vraie envie de liberté consciente et raisonnée.

Engagés contre Hadopi

Le film est un véritable nid d'anti-Hadopi : Christophe Honoré, Chiara Mastronianni, Louis Garrel, ont signé au printemps le manifeste qui rejetait l'Hadopi et appelait à une réflexion sur la rémunération des auteurs.

Espérons que le public aimera leur beau film sur la vie, sur la Bretagne, sur la famille, sur les racines, et sur les contes de bonnes femmes.

02/09/2009

Pourquoi la BNF doit résister à Google.

La Bibliothèque Nationale de France (BNF) annonce qu'elle est en pourparlers avec Google pour la numérisation de ses fonds. Tollé dans le monde scientifique, le ministre temporise, la commission européenne annonce qu'elle est aussi en négociation avec Google sur ce même sujet, et on se demande de quoi elle se mêle.

Je ne parlerai pas ici des autres grandes bibliothèques publiques européennes, dont je n'utilise pas les fonds numérisés. Je connais en revanche bien le fonds Gallica de la BNF, dont je suis usager régulier. Je connais aussi le service Google, car il m'arrive de le rencontrer en cherchant sur Internet.

Le premier constat est évident : la qualité du service proposé par Gallica est infiniment supérieure à celle du service Google. L'indexation des contenus, la présentation, la souplesse, la capacité de prise en charge en deux formats (tiff ou pdf), la rapidité et la simplicité du téléchargement... Et sur Gallica, on ne me propose pas de courir acheter ce volume introuvable que je consulte : la consultation et le téléchargement sur Gallica sont des outils scientifiques, pas des annexes d'une boutique.

Si j'ajoute ce qu'on dit, qui est que les numérisateurs de Google abîment fortement les ouvrages en les manipulant, qu'ils ne sont pas toujours exhaustifs (d'autant moins qu'ils ne comprennent rien à ce qu'ils photographient), que la quantité y est nettement au détriment de la qualité, j'avoue que je préfère que la BNF aille à son rythme, qui est celui d'offrir la qualité d'excellence scientifique qui est son domaine et son univers, laissant le reste au brigandage organisé qui se nomme Google.

Je ne dis pas ça parce qu'au bout de six mois, je n'ai toujours pas reçu le premier centime de Google Adsense (d'abord, on m'annonçait que je serais payé quand j'aurais atteint 10 Euros de chiffre d'affaires publicitaire, puis quand ce serait 70 Euros, j'en suis à presque 40 en six mois - il est vrai que mon blog s'est fortement ralenti - et je n'ai toujours rien reçu), car même si j'étais grassement payé par Google, je ne pourrais que constater que, s'il est vrai que Google propose des conditions en apparence très avantageuses pour ses services, il est évident que les contreparties seront exorbitantes, et qu'on parlera vite d'un épouvantable gâchis qui aura abîmé à la fois les collectiions et l'image de marque de la BNF.

Enfin, il faut le dire : le dépôt légal, qui existe depuis le XVIe siècle, est le nerf même du service public du livre, la numérisation est une étape historique pour ces ouvrages, elle entre dans la substance même du dépôt légal, elle en est le prolongement, elle doit appartenir à la BNF elle-même et être gérée au plus près du service public, la numérisation actuelle est satisfaisante, si plus de moyens peuvent l'accélérer, je vote pour plus de moyens, quitte à lever des fonds auprès du public.

Enfin, il me semble indispensable d'amender le principe du dépôt légal pour les ouvrages déposés quotidiennement : mes livres, les vôtres, ceux que les éditeurs produisent, ainsi que l'ensemble des publications sur papier (sans parler évidemment de celles qui demeurent à l'état numérique) sont numérisés. Dans quelques jours, c'est un fichier PDF que je vais fournir à mon imprimeur. Eh bien, si l'on prescrivait que ce fichier PDF, je le fournisse à la BNF avec le dépôt légal des livres imprimés, on gagnerait beaucoup de temps pour l'avenir. Voilà je crois, une vraie décision, utile, pour éloigner les marchands du temple.

07:22 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : culture, bnf, numérisation, google | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/08/2009

"Un prophète" devient caïd en son pays.

La vraie politique ne s'apprend pas à Sciences-Po. Le pouvoir est affaire d'instinct. Ce qu'on apprend à Sciences-Po, ce sont les mots et les phrases réclamées par le milieu. Comme disait Balzac, la société se paie avec ce qu'elle donne : des apparences.

Ce qui rend intéressant le nouveau film de Jacques Audiard, sorti mercredi, "Un prophète", c'est justement qu'il donne une leçon de pouvoir, en même temps qu'il montre comme les circonstances sont souvent plus décisives que les calculs, même si les calculs doivent relayer les commandements de l'instinct. Celui qui prend le pouvoir est en définitive toujours celui qui, au moment le plus déraisonnable, empoigne ses flingues et se jette dans la mêlée, et en ressort victorieux. C'est Napoléon à Arcole.

Les règles de conquête du pouvoir sont universelles, quelle que soit la forme du régime, l'époque, la couleur, la religion, le pays : d'abord, on s'appuie sur plus puissant que soi, de préférence un premier couteau. Puis, au moment où on le voit en situation plus faible, on l'élimine et on le remplace.

La prison dans laquelle l'histoire du film se déroule est une société en miniature, avec son administration, son autorité apparente et son pouvoir occulte. Les mafieux corses en ont le contrôle parce que leur organisation s'étend au-delà des murs et que, de là, elle leur permet de tirer les ficelles de ce milieu sans droit, sans foi ni loi, qu'est la prison, via les matons, qui comme toute police, sont d'abord les instruments du pouvoir le plus friqué.

