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24/03/2007

Ah ! Feydeau ! Oh !

Beaumarchais avait inventé une mécanique théâtrale implacable, tourbillonnante, animée par des ressorts secrets et puissants. Il avait mis sa trouvaille au service d'un projet philosophique et politique.

Cent ans plus tard, Feydeau découvre un chemin de moyens semblables, mais oublie la politique.

Rien ne vaut un Feydeau. Rien ne vaut "Un fil à la patte" ou "Tailleur pour dames".

Le plus invraisemblable de sa vie, c'est sa naissance à Paris en 1862. On suppose tout : il serait fils de l'empereur ou du duc de Morny, plus ou moins lié à celui-ci par le sang. Rien que ce détail est drôle. La mère, elle, est une Juive polonaise.

Feydeau apparaît à vingt-quatre ans et produit pendant trente ans une myriade de pièces de théâtre dans laquelle il n'y a pratiquement pas de déchet : tout est hilarant, endiablé, dépourvu de sens et de psychologie. Il n'y a qu'un enchevêtrement de situations de plus en plus aberrantes dans lesquelles les personnages se débattent comme ils peuvent, toutjours écrasés par la mécanique des choses.

Peut-être y a-t-il en fait quelque chose de métaphysique dans cette vision. Quelque chose d'une angoisse intime qui explique la fin douloureuse de l'auteur, dont on sait qu'il fut interné durant deux ans, à bout de forces et d'illogismes.

Ses pièces, elles, sont inusables et, au fond, joyeuses. Elles reflètent la grinçante immoralité de la fin du XIXe siècle, l'hypocrisie d'un milieu, la lâcheté des hommes, l'énergie des femmes.

Rien de plus étonnant, si l'on y songe, que le profil des deux sexes dans ces histoires. La faiblesse masculine y domine et les femmes y font alterner l'émotion, la futilité, la manipulation, l'impudence, et toutes sortes de vilains défauts et de nobles qualités.

Curieux portrait de groupe, en vérité.

J'ai un faible particulier pour "La main passe", dont le contenu me semble bien moins superficiel qu'on ne le dit d'habitude. La trame est simple : un homme prend l'épouse d'un de ses amis, celui-ci trop heureux de s'en débarrasser, puis l'épouse reprend le premier époux. Le jeu étant sur le statut du second homme, celui des placards. L'excitation de l'interdit, la menace de la routine et la pesanteur de l'officiel. Une leçon sur le mariage ? Peut-être, mais il faut noter que les mariés, dans un cas comme dans l'autre, s'aiment. Pas de noces arrangées, pas d'union de façade : à la base, un vrai couple. Modernité insoupçonnée, au fond. C'est peut-être la pièce la plus actuelle, étant donné qu'on n'en finit plus de réinventer les vies maritales conjointes ou disjointes, la notion de vie "commune" se satisfaisant désormais, selon la jurisprudence civile, de domiciles ... séparés ... ce que Feydeau lui-même n'aurait pas osé imaginer, mais dont il aurait fait ses choux gras.

J'ai adoré l'interprétation de "Monsieur chasse" donnée voici quelques années par Chevalier et Laspalès. Laspalès y exprimait son personnage absolument insensé qui, scène après scène, dynamitait la mécanique de Feydeau pour en tirer des moments d'une intensité prodigieuse. Bien entendu, l'acteur se permettait quelques improvisations qui augmentaient encore la pression qu'il exerçait sur le texte. Un grand acteur peut révéler des lueurs insoupçonnées d'un rôle.

"L'hôtel du libre échange" est presque un archétype. Tout s'y bouscule, tout le théâtre de Feydeau s'y concentre, on pourrait le définir comme un best-of (pardon un pot-pourri) de l'oeuvre.

"Le dindon" est assez cruel. Je l'ai vu interprété à la télévision, au temps d'"Au théâtre ce soir", par Alain Feydeau, le petit-fils de l'auteur, et c'était parfaitement réjouissant. Voilà d'ailleurs un des tours de forces de Feydeau : la cruauté affleure souvent dans son oeuvre, mais par une alchimie inexplicable, elle ne provoque aucune souffrance. Ni jouissance, d'ailleurs. Elle n'a rien de punitif ni de mérité. Elle n'inflige rien : le théâtre de Feydeau n'agit pas, il décrit. Les personnages s'agitent, leur vie est entièrement familière, toute compréhensible, toute réelle, et cependant, on ne peut la définir qu'en deux dimensions. La cruauté ne dérange pas, parce que tout ça n'est pas "pour de vrai". On est constamment distancié. Parfaite expression de l'esprit parisien de la fin du XIXe siècle.

"La puce à l'oreille", "Occupe-toi d'Amélie", "On purge bébé", "Mais n'te promène donc pas toute nue" sont des feux d'artifice. Et comme un fait exprès, presque en même temps que la fin de la carrière de Feydeau apparaît un autre virtuose du cynisme et des ébats du couple en tous états, un autre stakhanoviste inlassable : Sacha Guitry. Un vrai grinçant libre.

17:05 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Vous étiez déjà né au temps d'"au Théâtre ce soir" ?

Écrit par : Rosa | 24/03/2007

@ Rosa

Si vous aviez cliqué sous ma photo, en haut à gauche, vous sauriez que je suis né fin 64. Cette émission fut pour moi une acclimatation au théâtre.

Écrit par : Hervé Torchet | 24/03/2007

Je sais mais l'émission me semblait tellement ancienne !

Écrit par : Rosa | 24/03/2007

Les commentaires sont fermés.