21/08/2007
Avant de revoir « Le Corniaud ».
Gérard Oury avait été l’élève (longtemps avant moi) du même lycée que moi, le lycée Janson à Paris. Il lui arriva donc de venir se raconter devant l’auditoire distrait de l’association des anciens élèves de cet établissement. Il me semble que c’était juste après Pierre Daninos.
Ayant usé mes fonds de culottes dans les mêmes classes que sa petite-fille, la très jolie et talentueuse psy Caroline Thompson (je m’usai les yeux à la dévorer du regard pendant tous les cours durant de longs mois), je fus tout particulièrement heureux de venir dans le réfectoire des prof écouter la conférence du vieux maître du burlesque français.
Il n’avait pas encore perdu la vue.
Il vint et, contrairement à, par exemple, Alain Decaux qui énuméra ses camarades et ses professeurs, il ne dit pas un mot de son séjour dans les vieux bâtiments faits de brique et de fonte. Il ne nous régala que de ses anecdotes de tournage.
Pourtant, l’enfance d’Oury est exceptionnelle : son père, violoniste et chef d’orchestre de brasserie, avait quitté sa femme et celle-ci menait une vie très libre, entourée des grands artistes du Montparnasse d’alors qui était le prodigieux Montparnasse des années 1920. Foujita était l’ami particulier de la famille ; c’est dans sa voiture que la mère et le petit Max se rendaient à Deauville. Il y avait d’autres peintres, des écrivains. Marcelle Houry fut de la génération des pionniers de Saint-Tropez, comme Colette et Pagnol. La maison d’Oury, dans les hauts de Saint-Tropez, qui appartient aujourd’hui à sa fille, la cinéaste Danielle Thompson, date en partie de cette époque où Saint-Tropez était une découverte de tout premiers initiés.
Oury détenait une collection d’art moderne de très gros calibre qui lui venaient de sa mère et de ce temps. Sans doute est-ce pourquoi Danielle Thompson, au même titre que Claude Berry, est collectionneuse avertie et passionnée d’art contemporain : sa grand-mère (celle qui a servi de modèle à l’arrière-grand-mère de « La Boum ») lui en avait inoculé le virus.
« Le Corniaud » est le match aller de la rencontre Louis de Funès – Bourvil. Cette première manche est incontestablement gagnée par Bourvil, qui se taille la part du lion et impose un personnage plus fort que beaucoup de ses autres rôles. Il est aussi très touchant et ses relations avec ses partenaires féminins sont d’une grande sensibilité. Avec le recul, le film y perd en drôlerie, même s’il reste un chef-d’œuvre. Les vraies scènes amusantes sont toutes dues au génie particulier de Funès. Celle où il répare la cadillac en rythme et en musique (qui rend hommage à la scène du barbier dans « Le dictateur » de Chaplin) est prodigieuse. L’équilibre repose donc sur le gentil et émouvant corniaud opposé au vilain et ridicule brigand qui roule en Rolls et déjeune chez Drouant. Un troisième larron s’intercale entre eux, l’Italien Venantino Venantini (par ailleurs dernier rescapé des « Tontons flingueurs ») et, avec lui, la haute qualité esthétique des images : « le Corniaud » est un dépliant touristique pour l’Italie des années 1960.
C’est Louis de Funès lui-même qui avait suggéré à Oury de s’essayer à la comédie, à la fin du tournage d’un précédent film (sérieux) du maître. Oury avait hésité : acteur classique, habitué des scènes prestigieuses et des rôles du répertoire, de Corneille à Hugo, issu d’un milieu très imprégné des arts majeurs comme je l’ai dit, il s’était interrogé. Puis il avait plongé.
En vérité, Oury déploie des moyens considérables pour racheter son passage à la comédie. On l’a entendu assez souvent pour que je n’aie pas besoin de le répéter : il est le premier à avoir obtenu des enveloppes financières de films à grand spectacle pour réaliser des comédies.
