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22/11/2007

"le goût et le pouvoir" : un livre à consommer sans modération.

Jonathan Nossiter est l'auteur du très atypique documentaire "Mondovino" qui a fait sensation au festival de Cannes voici plus de trois ans. Il y révélait beaucoup de secrets petits ou moins petits sur les réalités du vin autour de l'an 2000. Trois ans de tournage, deux je crois de montage, avaient été nécessaires à l'élaboration de cette cuvée militante.
 
Militante ?
 
Oui, Nossiter défend le travail du viticulteur, sa liberté, sa subjectivité. Il aime les vins de terroir, qui ne cèdent pas à la facilité du goût stéréotypé. Il estime d'ailleurs que la phase où le vin perd sa personnalité relève d'une entrée dans les rouages du pouvoir, du calcul économique ou politique. Pour lui-même, il revendique le caprice du goût, de son propre goût, qui lui ferme les logiques du pouvoir (ou qui finit, ce qu'il ne dit pas, par lui ouvrir le pouvoir par d'autres portes).
 
Ce goût intraitable lui fait tourner le dos au célèbre guide Parker qui exerce un magistère très fort sur l'élaboration des vins et qu'il juge porté à la facilité.
 
Ce goût obstiné lui fait refuser de présenter la carte des vins d'un restaurant new-yorkais pour lequel il travaille comme on le fait aux États-Unis : par cépage. Il le fait par terroir et ne présente que des vins français, alors que partout ailleurs, les vins californiens et italiens sont imposés par la mafia italienne qui contrôle (selon lui) 90 % du routage des vins aux États-Unis.
 
Ce goût capricieux le lance en quête de petits producteurs inventifs, agrippés à un carré de terre et à quelques pieds de vigne.
 
Il défend contre toute la logique actuelle l'autonomie des petits producteurs, la saveur de la diversité appuyée sur la richesse du terroir. Il faut dire que, s'il aime le jurançon cher à François Bayrou (mais en y incluant un rare sec plutôt que les courants moëlleux), il se méfie un peu des bordeaux. Il est en revanche émerveillé par la Bourgogne et les bourgognes, un terroir exceptionnel qui, à partir d'un seul cépage rouge (le pinot noir) est capable de produire la plus grande diversité de palais, des sophistiqués vosne-romanées jusqu'aux charpentés nuits-saint-georges (perso, j'adore le nuits-saint-georges).
 
Bien entendu, il n'est pas dupe, il sait que les trois quarts de la production de bourgogne sont dénaturés par les négociants et la tyrannie du marché, mais il en reste tout de même un quart, ce qui suffit à emplir une vie entière.
 
Il cite ses noms, ses favoris. On le sent tenté par l'idée de lancer un "contre-parker", un guide où l'indépendance du vigneron et la qualité de son travail seraient mis en avant, où l'identité du vin prévaudrait sur sa séduction. 
 
On peut donc lire son livre comme le témoignage d'un honnête homme qui se bat pour des principes que je trouve justes.
 
On y lira aussi la chronique d'une époque, car sa vie professionnelle, oenologique et cinématographique s'enracine dans les décennies 1970 à 2000 et lui permet de critiquer la gestion de New-York par Giuliani, de vanter le souvenir d'une photographe épouse d'une personnalité française à laquelle il a loué un loft, de parler d'une foule de gens qu'il a croisées ou connues, d'exprimer ses choix esthétiques.
 
Il y a dans son livre une esthétique éthique. Et c'est cette éthique qui l'irrigue et qui le rend nécessaire.
 
Il met enfin en garde contre la récupération dont sont victimes les meilleurs travaux, comme celui du vigneron de vins de Loire Joguet qui, face à de graves difficultés financières, avait dû vendre sa terre et dont les successeurs, purs financiers, se bornent à exploiter la "marque" éthique qu'il a créée, en la dilatant sur une surface triple de celle qu'il cultivait, dont l'effet de terroir n'a plus rien de commun avec celui qu'il obtenait.
 
L'ennemi ultime est donc, ici, comme ailleurs, la financiarisation de l'économie.
 