Les cultures sont à vif : dans cette prison française, les détenus se parlent en langue corse ou en arabe. Niels Arestrup, qui joue ici le parrain corse toutes mâchoires dehors, m'a fait penser à ce que Claude Goasguen racontait des grands jours de Jacques Dominati, alors premier adjoint corse au maire corse de Paris (Tiberi) : quand Dominati était en colère (souvent) il s'emportait et menaçait ses interlocuteurs en langue corse de les "pendre par les couilles à la grille de l'Hôtel de Ville". Les yeux furieux, les dents hérissées, la violence à fleur de visage, une forte puissance, Arestrup incarne un parrain très loin du folklorisme cher à feu Audiard père, on n'est pas dans les Tontons flingueurs, et même pas dans le cinéma noir des années 1950, loin de "Touchez pas au grisby". On est plus près de Scorsese, avec moins de jouissance dans la brutalité.

Et d'ailleurs, la mosquée que l'on traverse furtivement ressemble trait pour trait aux églises qui servent de points d'appui contraints aux mafieux italo-américains, et les affrontements des Irlandais, des Italiens, des Porto-Ricains et des autres mafieux d'Amérique sont présentés là-bas comme le fait Audiard de la confrontation dans la prison.

Hélas, le réflexe culturel est en définitive toujours gagnant.

Communautarisme et réseau

La gamin qui débarque dans cette prison centrale a 19 ans, ne connaît personne, n'a pas de famille, pas d'amis, ne sait pas lire, parle le français et l'arabe, mais sans le savoir. Il ne se sait aucune culture et, de ce fait, n'a pas de réseau naturel, ce qui le fait récupérer par les Corses. On va voir défiler un jour devant l'appel des matons Santucci, Graziani, Neri et ... Bendjenaa, effet comique garanti. Bendjenaa n'est pas avec les autres Arabes, il est avec les Corses, et quand le parrain corse lui demande d'aller parmi les Arabes, il répond qu'ils le croient corse.

Qu'est-ce qui fait qu'en définitive, le lien culturel l'emporte ? Pourquoi un Arabe (si l'on peut continuer à parler comme ça) est-il plus déplacé parmi des Corses que parmi d'autres Arabes ? Pourquoi cette force d'évidence qu'il y a des choses qu'on fait à un gadjo et non à un gitan quand on est gitan ? Pourquoi, à l'inverse, si un Corse veut tuer un autre Corse, demandera-t-il plus volontiers à un Arabe qu'à un Corse de faire le travail qui sort du cadre et de la ligne jaune ? Voilà un des mystères que l'universalisme des Lumières n'a pu vaincre encore.

C'est que l'être humain a besoin de réseaux et que le clan et ses avatars sont la formule la plus confortable et la plus naturelle du réseau.

Les Bretons qui débarquaient fauchés de leur cambrousse, en 1900, descendaient des wagons de bois de la 3e classe à la gare Montparnasse. Égarés, héberlués, parlant parfois un français limité à une poignée de mots, ils sortaient de la gare et cherchaient quelque chose de familier à quoi se raccrocher. Le besoin créant le marché, et le marché le bistro, il y avait en ce temps-là une foule d'estaminets plus ou moins borgnes qui fleurissaient le long des rues de leurs hermines, tout autour de la gare. De préférence, le patron indiquait son coin d'origine en vitrine : Guingamp ou Carhaix, la langue bretonne varie fort d'un canton à un autre. Allez voir : il reste une escouade de crêperies à Montparnasse.

Car si l'on ne connaît personne à Paris, on connaît au moins un Breton, quand on est breton, qui ne vous refusera pas un conseil, un lit de paille et une adresse ou embaucher. C'est comme ça.

Le réseau est ce qui fait que des gens qui ne se connaissent pas se sentent en familiarité. Il y a des réseaux ethniques, donc, mais aussi politiques, religieux, économiques, ou par affinités de collectionneur, d'anciens élèves de lycées, de franc-maçonnerie, de rotary, de grands clubs sportifs (Racing ou Stade Français, pour l'ouest parisien bourgeois), de clubs tout court ou de cercles (le Polo, l'Interallié, le Jockey), il y a des réseaux pour tout, sur tout, tout le temps, partout, à tout propos et hors de propos. Il y en a même qui prétendent que les réseaux vont remplacer les autres formes d'organisation sociale...

Mais le réseau n'est pas toujours la panacée.

Le réseau et la pyramide

La communauté, réseau naturel, dès lors qu'elle prodigue ses bienfaits à ses protégés, en fait ses obligés. Ceux qui dirigent la communauté réclament alors l'allégeance. En apparence, c'est tout le réseau qui fait pression sur l'individu. En fait, c'est le chef qui actionne le réseau. La communauté devient une structure féodale basée sur la mise en danger de l'individu qui le contraint à se trouver une protection. Cette structure féodale se nomme la pyramide et, par certains côtés, les brigands corses ressemblent à ce qu'ont dû être les guerriers rançonneurs juchés sur leurs tours de bois aux heures les plus sombres du Moyen Âge. Tout cela apparaît nettement dans le regard porté par Audiard sur son sujet.

La question est donc : si le réseau dérive en pyramide, comment peut-il être supposé libérer l'individu ? Question pas mince pour moi, étant donné l'appétit de notre chère Quitterie pour les logiques de réseau.

Question d'actualité aussi, puisque Daniel Cohn-Bendit propose de réorganiser l'opposition selon une formule innovante, sans tête ni hiérarchie, fondée sur une logique de réseau, horizontale et arborescente.

