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12/06/2007

Histoire du général Pechkoff.

Comme je l'ai expliqué samedi, je suis retourné voir le spectacle sur la Brinvilliers déjà vu voici trois semaines. La petite salle était animée de têtes connues (les noms pas toujours autant : la jolie comédienne Alexia Stresi, Bernard Verley, Malka Riobvska, Coralie Seyrig) et, en retrait, l'ambassadeur de France Francis Huré.
 
Celui-ci, vétéran et quasi-nonagénaire, a publié dans les derniers mois une courte mais passionnante biographie de l'un des personnages français les plus énigmatiques du XXe siècle : le général Zinovi Pechkoff.
 
L'histoire commence au fond de la Russie tsariste, en 1884 à Nijni-Novgorod. Là naît dans la famille d'un graveur sur cuivre juif un fils prénommé Yeshua. Le père se nomme en russe Sverdlov. Il a un autre fils : Iakov.
 
Yeshua est turbulent, instable et secret. À l'âge de quatorze ans, il rompt avec sa famille et part à l'aventure, s'accrochant à un train ou à une diligence. Courant ainsi de ville en ville dans un pays hérissé de frontièrs intérieures où il faut sans cesse montrer patte blanche, il fait on ne sait quoi et voit on ne sait qui.
 
Un jour, il rencontre le grand poète révolutionnaire, Maxime Gorki.
 
Immédiatement, les deux se prennent d'amitié. Yeshua devient en quelque sorte le fils de Maxime, bien qu'il n'ait qu'une quinzaine d'années de moins que lui.
 
Entraîné dans les milieux politiques et artistiques, Yeshua se devine acteur de théâtre. Hélas, en Russie à cette époque (apartheid ou lois de Nuremberg avant l'heure), pour être comédien breveté (et il faut être breveté), il faut produire un acte de baptême orthodoxe. Or né de parents juifs et circoncis lui-même, Yeshua ne peut évidemment posséder un tel document.
 
Qu'à cela ne tienne : Gorki, qui ne met pourtant jamais les pieds dans une église, y entraîne son protégé et l'y fait baptiser. Il est lui-même son parrain. Yeshua Sverdlov devient ainsi Zinovi Pechkoff, Pechkoff étant le vrai nom de Gorki.
 
Pechkoff débute au théâtre et y démontre du talent. Son amitié pour Gorki se poursuit, ainsi que le militantisme révolutionnaire.
 
Quelques années plus tard, Gorki et son épouse quittent la Russie et vont dans le sud de l'Italie. Pechkoff les suit. Mais au passage il s'attarde, s'évade, se disperse. Une fois de plus, on ne sait ni ce qu'il fait, ni où il va ni qui il voit.
 
Il passe par l'Amérique, les vastes États-Unis, nation encore jeune et pleine de sève.
 
Il s'y promène, noue des liens qu'il retrouvera plus tard. Il n'oublie rien.
 
Il revient chez Gorki, repart, s'éloigne, revient.
 
Arrive la guerre de 1914. Pechkoff a trente ans. Ses voyages ont fait de lui un apatride. C'est le passeport des apatrides qu'il présente donc au bureau de la Légion étrangère pour s'y engager pour le temps de la guerre. Il obtient le grade de caporal.
 
Au bout de quelques mois, un obus lui arrache presque le bras. Le membre pend. On ne le soigne pas. Pechkoff s'agrippe à un train. Il repart vers l'arrière, trouve un hôpital. Là, le chirurgien hoche la tête et, constatant l'état du patient et le commencement de gangrène, il lui donne peu de chance. Pechkoff le menace alors avec un pistolet. Le chirurgien, pourtant épuisé par une longue journée d'opérations, accepte de se remettre à l'ouvrage. Il sauve Pechkoff.
 
Démobilisé, celui-ci se retrouve, l'un des innombrables mutilés de la guerre. Que fait-il ?
 
L'armée s'aperçoit qu'elle peut avoir besoin de lui : il parle plusieurs langues et a séjourné aux États-Unis. Or on tente de convaincre ceux-ci d'entrer dans la guerre. On va donc envoyer Pechkoff y faire des conférences.
 
Il est réenrôlé avec la fonction d'interprète des armées. Comme on ne peut déléguer un simple caporal, il est promu subitement capitaine, trois galons pour conférer de la dignité à son propos.
 
Il passe ainsi deux ans aux États-Unis à faire de la propagande pour la guerre européenne.
 
Les Américains entrent dans le conflit presque au moment où les Russes en sortent.
 
La révolution a en effet éclaté en 1917. Dès novembre de cette même année 1917, Iakov Sverdlov, le frère de Pechkoff et proche collaborateur de Lénine, devient chef de l'État soviétique naissant.
 
Démobilisé à la fin de la guerre, Pechkoff repart pour la Russie, y retrouve sa famille et Gorki, il y passe deux ans encore. Puis Gorki vient s'installer en Italie et Pechkoff le suit.
 
Puis Pechkoff se marie une première fois, s'éloigne encore, revient vers Paris, retourne aux États-Unis, toujours en tous sens, toujours silencieux sur ses rencontres mais prolongeant longtemps ses liens personnels.
 
Et le manchot se demande ce qu'il peut faire. Il choisit de rempiler dans la Légion. On l'y admet avec le grade de colonel, qu'il va conserver durant près de vingt ans. Il sert au Liban et au Maroc. Au Liban, il se remarie et j'ai bien connu sa seconde épouse, puisqu'elle était la cousine germaine de mon grand-père.
 
Tous ceux qui connaissaient assez intimement Pechkoff pour l'appeler par son prénom le nommaient Zino, un diminutif. Elle, privilège suprême, avait inventé Zico.
 
Leur union ne dure que quelques années, mais elle sera sa légataire universelle.
 
Arrive le désastre de 1940 qui laisse tout le monde hébété.

Pechkoff est en Afrique, à Madagascar je crois. Il y reste.

Or de Gaulle a besoin d'officiers de haut rang et d'expérience. Il recrute Pechkoff pour sa France Libre. Le manchot vieillissant n'hésite pas : il rejoint le camp du général. Celui-ci le fait du reste vite lui-même général.

C'est ainsi que le fils du graveur juif de Nijni-Novogorod, frère du chef de l'État soviétique, devient général de la France Libre.

D'abord envoyé en Afrique du Sud en ambassade, il est désigné pour commander l'Afrique Équatoriale. Trois étoiles, puis quatre, puis peut-être même cinq, ornent son képi et ses manches.

Après la guerre, l'ancien apatride devient ambassadeur de France au Japon. Il meurt à Paris en 1966. Il m'a vu dans mon berceau.

Courez lire sa biographie par Francis Huré chez Bernard de Fallois. 

12:20 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, littérature, france libre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

La vie de cet homme est un vrai roman! Merci Hervé pour ce délicieux moment :-)

Écrit par : JR :-) | 12/06/2007

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