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05/12/2007

Un souvenir de Raymond Barre.

Puisque la situation lyonnaise s'est clarifiée, j'ai envie de rappeler qu'en matière d'économie et d'éthique économique, Raymond Barre a été le modèle de plusieurs générations.

Pour la mienne, c'est dans les années 1980 que s'est fait le contact avec l'ancien premier ministre.

Nous préparions sa campagne présidentielle, j'avais été l'un des principaux organisateurs d'une université d'été extraordinaire à Hourtin, en Gironde, énorme pour ce petit parti qu'était le CDS, qui m'avait valu de découvrir les beaux quartiers de la vieille ville de Bordeaux et quelques autres plaisirs locaux.

C'était fin août et début septembre 1987. Raymond Barre venait prononcer le discours de clôture de l'université et quand il apprit l'atmosphère extraordinaire qui y régnait, l'attente des gens venus par centaines, les 1500 inscrits du déjeuner de clôture, il décida de modifier son discours dans l'avion qui l'y menait.

Il voulut rencontrer l'équipe nationale des jeunes. C'est nous qui, autour d'Éric Azière (aujourd'hui homme-clef des investitures pour Bayrou), de Bernard Sananès (infortuné concepteur de la communication du premier ministre Dominique de Villepin...), de Joseph Macé-Scaron (aujourd'hui rédacteur en chef à Marianne après l'avoir été au Figaro Magazine), et de quelques autres, avions pris en charge toute la conception et la réalisation de l'événement, dont les autorités "aînées" du mouvement étaient seulement les bailleurs de fonds et, bien entendu, les vedettes américaines.

Il arriva le matin. Il faisait une chaleur écrasante dès le lever du jour. Le site, qui bruissait d'un nombre effrayant de conversations et d'autres activités diverses jusqu'à une heure très avancée de la nuit, venait à peine de s'assoupir quand il fut réveillé par la rumeur de cette arrivée prochaine qui provoqua une ruée sur les petits-déjeuners.

Raymond Barre nous aimait bien. Il avait dit de nous, les JDS, "une exigence intellectuelle et morale, un désir d'action". Ca nous correspondait bien, je crois.

Il sortit difficilement de la voiture qui l'amenait. Il caracolait dans les sondages au-delà de 25%. Tout le monde se précipitait sur lui comme s'il avait pu guérir les écrouelles. Il n'était guère à l'aise avec cette pression humaine. Mais on le voyait heureux. Il se sentait en confiance.

Pour notre petite équipe d'une bonne vingtaine de jeunes de 22 (mon âge alors, j'étais le plus jeune) à 36 ans (le plus âgé était le trésorier Albert Kalaydjian, aujourd'hui conseiller municipal de Saint-Ouen), une petite salle avait été ménagée en vitesse pour la rencontre au sommet. Nous eûmes l'impression de poissons en bocal, car les deux tiers des parois étaient vitrées et les gens absolument agglutinés aux vitres pour observer la scène.

Jean-Marie Daillet, alors député de la Manche et aujourd'hui président des anciens du MRP, se faufila dans la salle, seul aîné parmi les jeunes devant le héros de notre future campagne.

Barre avait un regard de cristal très bleu, avec un léger strabisme. Il s'assit au bout d'une table en fer à cheval, nous échelonnés autour de lui, et entreprit de nous dévisager de cet oeil inquisiteur où l'on devinait une profonde intelligence, en silence. Puis il demanda un café et au moins deux sucres.

Éric Azière avait été un peu plus tôt en Angola, Joseph Macé-Scaron au Liban (où je l'avais accompagné dans la délégation), on parla de ces deux pays. Barre expliqua à propos de l'Angola que l'Afrique attendait beaucoup de l'Europe comme troisième voie entre les deux blocs d'alors. Il confia aussi qu'il avait une fois bousculé le protocole en recevant lui-même l'ambassadeur d'Angola à Paris, alors qu'il est d'usage que le premier ministre ne reçoive que les "grands" ambassadeurs et non ceux des "petits" pays. Mais il se trouvait que l'ambassadeur en question était de ses anciens élèves...

Puis on traita de politique.

Tout de même, on était là pour ça.

Et je n'ai jamais entendu un plaidoyer aussi implacable contre la "mise en coupe réglée de l'État", comme il disait, ce système qui est bien plus que de la corruption, un véritable phagocytage de la structure publique, une utilisation des moyens de l'État à fin politicienne, des circuits d'exploitation financière et autres malversations de toutes natures. Et il précisait que, à cet égard, le RPR (aujourd'hui l'UMP) était "bien pire" que le PS.

Je ne l'ai pas oublié.

Puis il prononça son discours ponctué par un très ému et très émouvant "j'aurai besoin de vous" qui préludait à sa déclaration de candidature, qu'il fit dans la phrase suivante, nous donnant ce deuxième honneur.

Puis il fut le 1501e convive, maniant sa fourchette avec un appétit d'ogre, avalant d'un coup de dent une cuisse d'oie confite, puis une deuxième, après une ou deux douzaine d'huîtres, et avant un dessert, et avec divers médocs (on était en Médoc), et ... c'était vertigineux à voir, ce coup de fourchette.

Puis, toujours heureux, fortement nourri, il partit reprendre son avion. Un mois plus tard, je passai sous les drapeaux. Il était à 28%.

Il profita hélas de mon séjour forcé dans l'armée de l'air pour redescendre jusqu'à ses 16,5% finaux. Évidemment, sans moi, il était perdu ;-)

05:05 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, Lyon, Raymond Barre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Pour l'anecdote je suis allé il y a trés longtemps à un meetig où Barre était présent avec un gars centriste ,le nom m'échappe.On mangeait et j'avais remarqué le coup de fourchette exeptionnel de Raymond Barre.La suite est plus cocasse car ils avaient invité Chuck Berry en personne et je te dis pas l'ambiance qu'il y avait et bien je me suis dit Raymond Barre va partir avant la fin,pas du tout il était heureux,il est resté jusqu'à la fin et Chuck a été génial.Je vais retrouver le nom de ce centriste dans mes carnets de route....Pierre

Écrit par : ulm pierre | 05/12/2007

Quel souvenir mémorable en effet...
On peut dire aujourd'hui encore "j'y étais"
Mais on peut aussi voir à quel point la France a raté un rendez-vous avec l'Histoire en mettant Chirac devant Barre.
20 ans d'immobilisme, depuis 1988.
Et maintenant la Sarkozye...

Écrit par : Bertrand JABOULEY | 02/01/2008

@B Jabouley

Deux fois ce cas de figure est arrivé:en 1988 et en 2007. 20 à 25 ans d'immobilisme c'est énorme.Tout , absolument tout est en chantier. Un gachis incroyable....

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 02/01/2008

@ Bertrand Jabouley

Merci de ton passage.

@ tous

Bertrand Jabouley, qui fut l'un de nos amis jeunes de feu le CDS (les JDS) voici ... quelques années, était en juin le suppléant d'Anne-Marie Comparini. Je le sens inquiet de la situation lyonnaise.

Écrit par : Hervé Torchet | 03/01/2008

Les commentaires sont fermés.