Pour ce qui est de ce dernier sujet, il faut dire tout de même que celui qui propose une formule est aussi celui qui veut être la clef de voûte de cette formule, c'est comme ça, il crie "Ralliez-vous à mon panache blanc", c'est la contradiction interne, irréductible, de la proposition de DCB. L'entité nébuleuse qui se nomme Europe Écologie est d'ailleurs un hybride où se côtoient de pures ambitions politiciennes et l'appétit civique pour les responsabilités publiques. On y retrouve le talent longtemps réservé à la gauche d'entrer en symbiose avec le monde associatif (et que la gauche maîtrise mieux à l'échelle locale), qui donne à l'élan récent d'EE la force de régénérescence que beaucoup d'électeurs de Bayrou de 2007 pensaient qu'il pourrait être pour la gauche. Un ancrage dans les milieux de la réalité active, les organisations de terrain, est évidemment crucial. Mais on verra bientôt les interrogations sur les éventuels conflits d'intérêts des ONG financées sur fonds publics, qui entrent dans les sphères dirigeantes des collectivités qui les subventionnent. L'endogamie est-elle toujours saine ?

Et puis, réseau de l'opposition, naturel à ceux qui se sentent en conflit avec le pouvoir français actuel sans vouloir s'encarter dans un fan-club, c'est bien, mais il ne faudrait pas que la bergerie se transforme en garde-manger pour les loups qui sommeillent dans quelques agneaux...

Car s'il y a opposition, c'est qu'il y a pouvoir, et volonté de remplacer les dirigeants du pays par d'autres. Et lesquels ? Et comment les loups ne dévoreraient-ils pas les agneaux ? Comment la logique pyramidale ne triompherait-elle pas nécessairement dans le réseau, par le fait que l'armée doit s'adapter à son adversaire ?

Ce sont les enjeux de l'époque et ce n'est pas un hasard si le film d'Audiard paraît si fort, si impérieux : c'est qu'il parle de notre temps, et que la nouvelle génération, dont il montre la prise de pouvoir sur la société carcérale, c'est aussi celle qui pousse tout autour de nous pour imposer sa façon d'être, qui réclame une vie sans sujétions, sans logiques hiérarchiques. On peut lui trouver des accents rousseauistes, être parfois effrayé par son appétit d'utopie, mais, comme le film le montre, les logiques naturelles sont toujours celles qui triomphent. N'est-ce pas, Quitterie ?

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29/06/2009

"Jeux de pouvoir" : à ne pas manquer pendant le faîte du cinéma.

Comment transformer une série télé britannique en un très bon film américain (regorgeant d'ailleurs d'acteurs britanniques, et avec l'argent français de Studiocanal).

Russell Crowe est ici journaliste, un journaliste autour de la quarantaine, victime comme ses confrères de la grave crise que traverse la presse écrite et confronté aux méthodes de la jeune génération qui fait prospérer l'info sur Internet (la jolie Rachel McAdams parfois vêtue exactement comme Quitterie l'an dernier). Un journaliste aux convictions philosophiques affirmées, puisqu'il a chez lui un mug orné de motifs maçonniques.

Sa patronne (Helen Mirren, grande actrice britannique qui a tout joué depuis trente ou quarante ans) mise sur cette nouvelle génération et se réjouit de voir la plateforme Internet et blogante de son journal renflouer le support papier en perte de vitesse.

Il a un ami, jeune politicien engagé dans une lutte intrépide et salutaire contre l'exploitation de la guerre par des intérêts privés qui s'en truffent les poches jusqu'à un point que je dois qualifier d'effarant. Ce film est à montrer à tous ceux qui pensent que les privatisations sont une bonne chose, il les en guérira.

Autour d'assassinats et de machinations, de fantômes du Watergate, de politiciens hantés par la bigoterie, c'est évidemment l'Amérique de Bush qui est dénoncée par Russell Crowe dont le mot d'ordre est clair : "Yes we can !".

Une occasion aussi de réconcilier la presse écrite avec Internet et, dans une intrigue au dénouement subtil, de mesurer à quel point le rôle de chacun, selon sa conscience et sa perception des événements, est crucial pour le salut de l'ensemble.

14/05/2009

Aubervilliers, concert d'Anne Sylvestre (et le minou de Quitterie).

Aubervilliers organise un festival pendant une semaine, qui s'intitule Aubercail, on va dans un endroit un peu perdu, entre des entrepôts et le chantier de construction de vastes immeubles de bureaux par Bouygues. Ce soir, j'y suis allé écouter Anne Sylvestre. Elle n'est pas venue dans cette ville par hasard : une école maternelle y porte son nom...

Elle y donnait le spectacle de son jubilée de cinquante ans de chanson. Et c'est une forme de pèlerinage pour elle... et pour moi : elle a connu ma mère à l'école de voile des Glénan, juste avant de se lancer dans la chanson, elle est ensuite devenue la marraine de ma soeur, et, lorsque j'étais adolescent, nous allions tous ensemble, rituellement, à la première et à la dernière de chacun de ses tours de chant à Paris. C'était l'époque où elle chantait l'un des hymnes des féministes (une berceuse pour un enfant qui ne doit pas naître, l'enfant non désiré qui justifie le droit à l'avortement). Et lorsqu'on s'étonne que j'adhère au fait que les féministes aient réclamé l'égalité, eh bien je dois reconnaître que j'ai été fort imprégné des thèses féministes dans mon adolescence, ce qui doit être la preuve que l'égalité est avant tout produite par l'imprégnation, donc par l'éducation.

Plaisir de retrouver certaines de ses chansons, comme des madeleines (Lazare et Cécile, Mon mari est parti, Un bateau s'est cassé Baptiste - qui a déchaîné l'enthousiasme du public car c'est un texte très écolo, Les amis d'autrefois - qui parle justement de l'époque des Glénan), et d'entendre raconter les débuts des chanteurs dans les années 1950 : les soirées où l'on courait chanter quelques chansons dans un cabaret, puis dans un autre, rencontrant les autres débutants, ou les autres un peu moins débutants, Béart lui prêtant une guitare un soir où elle avait cassé une corde...

Un pèlerinage réussi, donc, et un public un peu froid au départ, finalement conquis.

