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24/06/2007

L'Europe sans le peuple.

Le principal défaut de la construction européenne est devenu patent dans les années 1990 : tout l'édifice reposait sur un ensemble de décisions parlementaires. De tous les traités constitutifs de l'Union européenne, un seul avait été adopté par référendum (et quel référendum...) : celui de Maestricht.
 
L'abstention croissante lors des élections du parlement européen manifestait le désintérêt du peuple pour la chose bruxelloise.
 
À vrai dire, cette désaffection choquait surtout en France, car les autres pays de l'Europe ont peu la pratique du référendum et s'en remettent volontiers à des solutions parlementaires.
 
Pourtant, l'idée française du besoin d'enracinement de l'Europe dans le suffrage universel faisait son chemin avec celle de la supranationalité. De toute évidence, si l'on voulait progresser dans le regroupement des souverainetés, il faudrait bien y associer les peuples.
 
On s'engagea alors dans un processus lourd de plusieurs référendums ponctuant l'adoption de l'ambitieux traité constitutionnel européen (TCE) par les parlements de certains états. Le Royaume-Uni devait fermer le bal référendaire ; l'adoption par les vingt-quatre autres états se changeait alors en couteau sous la gorge des Britanniques, sommés de se soumettre ou de se démettre, c'est-à-dire d'approuver ou de se retirer de l'Europe.
 
Ce chantage n'effrayait personne. Il échoua : le référendum français et, dans la foulée, celui des Pays-Bas, se soldèrent par deux non sonores.
 
On pourra gloser longtemps sur les raisons de ce double refus mais on se souvient qu'à l'époque, les études d'opinion montraient que les référendums suivants seraient difficiles aussi, notamment en Pologne.
 
Seul le Luxembourg sauva l'honneur, mais de justesse. Le signe devenait accablant : si un pays aussi profondément européen que le Luxembourg renâclait à ce point à approuver le nouveau texte, c'est qu'il devait avoir tous les défauts.
 
Il les avait : trop long, trop obscur, trop ambigu, trop charabia, trop dispersé, il ne pouvait être approuvé que du bout des lèvres et les adversaires de la construction européenne avaient beau jeu de lui découvrir toutes les tares car, étant donné son obscurité, personne n'était vraiment à même de les contredire, pas même le coordinateur des travaux de sa rédaction, le Français Giscard d'Estaing, qui invoquait pour toute défense un "pourquoi voulez-vous que nous ayons fait un mauvais texte ?" qui résonnait comme un aveu de faiblesse.
 
Et pourtant non, le TCE n'avait pas tous les défauts.
 
Il avait une qualité, une qualité essentielle que l'on a oubliée : il reprenait l'ensemble des traités fondateurs et les soumettait d'un coup au référendum.
 
C'était toute la construction européenne que le peuple se voyait alors invité à valider d'un coup.
 
Or il l'a rejetée. En bloc. Il a dit non à tout.
 
C'était le risque.
 
Il n'a pas été assumé.
 
Qui pis est, il est aujourd'hui nié : on se félicite de voir repris, nous dit-on, dans le nouveau traité abrégé (le "best-of" du TCE) l'essentiel des dispositions institutionnelles contenues dans le défunt traité.
 
Pourquoi pas ? Il en est de bonnes.
 
Mais on entend aussi qu'il n'est plus question de référendum et que les mêmes choix que le peuple a rejetés, le parlement du peuple va les adopter contre lui.
 
Peut-on décrire plus grand scandale politique ?
 
Alors il faut le dire : je suis pour la construction européenne, à fond. Je suis pour que nous bâtissions une grande fédération d'États nations (comme dit Delors) qui jouera un très grand rôle dans l'édification des institutions mondiales et dans l'organisation d'un monde plus équitable et plus humain.
 
Mais il ne peut être question de continuer à échafauder sans se préoccuper des fondations. Or les fondations, c'est le peuple. Le peuple doit s'exprimer.
 
Je sais bien que la récente campagne présidentielle donne l'impression que la colère du peuple est matée, que le fleuve populaire est rentré dans son lit après vingt ans de crue, que la crétinisation des esprits faibles est de retour et que son efficacité touche au zénith.
 
Je sais bien tout cela.
 
