19/03/2007
Bayrou, les appareils politiques et l'union nationale.
Voici François Bayrou devant la double accusation castratrice dont raffolent les appareils : vous n’avez pas de programme, vous n’aurez pas de majorité. Programme ? Majorité ? Quel rapport avec la choucroute présidentielle ? répondrez-vous. Mais Bayrou est un homme poli et se garde de formules aussi familières. Programme et majorité sont l’affaire des législatives, après (juste après) la présidentielle. On verra alors, pense-t-il au fond.
Seulement voilà : la présidentielle, c’est un homme devant le peuple, tandis que les législatives, ça, ça, c’est l’affaire des appareils, leur délectation, leur gourmandise, avec leur cortège d’arrangements entre amis, de batailles de couloirs, de réunions d’investiture interminables jusqu’à l’aube où, les yeux piquants, chaque éléphant comptera ceux de ses copains qu’il aura su caser dans l’appareil de la campagne, candidats ou cadres. Rien que pour justifier son statut d’éléphant.
Alors évidemment, l’aventure solitaire de la campagne présidentielle, ça les chagrine, les appareils, et coûte que coûte, ils tentent d’y glisser leur grain de sel. De là la double accusation.
Et les présidentiables rivaux de Bayrou, en se faisant les porte-voix des accusations contre lui, se mettent de facto entre les mains des appareils quoi qu’ils puissent en prétendre.
Car le programme de Ségo, c’est “Je ferai des lois“ (et le parlement, pendant ce temps-là, que fera-t-il ? de la pêche à la ligne ?), tandis que celui de Sarko ne prend même pas la peine de qualifier les oukases qu’il adoptera : de toutes façons, à défaut du kärcher, il usera du schrapnel pour imposer ses vues, lesquelles, si elles ressemblent à celles de son ami Balkany, rappelleront fâcheusement les ordonnances de la Monarchie absolue, le souverain placé au-dessus des lois, le tout agrémenté de lettres de cachet en règle.
Bref, l’élection présidentielle, vue par les appareils, ça se résume en une phrase : la séparation des pouvoirs, ça n’existe pas. Non seulement ça n’existe pas, mais ça ne doit pas exister. Pensez donc : ils pourraient y perdre leurs privilèges et leurs perruques poudrées…
C’est eux qui ont intérêt à toutes les scléroses dont les Français sont victimes, eux qui tirent les bénéfices de notre société verrouillée, eux qui prospèrent quand la France est divisée, fût-ce au prix de la misère et de l’injustice.
Le président, selon eux, est l’instrument des appareils partisans. Le programme qu’il débite est le leur ; une fois l’élection acquise, ils n’auront donc aucune raison de le contrôler devant les chambres parlementaires, ce qui leur permettra de rester douillettement dans d’autres chambres à regarder la télé avec un plateau-repas friand au lieu de s’installer en séance sur les bancs inconfortables à somnoler en se curant le nez. La belle vie, quoi.
Et voilà que notre Bayrou, dévalant de son Béarn natal à dos d’étalon alezan, vient troubler cette mécanique tiède et la dialectique molle qui oppose les appareils à leurs candidats.
Avec lui, tout à coup, un inconnu, un rustre, un intrus, fait irruption dans la campagne : le peuple, ou plutôt l’intérêt général, la cause publique. Et des mots endormis : la liberté, l’égalité, et même la fraternité, et les réalités de la vie des gens.
Fi donc ! Comme disait Victor Hugo : “quoi, Mithridate, du siège de Cyzique eût pu citer la date ?“
La vie des gens. Quelle grossièreté. Mais, pour les appareils, la vie des gens, c’est une collection de statistiques, ça ne signifie rien de concret, rien dont on puisse parler à table entre gens du monde parisien. Fi donc ! Les gens. Quand on veut faire peuple, on dit “les vrais gens“ puis on se dissimule dans son mouchoir de dentelles pour se gausser de sa propre hardiesse. Les gens.
Les gens qui meurent et qui souffrent. Les gens qui ont dormi dans le froid. Oh, ils ont de la chance, les appareils : l’hiver a été le plus clément depuis… depuis on ne sait quand. La faute au réchauffement climatique sans doute. Au réchauffement climatique ? Bonne chose, ça, se dit l’appareil en prenant note : “surtout ne rien faire contre le réchauffement climatique“. Pensez donc, un allié pareil.
Mais les gens ont faim et soif, il en meurt, il en pleure, et personne ne fait rien, et l’État impuissant compte les sous qu’il va généreusement donner aux commanditaires des campagnes des appareils politiques. Eh oui, de ce côté-là, l’argent ne manque jamais : pour un renvoi d’ascenseur, on trouve toujours un milliard. Pour sauver un misérable, on n’a jamais dix euros. Voilà notre République, celle des appareils triomphants.
Celle où la colère sans cesse couve sur le brasier de la douleur.
C’est ce que dit Bayrou avec ses propres mots.
Et c’est ce que les gens entendent. Et c’est pourquoi, chaque jour, il gagne plus de crédit, pourquoi les humbles le considèrent avec espoir, pourquoi dans la pauvre banlieue nord de Paris il a été accueilli comme un thaumaturge. Il est celui qui peut renverser les trônes des appareils politiques, faire voler les perruques, rouvrir les palais et y faire entrer la vie des gens comme le vent de la liberté.