En première partie, un chanteur qui perpétue la tradition de la chanson française, Hervé Akrich. Très bon dans l'énergie et la gouaille, des mélodies parfois très puissantes et colorées. Et un sens de l'humour assez narquois, reposant sur de très nombreux jeux de mots. J'en ai retenu un dans une chanson où l'auteur développe une idée qui est aussi un jeu de mots : "J'aime ma langue". À un moment, là où quiconque dirait "je donne ma langue au chat", lui il dit "je donne ma langue à ton minou", ça change tout évidemment. Un jeu de mots qui, j'en suis sûr, fera rire Quitterie.

08/05/2009

"Commis d'office" : "aux soutiers du pénal".

La profession d'avocat devrait être réservée aux rentiers, à ceux qui n'ont pas besoin de travailler pour vivre. Cela éviterait aux petits besogneux de s'y abîmer et aux plus gros de s'y perdre en cédant aux nombreuses tentations qui s'y présentent.

Les avocats commis d'office sont la piétaille des avocats. Au mieux, on est commis d'office en début de carrière, quand il faut se faire la main, se faire connaître, avant de se faire une clientèle ou, de plus en plus, d'intégrer un grand cabinet où l'on est d'abord salarié, puis éventuellement associé. Au pire, on y végète, et c'est un métier très dur et peu rémunérateur. Il y a déjà fort longtemps que Paris compte un bien trop grand nombre d'avocats pour que tous puissent en vivre dignement, et la fusion des professions d'avocats et de conseillers juridiques, voici une bonne quinzaine d'années, n'a rien arrangé. Il faut pourtant se souvenir que la paupérisation des métiers judiciaires est l'un des moteurs de la Révolution française.

Rappelons que la commission d'office est la conséquence du droit qu'a toute personne à un procès équitable, donc à être défendue : si elle ne peut se payer un avocat, la société lui en offre un (pour pas cher : 300 Euros, le contribuable est fauché).

Pour certains avocats, les causes d'office sont cependant une garantie de revenu minimal, une planche de salut. Tel est le cas pour Antoine Lahoud (Roschdy Zem), avocat d'office depuis plus de dix ans, cantonné aux cages du palais de justice et aux causes minables de gamins qui ont dealé une barette de shit, aux putes nigérianes que l'on va renvoyer dans leur pays malgré le risque qu'elles y soient lapidées, aux paumés de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de tous les pays.

Portrait là d'un sacerdoce que, comme le dit un avocat bien plus installé, "il faut laisser aux jeunes et aux femmes".

Cette partie documentaire mérite d'être vue, réellement. Ensuite s'enclenche l'engrenage d'une intrigue bien menée, assez convaincante, où l'abattage de Roschdy Zem et de Jean-Philippe Écoffey fait merveille.

La conclusion a une fin très dans l'esprit des avocats. La blague qui circule depuis des lustres sur ceux-ci est la suivante : un jeune avocat vient de plaider sa première cause. Il la gagne. Tout content, il envoie un mail (dans la blague antédiluvienne, c'est un télégramme) à son vieux maître : "le bon droit a triomphé". Le vieux maître répond par un mail laconique : "faites appel", qui signifie que la question n'est pas de savoir si le droit a triomphé, mais si l'avocat a gagné le procès.

On est loin, au fond, du serment par lequel les avocats s'engagent à exercer leur métier avec "dignité, conscience, indépendance, probité et humanité".

En somme, un bon moment, très instructif, écrit et réalisé par une avocate qui a dû se faire de solides ennemis à cette occasion, et, espérons-le pour elle, de nombreux amis parmi les défenseurs de la justice pour tous.

19:17 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, cinéma, roschdy zem, avocat, écoffey | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

07/05/2009

"Good morning England" : cinq gus dans un bateau.

La similitude avec l'époque actuelle est flagrante : une génération nouvelle ne se reconnaît plus dans la façon dont les institutions et le système perpétuent l'image, les pratiques et la musique d'un monde enfermé dans des schémas périmés. Pour la génération des années 1960 au Royaume-Uni, la liberté est synonyme de rock'n roll et de musique pop. Des dingues de ces musiques s'installent sur un cargo poubelle, en mer, et, tels des pirates, diffusent la musique libre vers l'île de Grande-Bretagne. Dans le film, ils créent une radio indépendante, "Radio rock", qui pourrait aussi bien s'appeler "Radio cock" vu la chaleur de l'ambiance à bord. Le principe des radios pirates a vu le jour. Le gouvernement britannique, incarné jusqu'à la caricature par un Kenneth Branagh déchaîné, va mener une guerre juridique jusqu'à étouffer leur initiative, qui s'éteint dans l'été 1967...

Un film vital et irrévérencieux à lire en se torchant avec le texte du projet Hadopi.

24/04/2009

"17 ans encore" : si c'était à refaire...

Ned est le roi des pirates : il a inventé LE logiciel qui permet de stopper le piratage et... LE logiciel qui permet de tout pirater. Le voici donc riche, ce qui va lui permettre d'aider son meilleur ami depuis le lycée à... choisir sa vie.

Double effet dans ce film : le jeune comédien Zac Efron (qui fait se pâmer les jeunes filles mais qui à mon avis n'est pas de ce côté-là, tant pis pour lui, et tant mieux pour les autres, qui auront les filles...), et la crise des trente-cinq ans de ceux qui, à l'âge de dix-sept ans, regardaient la série "Friends" à la télé et qui, quinze et quelques années plus tard, s'interrogent sur leur vie, sur leur réussite, sur leurs rêves de jeunesse. Matthew Perry est marié dans le film à une sorte de sosie de l'actrice dont le nom m'échappe et qui était à la fois sa partenaire et sa conjointe dans "Friends". Mon commentaire sur ce film sera une citation de Vigny : "Le bonheur, c'est un rêve que l'on fait dans l'adolescence et que l'on réalise dans l'âge adulte".

