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26/02/2007

Stendhal, l'égaré de 1830.

Stendhal est plus que le doyen de la génération de 1830 : né en 1783, il est plus proche par l'âge de Châteaubriand (1768) que de Balzac (1799) ou d'Hugo. Par son style aussi, il s'éloigne du groupe. Il donne au romantisme la sécheresse du ton et le réalisme du contenu, deux ingrédients plutôt classiques.

Plus encore que de Lamartine, peut-être est-ce de lui qu'Hugo aurait dû dire qu'il était "le plus classique des romantiques".

C'est aussi, avec Balzac, celui qui a eu les relations les plus compliquées avec les femmes : il entre en extase quand on lui confie deux jeunes demoiselles pour écouter ses bavardages, une extase telle qu'il parvient à leur dicter en trois semaines un roman haletant, mais il est incapable de savoir par quel bout prendre George Sand ou tout autre rendez-vous arrangé du Paris littéraire, fût-ce dans dans l'alcôve.

Personnage faible sans doute, inhibé, il a peu produit et sa carrière a commencé à l'âge où celle des autres se termine : son roman "Le Rouge et le Noir" est un succès en 1830 ; il a quarante-sept ans. Douze ans et une "Chartreuse de Parme" plus tard, il meurt.

Sa vie de garçon, il la partage avec Mérimée, plus jeune que lui d'une vingtaine d'années tout de même. Ensemble, ils savourent les nuits parisiennes quand Stendhal est à Paris. C'est alors la fête, la ribouldingue. On les imagine courant de maison en maison, de cabaret en souper fin.

Mérimée est consommateur de jolies femmes, il rompt avec elles quand elles se marient avec des préfets, il les goûte comme des friandises, il leur donne autant d'efforts qu'il le peut, c'est un amant honnête. Quand il voyage en province pour ses activités administratives, il déguste les spécialités locales dans les bordels. C'est un homme au fond sans états d'âme.

C'est lui qui organise l'entrevue intime de George Sand et de Stendhal. Ce dernier y vient frétillant, mais repart sur un fiasco ; on lui avait dit qu'Aurore Dupin était difficile au plaisir, il s'était vanté, il doit en rabattre.

Et finalement, quand Stendhal meurt avec les succès paradoxaux de ses romans, c'est Mérimée qui impose ceux-ci à la postérité.

Il faut dire qu'il n'a pas de chance, Mérimée : depuis 1830, il aime une jolie veuve espagnole, la comtesse de Montijo. Ils se voient sur la côte basque et partagent des moments aussi brûlants que fougueux.

Tout va d'ailleurs bien jusqu'au jour où la fille de la comtesse devient... Eugénie de Montijo, impératrice des Français, après avoir fait un chantage au mariage au petit empereur Napoléon III.

Alors, à peine relevée de sa nuit de noces, Eugénie se précipite chez l'amant de sa mère (Freud au secours), à qui elle intime l'ordre d'accepter un titre de sénateur de l'empire.

Or Mérimée est totalement (on n'ose dire fervent chez cet homme poli) républicain. Il tente de refuser. On lui dit "avec nous ou contre nous". Il capitule.

Et voilà comment le régime le plus ultra-cagot du XIXe siècle va consacrer beaucoup d'efforts à faire la promotion de l'un des auteurs les plus anti-papistes de l'époque : Stendhal.

Décidément, Henri Beyle n'aura jamais rien pu faire comme tout le monde.

Libre ?

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Commentaires

Tout un réseau invisible sous-tend les échanges entre les blogueurs et leurs commentateurs dont les apparents coq-à-l'âne dissimulent souvent de mystérieuses correspondances : j'évoquais tantôt le souvenir de Shakespeare et la magnifique envolée lyrique sur la destinée des "happy few" auxquels le roi Henry V s'adresse à la veille de la bataille d'Azincourt (dont le nom résonne d'une toute autre manière aux oreilles françaises) ; et voilà que vous nous tracez, rapidement mais efficacement, le portrait de Stendhal, républicain aristocratique, pour qui la formule du "happy few" n'était pas un simple emprunt snobinard à la langue anglaise et qui professa très tôt à l'égard de Shakespeare une admiration qui désigne l'auteur de Rouge et Noir comme un précurseur de la révolution romantique.

Écrit par : André-Yves Bourgès | 26/02/2007

Invoquez plutôt un réflexe inconscient de ma part, non ?