Et tout y est : l’exotisme, les paysages somptueux, les couleurs, le mouvement, les effets spéciaux (ah, la scène où la Deuche implose !..).
Je reverrai donc « Le Corniaud » avec délectation.
Pourtant, mon préféré est le match retour, celui où Funès s’empare de la vedette au détriment de Bourvil : « La grande Vadrouille », une comédie trépidante, brillante dans tous ses aspects, époustouflante pour beaucoup des scènes de ses principaux acteurs. La romance entre Bourvil et Marie Dubois n’égale pas là l’intensité du moment où Funès dirige l’orchestre de l’Opéra, ni celle du bain turc, et de tant d’autres. Et curieusement, c’est, de tous les films de Louis de Funès, le seul où il reste un peu en retrait, où il économise les grimaces ; il l’a avoué lui-même : pour lui, Bourvil était un maître et on sent que les conseils du maître Bourvil (faux grimaçant) portent leurs fruits, Funès en fait moins, et il fait mouche à tous les coups.
Et pour les curieux, je signale que l’un des thèmes musicaux de « la grande vadrouille » a servi à Piovani comme accroche de l’un de ceux de « Fauteuil d’orchestre », l’excellente comédie de Danielle Thompson sortie l’an dernier, qui contient un autre hommage au film qu’elle avait coécrit avec son père, à travers le patronyme du pianiste, un film où il est question d’un collectionneur d’art contemporain qui vend sa collection parce qu’il va mourir. Oury est mort quelques mois après la sortie du film, l’été dernier.
Ayant usé mes fonds de culottes dans les mêmes classes que sa petite-fille, la très jolie et talentueuse psy Caroline Thompson (je m’usai les yeux à la dévorer du regard pendant tous les cours durant de longs mois), je fus tout particulièrement heureux de venir dans le réfectoire des prof écouter la conférence du vieux maître du burlesque français.
Il n’avait pas encore perdu la vue.
Il vint et, contrairement à, par exemple, Alain Decaux qui énuméra ses camarades et ses professeurs, il ne dit pas un mot de son séjour dans les vieux bâtiments faits de brique et de fonte. Il ne nous régala que de ses anecdotes de tournage.
Pourtant, l’enfance d’Oury est exceptionnelle : son père, violoniste et chef d’orchestre de brasserie, avait quitté sa femme et celle-ci menait une vie très libre, entourée des grands artistes du Montparnasse d’alors qui était le prodigieux Montparnasse des années 1920. Foujita était l’ami particulier de la famille ; c’est dans sa voiture que la mère et le petit Max se rendaient à Deauville. Il y avait d’autres peintres, des écrivains. Marcelle Houry fut de la génération des pionniers de Saint-Tropez, comme Colette et Pagnol. La maison d’Oury, dans les hauts de Saint-Tropez, qui appartient aujourd’hui à sa fille, la cinéaste Danielle Thompson, date en partie de cette époque où Saint-Tropez était une découverte de tout premiers initiés.
Oury détenait une collection d’art moderne de très gros calibre qui lui venaient de sa mère et de ce temps. Sans doute est-ce pourquoi Danielle Thompson, au même titre que Claude Berry, est collectionneuse avertie et passionnée d’art contemporain : sa grand-mère (celle qui a servi de modèle à l’arrière-grand-mère de « La Boum ») lui en avait inoculé le virus.
