11/03/2007
Le premier Victor Hugo : l'enfant sublime.
Quand on pense à Victor Hugo, on songe à l'homme à cheveux et barbe blancs, image d'Épinal gravée dans nos mémoires et, jadis, sur nos billets de banque.
Or longtemps, Victor Hugo fut "l'enfant sublime".
L'extraordinaire précocité de l'auteur des "Misérables" s'accompagna d'ailleurs d'une virtuosité époustouflante : à quinze ans, il traduisait Virgile en alexandrins pour lesquels n'importe quel poète adulte aurait donné dix ans de sa vie.
À dix-sept, il pastichait tous ses contemporains et recomposait leurs oeuvres mieux qu'eux-mêmes. Il pastichait d'ailleurs les morts aussi, jamais avare de ses rimes.
À cette époque, sous l'influence de sa mère, il végétait dans le conservatisme et à l'ombre du trône du podagre et goutteux Louis XVIII. On peut pardonner des erreurs politiques à un gamin de dix-sept ans.
Ce fut en tout cas dans un cadre très officiel qu'il remporta le concours poétique de Toulouse, alors le mieux considéré, deux années de suite, en 1819 et 1820.
C'est là que lui naquit son surnom d'"enfant sublime".
Il provoqua cette exclamation parmi les vieux poètes, tous plus désuets les uns que les autres, qui composaient la vieille garde orpheline de l'abbé Delille, jadis roi de son art, mort en 1813.
À quel moment faut-il situer le terme de cette période "enfant sublime" ? On ne sait pas bien.
En vérité, le mariage très précoce d'Hugo bouleversa les cartes.
L'histoire est connue : Hugo, depuis des années, était amoureux d'Adèle Foucher, une voisine de milieu moyen bourgeois.
L'union déplaisait aux deux familles, on éloigna la jeune fille. Comme toujours indomptable et animé d'une volonté inflexible, Hugo se lança dans la bataille : il parcourut plusieurs dizaines de kilomètres par un temps cataclysmique pour la rejoindre.
Il y parvint. À bout d'arguments, le père demanda à son futur gendre d'obtenir un revenu qui lui permît d'entretenir convenablement son épouse s'il la lui donnait.
Galvanisé par cet objectif, Victor Hugo publia ses premières Odes, qui reçurent un triomphe critique. Aussitôt, les gratifications plurent sur le jeune fondateur du "Conservateur littéraire". Vaincu, Foucher permit le mariage, qui eut lieu en octobre 1822. Victor Hugo avait vingt ans.
Vierge jusqu'au soir de ses noces, le jeune poète fit retentir une rafale de neuf coups. Les anciens commentateurs veulent croire dans leur propre élégance quand ils disent qu'il "triompha neuf fois de sa nouvelle épouse". Triompher ? Diable ! quelle image...
Victor Hugo, ébloui, nommait cette nuit le "premier maillon de la chaîne des nuits".
Bientôt, l'enfant sublime serait père. Un enfant père ? C'était insensé. Du reste, il ne tarda guère à s'éloigner du régime, qui cessa de le qualifier de sublime.
Il n'était donc plus ni enfant, ni sublime.
Désormais, il devenait l'agaçant : un homme tout simplement.
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Commentaires
Le jeune Victor Hugo, qui déclare vouloir être Chateaubriand ou rien, emprunte à son illustre modèle le titre même de son périodique littéraire, "Le Conservateur". Etre un homme libre, ce n'est jamais renier ses Maîtres. L'influence de Chateaubriand sur Hugo est plus profonde et plus durable que l'on ne croit : le snobisme politique qui consiste à se revendiquer royaliste, quand il ne s'agit plus manifestement que d'une vieille lune, mais aussi le style, surtout dans sa dimension héroïco-polémique. Le Hugo des "Châtiments" aurait pu écrire le portrait de Talleyrand au bras de Fouché : "le vice appuyé sur le crime" ou encore cette formule toujours très actuelle : "Il y a des temps où l'on ne doit dépenser le mépris qu'avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux".
Écrit par : André-Yves Bourgès | 11/03/2007
Je ne vous contredis pas souvent, cher André-Yves, mais j'ajoute deux mots "le vice appuyé sur le bras du crime", dont le rythme est d'ailleurs plus allant. Mais cette phrase (qui se développe à peu près ainsi : "je vis passer le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand soutenu par M. Fouché ; le régicide venait jurer sa foi entre les mains du roi défunt, l'évêque apostat était caution du serment ; la vision infernale passa lentement devant moi...") est plus digne de Tacite que de Victor Hugo.
C'est dans le rythme surtout que l'on peut trouver une parenté entre les deux auteurs. Mais il y a chez Hugo une recherche de houle que Châteaubriand préfère nommer bourrasque. L'un éclabousse de tumulte et l'autre pleut glacial.
Cela étant, on trouve trace des engouements de jeunesse de Victor Hugo, dont en particulier Châteaubriand, auprès de qui il a travaillé durant quelques mois. Le poids de la mère "vendéenne" (et un peu bretonne) et royaliste se fait ici sentir dans les goûts du fils.
On sait cependant les relations tumultueuses de Châteaubriand et des différentes monarchies qu'il a traversées. Quant à Hugo, dès qu'il se rapproche du souvenir de son père, il s'éloigne de son premier maître vivant, sans d'ailleurs se brouiller avec lui.
Je ne suis pas certain non plus qu'Hugo ait beaucoup cultivé le mépris, c'est plutôt un homme d'indignation.
Écrit par : Hervé Torchet | 11/03/2007
C'est en ce temps-là que Hugo avait dit "je veux être Chateaubriand ou rien"...
Écrit par : fuligineuse | 13/03/2007
Et même un peu avant.
Écrit par : Hervé Torchet | 13/03/2007
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