Écrit par : Hervé Torchet | 26/02/2007

Et, de plus, le Stendhal d'avant Stendhal, le "philosophe", le pamphlétaire, pas encore le romancier , écrit des textes qui n'ont pas pris une ride ou du moins qui conservent une singulière actualité. Ainsi, dans son brûlot contre Saint-Simon, intitulé ironiquement "D’un nouveau complot contre les industriels", Stendhal écrit en 1825 :
"Je veux croire que mille industriels qui, sans manquer à la probité, gagnent cent mille écus chacun, augmentent la force de la France ; mais ces messieurs ont fait le bien public à la suite de leur bien particulier. Ce sont de braves et hon­nêtes gens, que j'honore et verrais avec plaisir nommer maires ou députés ; car la crainte des banqueroutes leur a fait acquérir des habitudes de méfiance, et, de plus, ils savent compter.
Mais je cherche en vain l’admirable dans leur conduite. Pourquoi les admirerais-je plus que le médecin, que l'avocat, que l'architecte ?"

Plus loin (et ces lignes ont une résonance particulière quand on sait la situation actuelle de la presse) :
"Pendant que Bolivar affranchissait l'Amérique, pendant que le capitaine Parry s'approchait du pôle, mon voisin a gagné dix millions à fabriquer du calicot ; tant mieux pour lui et pour ses enfans. Mais depuis peu il fait faire un journal qui me dit tous les samedis qu'il faut que je l'admire comme un bienfaiteur de l'humanité. Je hausse les épaules."

Et encore (on a peine à croire que ce texte approche de ses deux cents ans d'âge tant il décrit bien ce qu'on entend ici ou là aujourdhui encore ) :
"Les industriels prêtent de l'argent aux gouver­nants, et les forcent souvent à faire un budget raisonnable et à ne pas gaspiller les impôts. Là, probablement, finit l’utilité dont les industriels sont à la chose publique ; car peu leur importe qu'avec l'argent prêté par eux on aille au secours des Turcs ou au secours des Grecs".

Et enfin (mais il y aurait encore tant de choses à citer, tout, en fait !) :
"L'industrialisme, un peu cousin du charlata­nisme, paie des journaux et prend en main, sans qu'on l'en prie, la cause de l'industrie ; il se per­met de plus une petite faute de logique : il crie que l'industrie est la cause de tout le bonheur dont jouit la jeune et belle Amérique. Avec sa permission, l'industrie n'a fait que profiter des bonnes lois, et de l'avantage d'être sans frontières attaquables que possède l'Amérique. Les indus­triels, par l'argent qu'ils prêtent à un gouverne­ment après avoir pris leurs sûretés, augmentent pour le moment la force de ce gouvernement ; mais ils s'inquiètent fort peu du sens dans lequel cette force est dirigée. Supposons qu'un mauvais génie envoie aux États-Unis d'Amérique un pré­sident ambitieux comme Napoléon ou Cromwell, cet homme profitera du crédit qu'il trouvera établi en arrivant à la présidence, pour em­prunter 400 millions, et avec ces millions il cor­rompra l'opinion et se fera nommer président à vie. Hé bien ! si les intérêts de la rente sont bien servis, l'histoire contemporaine est là pour nous apprendre que les industriels continueront à lui prêter des millions, c'est-à-dire à augmenter sa force, sans s'embarrasser du sens dans lequel il l'exerce. Qui empêche aujourd'hui les industriels de prêter au R.. d'E...... ? Est-ce le manque de moralité de ce prince, ou son manque de solva­bilité? "

Écrit par : André-Yves Bourgès | 26/02/2007

La clairvoyance n'a pas d'époque. Tout est dit.

Écrit par : Hervé Torchet | 26/02/2007

Donc, n'hésitons pas à clamer bien fort et à scander bien haut "Beyle, Bayrou, même combat !" Au risque de "stendhaliser" les beaux quartiers de Neuilly et de voir se fâcher le petit caporal.

Écrit par : André-Yves Bourgès | 26/02/2007

Très intéressant. Je ne connaissais pas ces aspects de l'amitié entre Mérimée et Stendhal. Mais dis-moi, pas de texte de la semaine cette semaine ???

Écrit par : fuligineuse | 26/02/2007

Eh bien, j'ai eu un pépin que je raconte (vendredi, je crois). Mais je vais bientôt sortir mon nouveau texte.

Écrit par : Hervé Torchet | 26/02/2007

Moi non plus je ne connaissais pas cette amitié canaille entre ces deux écrivains : ceux d'aujourd'hui sont-ils aussi bons vivants ?

Écrit par : Rosa | 27/02/2007

@ Rosa

Quelques-uns...

Écrit par : Hervé Torchet | 27/02/2007

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