05/02/2007
Albert Cohen et les identités collectives.
L'histoire de Solal, personnage central d'Albert Cohen, s'étale sur plusieurs oeuvres ; on pense en particulier à "Mangeclous" et aux "Valeureux".
Tout commence au soleil des îles grecques, au Levant. Il y a là une communauté juive insulaire, bon enfant et fiévreuse, désordonnée et rêveuse. Tendrement ridicule.
Ces Juifs ont des liens avec la France, traces de l'Histoire. Ils en rêvent, ils en parlent avec de grands mots et force courbettes sincères. Ils finissent par y venir. Et c'est là que tout se gâte : Solal, l'enfant chéri de leur communauté, l'homme plus intelligent que les autres, le malin, doué pour la belle parole et la finance, le cerveau, le dandy aussi, va se diviser entre son appétit mondain et ses racines sans cesse surgissantes, cette famille encombrante et baroque qui horrifie la "bonne société" européenne, qu'elle soit d'ailleurs française ou suisse.
Solal, cyclothymique, dépressif, mais brillant et chanceux, beau aussi, gravit sans cesse les échelons de la fortune, puis reperd tout, s'enfuit dès qu'il voit reparaître ses racines, qu'il a pourtant cherché à enfouir toujours (fût-ce physiquement) dans le sous-sol de sa maison ou dans l'arrière-fond de son cerveau. Avec ses racines, il fuit aussi la femme qu'il aime, qui en est à la fois l'opposé et le miroir.
Finalement, il est question du retour vers la Terre Promise. Libération illusoire ?
Avec Solal, toujours, l'individu qui croit avoir atteint lui-même, et seul, son accomplissement, se retrouve hanté par la pression de sa communauté. Peut-il vivre sans elle ? Mais comment vivre avec elle ? Comment vivre, surtout, à la fois avec elle et avec les autres, ceux qui n'en sont pas ?
Cette question n'est pas que pour les Juifs. Elle concerne tout le monde. L'émancipation de la personne, l'harmonie de sa vie avec ses proches et avec de plus lointains, le malaise identitaire, la pression du groupe sur l'individu, la solidarité aussi, tout cela résonne en chacun de nous.
Et puis, Albert Cohen écrit parfois si joliment. Et "Belle du Seigneur". Et "Le livre de ma mère"...
Pour le soleil, on lira Solal, une plongée dans les eaux turquoise de la Méditerranée qui, de ce point de vue-là, ne peut être comparée qu'avec le "Graziella" de Lamartine. C'est un livre tout simplement délicieux.
Une fois qu'on a goûté à "Solal", on ne peut plus se passer de lire les autres ni de se demander comment on peut espérer vivre libre.
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