Il faut dire que c’est pourtant presque trop d’espoir, qu’il n’existe pas d’homme providentiel, mais depuis si longtemps on leur marche sur le visage et depuis si longtemps leurs vies sont balisées par des collections de cadenas… Comment pourraient-ils ne pas espérer que les choses puissent enfin changer ?
Changer.
Ils le méritent.
Oh, on sent bien le raidissement des appareils, ces temps-ci, et leurs ruses qui consistent à “enfiler les plumes du poulet sur le pelage du renard pour entrer dans le poulailler“, comme dit Bayrou.
Ils se moquent éperdument d’avoir conduit le pays au bord du gouffre à force d’égoïsme. Ils ne se soucient pas un instant de leur propre inertie. Ils nient farouchement leur patente obsolescence.
Ce qui leur importe, c’est : conserver le pouvoir. Le pouvoir ! ou plutôt l’apparat du pouvoir, les avantages du pouvoir, les émoluments du pouvoir, les combines du pouvoir.
La montée de Bayrou les menace, ils se contorsionnent pour faire croire qu’eux aussi, ils sont contre les logiques d’appareils (suprême imposture), ou bien ils se mettent à crier, disons même à glapir. Et l’on entend des lazzis si haineux jetés par les hommes de l’appareil droitier que l’on se croirait revenu aux années 1930.
Et l’on lit surtout la double accusation : programme, majorité. Mots d’ordre angoissés des appareils aux abois.
Or le monde change. Nous savons qu’une nouvelle forme de citoyenneté voit le jour, plus réelle, plus réactive, incontrôlable par les appareils, forte, subversive, vivante, notamment forte d’Internet et de la blogosphère.
C’est elle qui bouscule le plus les appareils en place, elle qui permet au peuple de résister là où les ennemis de la démocratie le menacent, elle qui donne envie aux jeunes de s’engager dans la cité pour des causes palpables, éloignées des enjeux d’alcôve, d’intérêt et de vanité qui sont la menue monnaie des appareils.
Oui vraiment, c’est une lame de fond qui se lève. La France va changer. Elle a crié très fort qu’elle voulait l’union nationale. Les appareils se cabrent contre ce décloisonnement qui conteste leurs intérêts acquis. Il reste au peuple à se faire entendre.
21:05 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : présidentielle, udf, bayrou | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Le contraste est sévère entre FB et les deux énergumènes excités de l'ump et du ps, notamment lors des meetings où, lui, sait galvaniser sans demeurer rivé au prompteur et autre papier restitué à la virgule près (puisque écrit par d'autres...). Un sans-papier, en somme, éloquent et tribun, qui tranche furieusement avec le poussif creux de Royal et le dictionnaire des rimes et citations de Sarkozy. Quand je pense que ce dernier a osé tronquer Rimbaud (ses "nègres" devraient bien recopier les citations qu'ils pompent dans les dicos...) et Cohen, qu'il prétend avoir lu mais dont il ne connaître vraisemblablement que le pitch pompé dans Livres Hebdo... j'imagine Royal ou Sarko à la tribune de l'ONU ou au Conseil de l'Europe : on passerait vraiment pour des petits joueurs. Aucun élan, aucune sincérité, aucune générosité, rien de vrai et de bouleversant dans leurs mots déclamés mécaniquement... FB, lui, a le talent de l'homme d'idées, de l'homme de lettres qui, en respectant les mots, respecte ainsi les hommes et les femmes auxquels il les adresse !
Écrit par : bertin | 20/03/2007
Si je vote pour lui ce sera en effet pour l'homme de Lettres
Car il a du pain sur la planche...pour restaurer l'enseignement de la Littératue qui a été assassiné par la dictature des linguistes depuis 30 ans...
D'où la désaffection inquiétante des sections littéraires....
Écrit par : Rosa | 20/03/2007
@ Rosa
Quand Bayrou était ministre de l'Éducation, il a permis aux filières littéraires d'accéder à certaines prépa (HEC notamment) qui leur étaient fermées jusque-là. Il se préparait à élargir cette ouverture quand il a dû quitter son poste. C'est une façon de les revaloriser, une réforme importante.
@ Bertin
Tes copains de Groland ont tort de se passer de tes talents plumitifs. Je te trouve de plus en plus alerte.
Écrit par : Hervé Torchet | 20/03/2007
Vraiment, félicitations, cher Hervé, pour ta plume ! C'est un post magnifique à lire, drôle et pertinent, sarcastique et caustique, lucide et généreux.
J'approuve tout à fait tes positions quant aux réactions apeurées des "appareils" (pourquoi ne puis-je m'empêcher de voir Hollande en marquis de cour ?). On en est encore au stade où chacun hurle à l'imposture du nouveau, qui, après avoir été traité d'opportuniste (car il voulait être élu, disaient-ils il y a quelques mois, à leur grande différence, j'imagine...) est désormais l'homme de l'immobilisme (le mot passe bien chez les membres de l'UMP qui ne m'opposent que ce seul argument), et si les électeurs lui accordent la confiance, on a encore quelques belles heures devant nous !
Merci pour ton blog
Écrit par : Laurent | 20/03/2007
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