Pour le reste, la salle était bien emplie de jeunes filles qui ont gloussé et rigolé à souhait. Le film est fait pour elles, et atteint visiblement son but. Seul bémol : il est un peu paternaliste et macho, les gamins de seize ans sont valorisés parce qu'ils ont une copine, mais les gamines de dix-sept ans sont des putes si elles ont un copain. Tsss.

22/04/2009

"Celle que j'aime" : maman aime un nouvel homme.

Élie Chouraqui est un cinéaste très à part dans sa profession. Il a débuté par hasard comme assistant de Claude Lellouch et a fait des films très divers, parfois ambitieux, souvent réussis, très souvent critiqués, dont j'ai aimé quelques-uns, en particulier "Les marmottes" (1993), coécrit avec la cinéaste Danièle Thompson, un délicieux film choral rythmé par un jazz très velouté.

Son film suivant "Les menteurs" (1995) était peut-être un peu trop ambitieux, il s'attaquait à un tabou du cinéma français : l'assassinat du producteur Lebovici en 1982, lequel Lebovici est supposé avoir entretenu des rapports d'argent et de blanchiment avec des mafieux. Ce producteur est alors interprété merveillseusement par Samy Frey. La narration est complexe, mêlant plusieurs niveaux qui s'entremêlent, et c'est une occasion de voir la belle actrice Julie Gayet au meilleur de son talent.

Ayant fait un break après ce film, Chouraqui est revenu, a fait des comédies musicales de succès inégal, et réalisé "Ô Jérusalem" que j'avoue n'avoir pas vu. En 2008, alors même qu'on osait attaquer Jean-Christophe Fromantin au nom d'un supposé antisémitisme, Chouraqui (dont les racines juives sont un sujet central) figurait sur sa liste pour les élections municipales de Neuilly-sur-Seine, en plein Sarkoland. Et c'est ainsi qu'Élie Chouraqui, après avoir été basketteur dans l'équipe de France, cinéaste et metteur en scène de comédies musicales, est devenu conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine...

Le voici avec son nouveau film : "Celle que j'aime", avec Marc Lavoine, Barbara Schultz et Gérard Darmon.

Comme souvent chez Chouraqui, il y est question d'un amour excessif d'un fils pour sa mère. Mais cette fois-ci, le sujet central est différent : Maman aime un nouvel homme. Le jeune Achille va-t-il tolérer cet intrus dans le lit de sa mère et dans leur vie ?

C'est un film réussi, Barbara Schultz y est impeccable et dans toute la beauté de la femme, Lavoine parfait, Darmon aussi, bref, un vrai bon moment de cinéma par l'un des meilleurs réalisateurs français vivants.

19/04/2009

"Dans la brume électrique" (Tavernier) : soigné, mais conventionnel.

Bertrand Tavernier a fait quelques grands films. "La vie et rien d'autre", "Le juge et l'assassin", par exemple, sont des brûlots puissants. Dans le premier, Tavernier s'attaque au redoutable comité des forges. Dans le deuxième, il dénonce une justice de classe et fait l'apologie implicite de la Commune de Paris. Il a fait des portraits très réalistes de policiers et de prof, de militaires et de commerçants. Ses films n'ont pas un discours moral à vendre, mais souvent un propos politique et militant à exposer.

Son nouveau film obéit à la logique première : pas d'exposé moral, juste un portrait collectif, très soigné, sobre, sans grande psychologie non plus. Mais alors qu'il a bien vu que le sujet de la Louisiane d'aujourd'hui, c'est les suites de l'ouragan Katrina, il fait un film sur l'Amérique du sud profond des années 1960, il fait le portrait de la société d'il y a quarante ans, et Katrina n'est que le prétexte de quelques détails du scénario.

Et aucun regard, donc, sur la société américaine d'aujourd'hui, juste un polard assez banal, soigné, mais conventionnel. Tavernier a vielli. Son aversion contre Hadopi serait-elle due à ce vieillissement ?

14/04/2009

Maurice Druon, mort d'un écolo malgré lui.

Je ne vais pas faire une nécro conventionnelle de Druon. Mais il m'a marqué, au-delà même du Chant des Partisans coécrit avec son oncle Joseph Kessel et mis en musique et interprété par une femme, Anna Marly.

Mon goût pour l'histoire s'est révélé devant le feuilleton tiré de ses "Rois Maudits", quand j'avais sept ou huit ans.

Et puis, vers la même époque, on m'a offert un très joli conte écolo qu'il avait écrit : "Tistou les pouces verts", qui a enchanté mon enfance.

Mais bien entendu, sa mort est l'occasion de réécouter et de reréécouter, en boucle, le Chant des Partisans, ceux qui ont su désobéir.

 

"Ami, si tu tombes,

Un ami sort de l'ombre

À ta place..."

 

"Sifflez, compagnons,

Dans la nuit, la liberté

Nous écoute..."

10/04/2009

Hadopi : la liste du cinéma qui s'y oppose s'allonge.

À la suite d'un article se réjouissant du rejet de l'Hadopi par l'Assemblée Nationale, on trouve une seconde liste de signataires actuers, producteurs et réalisateurs de cinéma qui s'y opposent. Voici la liste complète, prise sur le site "Pour le cinéma", hier :

Victoria Abril (actrice)

Chantal Akerman (réalisatrice)

Agathe Berman (productrice)

Paulo Branco (producteur)

Catherine Deneuve (actrice)

Louis Garrel (acteur)

Yann Gonzalez (comédien)

Clotilde Hesme (actrice)

Christophe Honoré (réalisateur)

JP Limosin (acteur)

Chiara Mastroianni (actrice)

Zina Modiano (réalisatrice)

Gael Morel (réalisateur)

 

Eva Truffaut (artiste cinéaste, ayant-droit de François Truffaut)

Brigitte Rouan (réalisatrice)

Françoise Romand (réalisateur)

Laurence Ferreira Barbosa (réalisateur)

Santiago Amigorena (réalisateur)

Jeanne Balibar (actrice)

Luc Wouters (SRF)

Jean Sainati (ex délégué de l'ALPA général de 88 à 2002)

Pierre Cattan (producteur)

Gilles Sandoz (producteur

Pascal Verroust (ADR productions)

Timothy Duquesne (auteur)

Agnès de Cayeux (azuteur

Nathalie Chéron (directrice de casting)

Gisčle Rapp-Meichler (cinéaste)

Sylvain Monod (producteur, cinéaste)

11:29 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : médias, culture, cinéma, hadopi | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

"Katyn" : le monde en morceaux.