Je sais aussi que l'hyperactivité du président donne l'impression que tout va aller mieux, que les gens vont avoir envie de recommencer à travailler, à s'activer pour lui ressembler. Que par conséquent l'économie va s'éveiller de sa léthargie, d'autant plus qu'on annonce une hausse du pouvoir d'achat pour 2007 (3,2%).
 
Mais tout cela est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de démocratie sans le peuple et les frustrations qu'il subit dans les périodes d'effervescence économique et d'opulence, il les fait lourdement payer dans les moments de stagnation.
 
Que l'on s'en souvienne aujourd'hui pour n'être pas surpris demain. 

Commentaires

merci de ta réponse positive pour le picnic sur http://lesjeuneslibres.hautetfort.com , Hervé, c'est le genre de chose qui, si elle est multipliée rapidement, peut faire bouger encore un peu plus (je sais que tu le sais mais je veux que tu saches que je le sais ;-)

A samedi (j'y crois!)

Écrit par : guillaumeD | 24/06/2007

Merci pour cette contribution. Du fond, de la forme, de la hauteur. Un ballon d'O2.
Pour apporter ma contribution, j'ajouterai que l’Europe ne sera jamais une grande puissance au sens d’un ensemble politique capable de faire plier les grandes puissances au jeu de la realpolitik. Les Européens rejettent massivement cette éventualité et le déficit capacitaire nous condamne à une décennie de nivellement. Au demeurant, à supposer qu’ils en aient la volonté, nous, Européens, nous exposons à reproduire à l’échelle européenne ce que nous avons contré avec le projet de la ceca – l’idée que la la puissance et l'atribut de la force reste l'appanage de nations.
L’Europe, l'enjeu de la construction, est donc pour nous le moyen de nous faire puissance. Pour influer, particper à un projet de gouvernance globale et durable. Non en dopant la PESD mais en renforçant ce qui reste sa ressource politique majeure : sa capacité à produire et à mettre en place à l’échelle du monde un dispositif aussi large que possible de normes capables d’organiser et de discipliner le jeu de ses acteurs, de développer chez eux le sens de la responsabilité collective, d’offrir à ceux qui s’engagent sur cette voie, et notamment les plus faibles, la possibilité au moins partielle de rendre ces normes opposables à tous, y compris aux plus puissants du monde. La tâche peut sembler colossale, voire démesurée. Probablement, mais l’Europe a-t-elle d’autre choix que celui de s’assumer en tant que puissance normative ? Tant pour sa stabilité que pour le monde?

Écrit par : L'Abbé Gnade | 24/06/2007

@ l'abbé

Merci de ces réflexions qui ouvrent des pistes.

Écrit par : Hervé Torchet | 24/06/2007

Excellente vue, Hervé,
je te remercie de cette remise ne perspective tout à fait probante.

mais un bémol, j'avais le souvenir que le résultat au Luxembourg était de plus de 60% pour, donc pas serré comme tu sembles le dire.

Et puis un second bémol (ce qui fait un ton en-dessous en tout c'est ça?)

Surtout, tu dis :"trop long, trop obscur, trop ambigu, trop charabia, trop dispersé". Personnellement, je ne serais pas aussi dur que toi.

La question qui me reste en travers de la gorge depuis le 29 mai 2005, c'est pourquoi on n'a pas entendu plus d'intellectuels et d'experts des pratiques institutionnelles européennes pour répondre aux questions des citoyens.

Les journalistes savaient que les politiques n'étaient pas tout à fait sincères dans leur positionnement. Donc forcément, le débat de fond serait biaisé.
me pardonneras-tu ce mot : je n'aime pas que l'Europe se soit faite biaiser.

allez, à bientôt de te lire, c'est toujours aussi plaisant!!

Écrit par : guillaumeD | 25/06/2007

@Guillaume

L'intelligentsia française ne songe jamais qu'à s'inscrire dans des débats nombrilique. Elle fait, du p.d.vue du Belge que je suis, preuve d'une incapacité à décentrer son travail et à sortir des paradigmes que lui a cédé le Général. En témoigne l'irresponsabilisme de Fabius... Appel au non, et vos débats sur le blog de Madame Delmas (niveau bac +1). Je me repents. C'est un coup de sang. Gloire et louange à toi, Jean Monnet.

