12/02/2007
Kessel : le temps des journalistes.
On dit que Kessel aimait à écrire en rentrant de ses nuits agitées et arrosées dans les cabarets russes. Après avoir croqué du verre et fait danser les violons tziganes, il revenait, libéré peut-être de lui-même, s'asseoir à sa table.
Là, de ses puissantes mains, il empoignait ses sujets sans ménagement et les troussait comme des filles de cabaret.
J'ai lu "Le Lion" à l'âge de dix ans, c'est le bon moment. J'ai palpité avec le jeune guerrier en cours d'initiation, j'ai tremblé devant le regard énigmatique de l'animal roi qui sait qu'il va mourir.
Plus tard, j'ai lu "Belle de Jour", une autre affaire évidemment, peut-être son sujet le plus intéressant.
Il faut le dire, Joseph Kessel est d'abord un écrivain de l'aventure, d'une génération de "trotteurs de globe" (au fond, l'expression est plus jolie traduite en français) qui a découvert toutes les parties du monde alors ouvertes à l'Européen tout-puissant et qui a trouvé une oreille passionnée à ses révélations exotiques.
Des montagnes de l'Afghanistan au soleil de la Mer Rouge, des "Cavaliers" à "Fortune Carrée", Kessel a tout exploré. Ses documents journalistiques lui ont aussi inspiré des recueils en plusieurs volumes et, enfin, la Russie, fausse patrie de ses pères juifs exilés (en fait de Lithuanie), l'a fait écrire sur Raspoutine et sur l'entourage du dernier tsar.
Il a publié parfois trois ou quatre romans dans la même année, comme Simenon, tous écrits trop vite, mais parfois grisants.
Son premier succès fut "L'équipage" par lequel il relatait ses années de pilote durant la première guerre mondiale.
Car il ne s'est jamais contenté du témoignage du journaliste : toujours il fut un homme d'action. Installé à Londres, il participa à l'aventure d'exil du général de Gaulle et fut l'auteur avec son neveu Maurice Druon des paroles de l'inoubliable "Chant des partisans" que j'aime bien fredonner dans mon bain, les jours où je sens notre pays s'enfoncer dans le marasme et le doute.
Hélas, c'est la prise de pouvoir des gaullistes à la fin des années 1950 qui nuit aujourd'hui au souvenir de Kessel : il n'a pas éloigné ses pas de ceux du pouvoir et, au contraire, a incarné ses amitiés politiques dans un clan.
Oh, bien sûr, je connais des gens très bien qui en ont fait partie, mais la trace du clan n'est pas ensoleillée.
Bien sûr aussi, je ne suis pas hostile à l'idée d'une génération qui pousse pour faire sa place et imposer ses nouveautés parmi les vestiges du passé, mais encore faut-il qu'elle ait une rêverie plus grande qu'elle à exprimer.
Or de tous les écrivains chéris du gaullisme, outre Kessel, il ne restera que Romain Gary (d'ailleurs d'un autre clan). C'est peu pour justifier une domination si intense sur une période artistique.
Heureusement, Kessel a écrit la plupart de ses meilleures oeuvres bien avant les années 1960.
Alors vraiment, il m'arrive de relire Kessel avec plaisir car c'est un écrivain de la vie, mais je l'aurais préféré encore plus libre.
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