À la fin de l'année, nous célébrerons le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Avant cette chute, il y a eu des lézardes qui, peu à peu, ont démoli tout l'édifice soviétique dans les années 1988 et 1989, d'aucuns diront depuis la "glasnost" et la "perestroïka" gorbatchéviennes en 1986. La fin de la domination de l'Union Soviétique sur l'Est européen semblait l'aboutissement d'une lutte d'une décennie dont quelques noms étaient les symboles : Solidarnosc, mouvement civique et syndicat, Lech Walesa l'ouvrier syndicaliste, Bronislaw Geremek l'intellectuel, et Andrzej Wajda le cinéaste. "L'homme de fer" était le film emblématique de cette époque (celle où le Canard Enchaîné titrait "l'ordre règne à Varsoviet" pour résumer le coup de force de Varsovie). Wajda vint ensuite tourner en France un "Danton" très inspiré et continua à incarner la résistance à l'ordre extrême et totalitaire.

Le voici, vétéran, ayant dépassé les quatre-vingts ans (pour être honnête, je le croyais mort), sortant de son vieux chapeau un film terrible et autobiographique sur la déchirure, la blessure, à la fois intime et historique, qu'il partage avec son pays, la Pologne. Le titre de ce film est déjà sinistre : "Katyn".

Bronislaw Geremek, le regretté sage et libéral député polonais au parlement européen, vétéran de Solidarnosc comme je l'ai dit, a eu l'occasion de venir parler en France devant la commission pour le livre blanc sur la défense. Il aimait la France d'instinct, parlait un Français parfait et rendait hommage à Napoléon qui (on l'oublie trop souvent) a ressuscité la Pologne pour un bref instant de quelques années. En 2005, lorsqu'il est venu participer à des meetings pour l'adoption du référendum européen, il disait, navré : "Évidemment, il y a Napoléon, et puis il y a les Français d'aujourd'hui..." Bref, pour en revenir à ce qu'il a dit devant la commission sur la défense, ses mots étaient nets :

- Bien sûr, il y a eu Auschwitz (ndht : en fait, Auschwitz est la ville polonaise d'Oswiecin). Bien sûr, il y a eu Auschwitz, mais il y a eu Katyn.

Disant cela, il ne cherchait en rien à minimiser la shoah, ni à évacuer Auschwitz, mais il illustrait une pierre d'angle de l'approche diplomatique et géostratégique de la Pologne : on ne peut pas faire l'impasse sur le fait que les soviétiques ont commis l'affreux crime de guerre au printemps 1940 d'assassiner froidement 12 000 officiers de l'armée polonaise qu'ils détenaient prisonniers.

Et le film de Wajda, sombre, froid, terrible, nous explique pourquoi, bien au-delà encore du crime de guerre, l'atrocité de Katyn est un crime contre l'esprit humain : c'est parce que les soviétiques ont bâti une épouvantable mise en scène pour faire endosser le massacre par l'armée nazie. Plus terrible encore que le crime, il y a la négation du crime, et le fait que l'on ait fait enseigner à des générations d'écoliers que ce crime avait été commis par d'autres, travestissement de la réalité historique.

Et c'est aussi le symbole de ceux qui, survivants en 1945, ont choisi de plier le genou devant le pouvoir soviétique. Le monde était en morceaux, il fallait choisir un camp.

Le retour de la Pologne à la liberté, c'est aussi de pouvoir clamer enfin cette vérité. Pour Wajda, né en 1926, c'est un témoignage très personnel : son père a été tué à Katyn. La jeune femme qu'il montre, c'est en quelque sorte sa mère.

C'est donc un film à voir si l'on trouve une salle qui le passe.

J'en profite pour signaler que la Pologne est un très grand pays qui n'a pas eu de chance. Son aire culturelle s'étend sur plusieurs États actuels : Slovaquie, Lithuanie, tout l'ouest de l'Ukraine. Son retour dans l'Europe a été un moment important de l'histoire de l'Europe. On ne comprendra rien à l'état d'esprit de ses dirigeants si l'on ne voit pas que, pour eux, la Russie garde au talon quelques traces du sang de Katyn. C'est ce qu'a voulu dire Geremek, c'est ce que dit Wajda.

05/04/2009

Les nouveaux prolos de la culture peuvent-ils se révolter ?

Je vous invite à lire cet article qui rend compte d'un livre sur les "nouveaux prolos de la culture", c'est édifiant :

Une enquête choc et alarmante

Les prolos de la culture

Par Aude Lancelin

Précaires du journalisme, de l'édition, de la recherche ou de l'enseignement, ils sont payés au lance-pierre, exclus de l'assurance-chômage et frappés par la crise. Un livre révèle leur désarroi et ce scandale.

«Tu te la coules douce, c'est un métier de feignant que le tien.» Une phrase de «Zazie dans le métro» qui pourrait résumer le fond de l'air idéologique concernant une population qu'un livre de 2001 avait identifiée sous l'étiquette devenue fameuse d'«intellos précaires».