Pointant cette apathie, qui m'inquiète autant que la progression du renouveau de l'identité nationale, il est de notre devoir de mobiliser les couches intellectuels médiannes, qui ont une responsabilité particulière à l'égard de la culture européenne. Car si les oppositions entre tenants de la démocratie post-nationale et amoureux de la nation se sont christalisée autour de la question du référendum, entre europhiles et souverainistes, des polarités nouvelles se sont ajoutées, compliquant le tableau des approches au projet de traité constitutionnel. Ainsi en va-t-il de la gestion des ressources énergétiques dans les années à venir (source de tension géopolitique) et de l'émergence d'une forme de partenariat euro-méditéranéen renforcé (la menace du terrorisme ne sera écartée que par la modernité) avec la question turque. Et je suis triste de n'entendre nul Français, nul Démorate, se prononcer sur la question (sinon Hervé, qui, heureusement pour moi, joue à la pieuvre...) A croire que Sarte a emporté avec lui sa révolte et qu'aujourd'hui les brebis suivent Mickey... Triste sort pour l'intellectualisme militant.

Sur ce, n'oublions pas que des personnalités comme Bernard-Henri Lévy, Sylviane Agacinski, Bronislaw Geremek, Philippe Sollers, Pierre Rosanvallon, Alfred Grosser, et Jean-Marc Ferry se sont engagés publiquement.

Cordialement,

Écrit par : L'Abbé Gnade | 25/06/2007

**"Mais on entend aussi qu'il n'est plus question de référendum et que les mêmes choix que le peuple a rejetés, le parlement du peuple va les adopter contre lui."**
N'est-ce pas un peu rapide, réducteur et un brin démago de proférer une telle phrase...
Le Parlement du peuple adoptera AVEC le peuple, puisque ledit peuple a voté Sarkozy et que ce dernier a indiqué clairement qu'il n'y aurait pas de référendum.
C'est donc bien le désir du peuple, lequel vient de voter par 4 fois pour qu'il en soit ainsi...
Que ça vous plaise ou non c'est la loi de la démocratie représentative...
(pour qu'il n'y ait pas d'ambiguité je n'ai PAS VOTE pour le TSar...)

Écrit par : alainx | 25/06/2007

@ Guillaume @ Hervé
La question qui te reste en travers de la gorge est justement celle, pour moi, à laquelle il ne faut pas répondre...
C'est cliché mais il est temps que les intellectuels redonnent l'Europe aux citoyens. Une élection tous les 5 ans et un référendum tous les 13 ans ne sont que des ersatz.

Et puis l'Europe est une idée qui va au delà d'une communauté de pays réunie au sein d'un continent. Pour reprendre Hervé : "qui jouera un très grand rôle dans l'édification des institutions mondiales et dans l'organisation d'un monde plus équitable et plus humain"

C'est l'idée internationale qui est totalement absente, nous sommes dans un contexte immédiato-egocentrique !!! Ainsi, il est plus urgent de changer l'état d'esprit actuel qu'un texte constitutionnel qui n'est finalement qu'une stratégie anti-démocratique-ni vu-ni connu. Et attention au retour de baton ! On a vu ce que cela a donné en 2005 !!!

Hervé, pas une virgule à changer, très bon texte...

Écrit par : Benjamin Sauzay | 25/06/2007

On tend à oublier chez nous que le Non néerlandais n'est pas le Non français.
Chez nous, c'est globalement une réaction sur le volet social, tout autant qu'un rejet d'une europe distante voire brutale. Le non néerlandais devrait sonner comme un avertissement à l'europe, venant d'un peuple (jusqu'ici discipliné et enthousiaste) qui se ressent comme négligé, alors qu'il est le plus gros contributeur (ramené à son poids relatif), peuple cocufié en quelque sorte. En ce sens, il est radicalement différent du non français. Au fond, les hollandais accusent le coup et en veulent autant à leur politiciens qui ne les représentent plus qu'aux français qui laissent s'envoler leur dette, qui osent fanfaronner alors qu'ils ne respectent pas leurs engagements sur les critères de Maastricht. Si Pim Fortyun n'avait pas été assassiné (il se murmure là bas de drôles de choses sur cet assassinat), il aurait été élu et l'Europe aurait pris un sérieux coup sur la cafetière.

Écrit par : rémy | 25/06/2007

@ rémy

Utile rappel.

Écrit par : Hervé Torchet | 25/06/2007

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