24/09/2015
2e registre d'État-civil : encore un coup contre les magistrats ?
Le projet de loi intitulé "pour une justice du XXIe siècle" introduit sans doute de bonnes réformes, mais il en est une qui entre indubitablement dans la catégorie des fausses bonnes idées, comme le démontre le bon article ici : il s'agit de la suppression du deuxième registre d'État-civil dans les mairies qui adoptent une méthode informatisée de gérer l'État-civil. On le comprend, il s'agit d'inciter les mairies à adopter cette méthode en la valorisant comme signe de modernité, en faire en quelque sorte un must.
Seulement voilà : il y a une chose que tous les usagers de l'informatique connaissent : c'est le principe de la sauvegarde. J'ai maintenant plusieurs disques durs externes sur lesquels je sauvegarde les milliers de photos de documents que je prends chaque année pour mes livres historiques. Pour un service d'État-civil, à long terme, le registre sur papier constitue cette sauvegarde. Et conserver cette sauvegarde sur le même site que l'original informatique revient évidemment à diviser par deux l'efficacité de la sauvegarde. Mes aïeux sont originaires vers 1650 d'une localité ardennaise nommé Sery. Lors de la guerre de 1914-18, l'un des deux exemplaires des registres paroissiaux d'état-civil fut entièrement détruit. Il remontait à 1601. Celui qui reste ne commence qu'en 1723. Bien heureux qu'il en reste un, sinon, à la recherche de mes racines, je n'aurais plus rien du tout.
Vous allez me dire : y'a qu'à envoyer tout cela dans le cloud, mais chacun sait désormais que, pour toutes les informations sensibles, internet est une passoire, aussi vulnérable à l'altération des données qu'à leur destruction pure et simple. Le changement de format et la consignation sur papier offre des garanties supérieures, d'autant plus qu'elle se fait en double. Or quoi de plus sensible que l'État-civil ? Qu'est-ce qui doit être plus protégé que l'état des personnes ? Rien, surtout à une époque où l'on a érigé l'usurpation d'identité en délit correctionnel lourdement puni.
Et enfin, il ne faut pas négliger un aspect plus politique de l'affaire : le deuxième registre est déposé depuis 1667 au greffe du tribunal local (sous l'Ancien Régime, c'était le présidial, aujourd'hui c'est le Tribunal de Grande Instance ou TGI). Cela n'a pas été décidé par hasard : les communes gèrent l'état-civil par délégation de l'État. Le maire n'est en rien gardien du droit et de l'état des personnes, il n'en est que le dépositaire. Celui qui, en revanche, est gardien de l'état des personnes, de leur identité, de leur nationalité, c'est le président du TGI. Or le pouvoir politique, l'actuel comme le précédent, ne cesse de rogner les prérogatives de la Justice, tout en intervenant d'ailleurs sans cesse auprès d'elle. Pour beaucoup de nos responsables politiques, le seul bon juge est le juge qui obéit au doigt et à l'œil. Supprimer le deuxième registre, c'est déchoir encore un peu le magistrat, avant de transférer probablement ses responsabilités à une instance tenue par la pieuvre mortifère des énarques. Plus encore que la remise en cause d'une institution pluriséculaire qui fonctionne bien, c'est ce nouveau coup de canif à l'institution judiciaire qui est inacceptable.
15:13 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice, état-civil, sery, internet, mairie, tgi, présidial | | del.icio.us | | Digg | Facebook