Chercheurs sans poste, «indépendants» de l'édition, journalistes en quête de piges, enseignants bouche-trous, scénaristes anonymes et autres stagiaires perpétuels, ils ont parfois un lourd bagage mais ne pèsent rien, ou si peu, sur le marché de l'emploi. Hormis leurs camarades de galère, qui les écoute et les plaint? Fauchés sans doute, mais pas plus que les OS de Gandrange. Fils à papa, ou rejetons de classes populaires bernés par une usine à gaz universitaire bradant du diplôme à tout va, ils n'ont pas fait les grandes écoles, et voudraient néanmoins qu'on leur trouve un emploi normalement rémunéré. Circonstance aggravante, ils prétendent lire et avoir un avis. Ah, ces fameux doctorants devenus chômeurs de longue durée... Ils n'ont décidément pas la cote dans les dîners du faubourg Saint-Honoré.

A quiconque cultive ce genre de préjugés peu flatteurs, et nul n'en est tout à fait exempt, on conseillera la lecture de l'étude menée par Anne et Marine Rambach dans l'univers des nouveaux prolétaires du milieu culturel.

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F. Mantovani
Anne et Marine Rambach

Huit ans après leur première enquête, publiée chez Fayard, ces deux trentenaires gays formant un couple ne peuvent que le constater: la situation s'est encore dégradée. Quelques collectifs se sont certes entre-temps créés, Génération précaire du côté des stagiaires, ou Sauvons la recherche, aujourd'hui en pointe contre la réforme Pécresse. Mais syndicats et partis de gauche ne se sont toujours pas vraiment emparés du sujet. «En revanche, s'il y a quelqu'un qui n'est pas resté apathique, quelqu'un qui a décidé de prendre le sort des intellos précaires en main, écrivent les auteurs, c'est bien Nicolas Sarkozy.»

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Stéphane Sakutin

Réforme des universités, réforme de la recherche, réforme de l'audiovisuel, Etats généraux de la presse, le tout combiné à un dégraissage en règle des personnels de la fonction publique, «nous avons vu se dessiner un plan», écrivent-elles. Une offensive sans précédent concernant le monde de la culture, du savoir et de l'information dont la «modernisation» passerait étrangement par la paupérisation de ceux qui l'animent et leur mise sous tutelle directe ou indirecte. Telle est la thèse alarmante défendue dans ce livre fouillé, tout sauf misérabiliste, souvent même très drôle.

Le «tout-flexibilité»

La situation sociale type de l'«intello précaire» en fait un véritable mutant. Souvent tarifé moins qu'une femme de ménage lorsqu'il est pigiste ou postdoctorant au CNRS, il a parfois les fréquentations d'un artiste bobo et le prestige symbolique d'un avocat. Exclu de l'assurance-chômage quand il est vacataire dans l'Education nationale, il peut parfois cumuler trois emplois, à l'exemple des Rambach, éditrices bénévoles, auteurs de livres et scénaristes occasionnelles. Encore s'agit-il là d'une exception quasi luxueuse. Combien de bac +5 se retrouvent le soir à servir dans une crêperie, ou doivent emprunter l'identité d'un ami à grands coups de Photoshop pour se faire soigner? La chose est méconnue, mais 50% des RMIstes parisiens exercent ainsi une activité artistique ou intellectuelle. Les congés payés ou les RTT, autant d'acquis salariaux qui ne concernent pas l'intello à prix discount, rarement syndiqué. Rien de tel qu'une posture revendicative pour se «griller» auprès d'un donneur d'ordres dans la presse ou une boîte de production audiovisuelle. «Partir de rien pour arriver nulle part en revenant de tout», ainsi l'un des interviewés résume-t-il dans le livre la philosophie générale de cette nébuleuse.

La suite ici.

Après le vote de Hadopi, la question de la rémunération des auteurs intacte.

Le vote de la future loi Hadopi, cette semaine, suscite beaucoup d'amertume dans la blogosphère politique, où il est considéré comme une offensive délibérée contre l'esprit de liberté et de partage qui est natif sur Internet depuis sa création voici vingt ans tout juste. Mais le parlement européen a réitéré son opposition au principe de la coupure de l'accès à l'Internet sans l'intervention d'un juge ès qualités (rappelons que la commission de la Hadopi chargée de prononcer ou plutôt d'endosser les coupures sera certes composée de magistrats mais ne sera pas une juridiction) et il ne fait aucun doute que, lors de la seconde lecture du "paquet télécom" par le parlement européen, dans quelques jours ou semaines, l'amendement Bono sera de nouveau adopté, rendant de fait la loi Hadopi caduque.

Qui sera victime de catte bataille inutile et vaine ? Les artistes.

On leur a fait croire que la création de la Hadopi allait résoudre leurs problèmes, que le flicage intime des citoyens allait leur donner des flots de revenus, les artistes. Une fois la brume Hadopi dissipée, il leur faudra regarder la réalité en face : Internet ne les pille pas. Les études prouvent en général le contraire, la gratuité sur Internet, et la liberté, fonctionnent à peu près comme une promotion commerciale permanente, un accélérateur de buzz. L'année où la vente de DVD a démarré, en France, a été celle où l'on en a vendu des tonnes pour un Euro (soit presque rien) avec des journaux, et sur un Euro, les auteurs ne gagnaient rien, mais l'effet d'engouement de l'acquisition d'un DVD à si bas prix suscitait l'envie d'en avoir d'autres, même plus onéreux. Ainsi est le rôle joué par Internet dans la filière commerciale de la culture : un accélérateur de désir.

Il reste que la revendication des artistes à obtenir une compensation de la gratuité d'Internet n'est pas illégitime et il est vrai qu'avoir employé le produit de la taxe sur les pub sur Internet au financement de la télé est un scandale pur (comme cela a été dit lors des débats à l'Assemblée Nationale), car les artistes auraient pu et dû bénéficier de cette taxe. De la même façon, la renonciation au mécénat global (ou à la licence globale) est une erreur : j'ai été frappé, en me promenant sur les forums, de lire que nombre d'internautes paient déjà un montant forfaitaire pour télécharger à leur guise. Seulement, ils le versent à des entités qui ne répercutent pas toujours ces sommes sur les artistes... La licence/mécénat global(e) aurait été plus juste. Gageons qu'elle reviendra sur le tapis lorsqu'il faudra constater la mort du dispositif Hadopi.