Pour soutenir l'entrepreneur contre le financier, le cultivateur contre le marchand, la PME contre le géant, le réalisateur de cinéma contre le producteur, l'être humain contre la machine, on peut lire ce livre, qui donne envie de boire une bouteille, une vraie.
 
Jonathan Nossiter, "Le goût et le pouvoir", aux éditons Grasset. 
 
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Article publié sur le site La librairie.org .

18:20 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, écriture, économie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

En Aquitaine nous n'avons pas de blancs secs digne de ce nom par rapport aux blancs secs d'Alsace.On se rattrape sur les liquoreux.le problème des Bordeaux,je ne parle pas des grands crus, c'est qu'il y a des millesimes trés durs à écouler et les stocks sont nombreux.Lorsque j' ai travaillé avec eux en 95 il était impossible de vendre les 92 rouge et les 93 .Je visitais des vignerons qui avaient 20 000,30 000 bouteilles sur palette. Pierre

Écrit par : ulm pierre | 22/11/2007

@ Pierre

L'un des arguments de Nossiter tient à sa capacité à découvrir les bons vins des mauvais millésimes.

Personnellement, comme je l'ai écrit, je sais qu'en pomerol, un mauvais millésime vaut toujours mieux que le plus extraordinaire d'un terroir que je trouve moins bien (je ne suis pas très médoc).

Le négoce du vin de Bordeaux a beaucoup changé dans les vingt dernières années et c'est aussi un de ses sujets.

La qualité, en ce domaine, est un peu victime des goûts du marché international, ce qui ne signifie d'ailleurs as que tous les bordeaux soient surfaits, mais qu'il faut veiller au grain.

Écrit par : Hervé Torchet | 22/11/2007

J'ai vu Mondovino donc je suppose que ce livre n'en est que la reprise... Moi non plus je ne suis pas Médoc car les grands crus sont inaccessibles à ma bourse et les autres ......
J'aime aussi les Bourgognes, Mercurey, Savigny, Pommard...et les côtes du Rhône : Côtes roties, sait Joseph, croze, Chateau neuf du pape pour ne citer que les plus connus
J'adore le Jurançon mais il est devenu cher. Je l'ai remplacé par le coteau du layon vin moelleux des pays de Loire, très parfumé.

Écrit par : Rosa | 22/11/2007

@ Rosa

Le livre n'est pas à proprement parler une reprise de "Mondovino". C'est par certains côtés une explication de texte, par d'autres un "making of", mais aussi un approfondissement.

Écrit par : Hervé Torchet | 22/11/2007

J'avais apprécié Mondovino car c'est ainsi que je conçois la belle ouvrage en matière viticole.
Après avoir été fort longtemps une adepte invétérée des Bordeaux, j'ai découvert plus tard les Bourgogne et là......
je suis tombée en pamoison.
J'ai la chance de vivre à proximité de nombreux domaines de vins du Languedoc et des Côtes du Rhône qui recèlent quelques nectars.

Très intéressante polémique anti Parker actuellement.

Écrit par : Gene | 22/11/2007

@Hervé

Tout à fait d'accord avec toi,pendant 18 mois j'en ai appris de bonnes sur le négoce....Pierre

Écrit par : ulm pierre | 23/11/2007

@Rosa,Gene,Hervé.

Tout en étant de Bordeaux je suis un fan des Pommards. Pierre

Écrit par : ulm pierre | 23/11/2007

Geneviève je te croyais parisienne !

Écrit par : Rosa | 23/11/2007

Bon, on se retrouve quand autour d'un Pommard ?

Écrit par : Rosa | 23/11/2007

Et on n'invitera pas Sarko : je crois savoir qu'il ne boit pas de vin ! La honte !

Écrit par : Rosa | 23/11/2007

@ Rosa
Et non, je ne suis pas parisienne (pour plagier Marie-Paule Belle).
Quelle drôle d'idée!
Comme quoi l'imaginaire.....
Je suis gardoise.

On pourrait se boire un bon Pommard le samedi soir du congrès,
vous les Parisiens devez connaître un bon bar à vin ?

Écrit par : Gene | 23/11/2007

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