« Le Corniaud » est le match aller de la rencontre Louis de Funès – Bourvil. Cette première manche est incontestablement gagnée par Bourvil, qui se taille la part du lion et impose un personnage plus fort que beaucoup de ses autres rôles. Il est aussi très touchant et ses relations avec ses partenaires féminins sont d’une grande sensibilité. Avec le recul, le film y perd en drôlerie, même s’il reste un chef-d’œuvre. Les vraies scènes amusantes sont toutes dues au génie particulier de Funès. Celle où il répare la cadillac en rythme et en musique (qui rend hommage à la scène du barbier dans « Le dictateur » de Chaplin) est prodigieuse. L’équilibre repose donc sur le gentil et émouvant corniaud opposé au vilain et ridicule brigand qui roule en Rolls et déjeune chez Drouant. Un troisième larron s’intercale entre eux, l’Italien Venantino Venantini (par ailleurs dernier rescapé des « Tontons flingueurs ») et, avec lui, la haute qualité esthétique des images : « le Corniaud » est un dépliant touristique pour l’Italie des années 1960.
C’est Louis de Funès lui-même qui avait suggéré à Oury de s’essayer à la comédie, à la fin du tournage d’un précédent film (sérieux) du maître. Oury avait hésité : acteur classique, habitué des scènes prestigieuses et des rôles du répertoire, de Corneille à Hugo, issu d’un milieu très imprégné des arts majeurs comme je l’ai dit, il s’était interrogé. Puis il avait plongé.
En vérité, Oury déploie des moyens considérables pour racheter son passage à la comédie. On l’a entendu assez souvent pour que je n’aie pas besoin de le répéter : il est le premier à avoir obtenu des enveloppes financières de films à grand spectacle pour réaliser des comédies.
Et tout y est : l’exotisme, les paysages somptueux, les couleurs, le mouvement, les effets spéciaux (ah, la scène où la Deuche implose !..).
Je reverrai donc « Le Corniaud » avec délectation.
Pourtant, mon préféré est le match retour, celui où Funès s’empare de la vedette au détriment de Bourvil : « La grande Vadrouille », une comédie trépidante, brillante dans tous ses aspects, époustouflante pour beaucoup des scènes de ses principaux acteurs. La romance entre Bourvil et Marie Dubois n’égale pas là l’intensité du moment où Funès dirige l’orchestre de l’Opéra, ni celle du bain turc, et de tant d’autres. Et curieusement, c’est, de tous les films de Louis de Funès, le seul où il reste un peu en retrait, où il économise les grimaces ; il l’a avoué lui-même : pour lui, Bourvil était un maître et on sent que les conseils du maître Bourvil (faux grimaçant) portent leurs fruits, Funès en fait moins, et il fait mouche à tous les coups.
Et pour les curieux, je signale que l’un des thèmes musicaux de « la grande vadrouille » a servi à Piovani comme accroche de l’un de ceux de « Fauteuil d’orchestre », l’excellente comédie de Danielle Thompson sortie l’an dernier, qui contient un autre hommage au film qu’elle avait coécrit avec son père, à travers le patronyme du pianiste, un film où il est question d’un collectionneur d’art contemporain qui vend sa collection parce qu’il va mourir. Oury est mort quelques mois après la sortie du film, l’été dernier.
16:35 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Je préfère le match retour, où effectivement de Funès est sublime. Certainement son meilleur rôle.
Ce soir il y avait aussi le cercle rouge, où Bourvil jouait sur un autre registre, que finalement je lui préfère.
Mais il y avait aussi le duel Balasko/Lhermitte, nuit d'ivresse... (tiens, si j'allais boire un coup ?), autre génération, mais qui marque aussi le cinéma comique français. ...
Écrit par : Michel Hinard | 21/08/2007
N'ai pas hésité du tout entre les deux Bourvil.J'ai vu et revu bien evidemment le cercle rouge de Melville un des derniers Bourvil... Pierre
Écrit par : ulm | 26/08/2007
Beau joueur, Louis de Funès avait reconnu que cette première manche avait effectivement été gagnée par son partenaire :
"Et hop ! il l'a emballée ! Alors moi, i' m'épate, i' m'épate mais i' m'épate !"
Mais le match retour, excusez du peu :du nanan, pas du nanard !
"But alors you are French ?!!"
Inimitable !
André-Yves Bourgès
Écrit par : André-Yves Bourgès | 26/08/2007
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