Reste que d'autres problèmes se profilent, dans la littérature par exemple. La synthèse de ces autres problèmes, c'est l'avenir du dispositif de droits d'auteur tel que nous le pratiquons, et sa confrontation avec le copyright américain, d'une part, et d'autre part, la captation du marché numérique par des géants (tous américains) qui pratiqueraient une recette bien connue : d'abord on vend à perte (c'est la gratuité) pour casser les reins des concurrents, puis une fois que l'on n'a plus de concurrents, on renonce à la gratuité et on rançonne les consommateurs lecteurs. Face à cette menace réelle, nous devons rester vigilants et il serait grandement profitable que les acteurs de ce secteur prennent des dispotions avant qu'il ne soit trop tard.

10:49 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, médias, droits d'auteur, hadopi | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/04/2009

"Nulle part terre promise" : nulle part sans ailleurs.

Voici en quelques semaines le troisième film que je vois sur le même sujet : l'odyssée des clandestins venus d'Asie tenter leur chance en Europe. Le premier, volontairement décalé, était celui du vétéran Costa-Gavras, "Eden à l'ouest". Le deuxième, triste à mourir, et qui a fait heureusement couler de l'encre, était le remarquable "Welcome" de Philippe Lioret. Le troisième est plus discret, sorti dans quelques salles seulement : "Nulle part terre promise", d'Emmanuel Finkiel, avec en particulier Elsa Amiel qui sous certains angles a un faux air entêtant de Sandrine Kiberlain.

"Eden à l'ouest" voyait l'immigration clandestine sous l'angle des parasites et d'une société européenne réduite à ses propres apparences et à ses propres mensonges. "Welcome" s'attachait à ceux qui aident les fugitifs et à ceux qui les dénoncent. "Nulle part terre promise" est encore plus radical dans son approche cinématographique : peu de dialogue, un tournage en numérique s'attardant longuement sur des situations hyperréalistes, effrayantes. C'est notre humanité.

L'angle d'approche est à la fois plus large et plus serré encore, focalisée sur trois parcours : celui d'une étudiante (Elsa Amiel), celui d'un émigré accompagné de son fils, et celui d'un "col blanc" français envoyé par sa boîte, d'abord délocaliser son usine en France (quasi-émeute des ouvriers, très en écho de la réalité actuelle) puis la relocaliser en Hongrie, Hongrie où l'étudiante circule avec une caméra DV constamment allumée et braquée sur le visage des gens. Le père et son fils, eux, passent de soute en camion, traversent les frontières sans être vus, et finissent au bord de la Manche, là où se termine le film de Lioret, face à l'Angleterre.

Plus serré, donc, sur ces échantillons humains souvent muets, très mobilisés par un but chacun à la fois. Plus large, l'angle, aussi, parce que le sujet réel du film est la mondialisation : des ouvriers d'Asie Mineure viennent clandestinement travailler en Europe de l'ouest pendant que les entreprises françaises transfèrent le travail en Europe de l'est. L'étudiante est en Hongrie et son voyage doit se poursuivre à Londres, où elle pourra se rendre facilement bien qu'on lui vole son sac, cependant que les clandestins vont tenter d'y aller en parcourant le tunnel sous la Manche à pied.

C'est notre époque, celle en tout cas d'avant la crise. Sur quoi va-t-elle déboucher ?

Sur rien. Sur la même chose qu'avant, sur des gens qui cherchent ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas chez eux et qui, pour la plupart, ne finissent nulle part, un nulle part sans ailleurs.

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30/03/2009

Avant Hadopi : la vraie crise du cinéma.

Après un bon début d'année, le nombre des places vendues dans les cinémas, stable en moyenne, baisse énormément dans les régions et dans les cinémas indépendants. Dans le même temps, pour la première fois depuis très longtemps, il n'y a qu'un seul film français parmi les 10 premiers du classement des films sortis dans les douze derniers mois. Et d'ailleurs, il n'y a qu'un film (américain), dans le même classement, à avoir passé la barre des 5 millions d'entrées.

Il y a donc une série de films plus modestes qui ont obtenu des résultats commerciaux satisfaisants, sans plus.

Or il se trouve que, du point de vue des petites salles, une vraie locomotive rapporte bien plus que dix petits succès, et ce, pour une raison simple : ces salles ne passent qu'un film à la fois, tandis que les multiplexes en passent plusieurs. Paradoxalement, la "longue traîne" des films est nuisible à la "longue traîne" des salles.

Quoiqu'il en soit, l'Internet redevient le bouc-émissaire facile de ce trou d'air du cinéma. Et au lieu de se demander si les goûts du public n'auraient pas changé et si les moyens financiers du public n'auraient pas souffert, il est facile d'accuser l'hydre Internet et ses millions de têtes de pirates.

La vérité est que les films français n'intéressent guère le public français : en 2008, sorti du succès combiné des deux principaux succès (les Ch'tis et Astérix, 27 millions d'entrées à eux deux), les chiffres sont plutôt moyens, et cette tendance ne fait que s'accentuer en 2009, crise aidant. Pourquoi se forcer à aller voir des films qui ne sont pas intéressants ? Autant attendre qu'ils passent à la télé.

Ah au fait, à propos de la télé, le MIP (mais non, pas MIP MIP, mais le Marché International de Cannes) s'ouvre et quel est son sujet central ? La migration de la télé vers Internet. Tiens, tiens, en plein débat sur Hadopi, quelle coïncidence !

13:22 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : culture, cinéma, luc besson | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook