Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/03/2008

Deuxième gauche, deuxième droite, et puis ?

En relatant les propos tenus hier soir sur Public Sénat par Quitterie Delmas, l'expression "deuxième droite" m'est venue spontanément. Or il m'a paru qu'elle pouvait manquer de clarté pour ceux qui n'ont pas, comme moi, plus de vingt-cinq ans de politique à alourdir leurs épaules.
 
L'expression "deuxième gauche" a été utilisée à propos de Michel Rocard et de la CFDT des années 1970. Rocard et les rocardiens étaient alors la boîte à idées de la gauche, une boîte à idées dans laquelle la première gauche, celle des alliances d'appareils, celle du pouvoir, puisait sans vergogne.
 
Il y a eu, de la même façon, une "deuxième droite" dans les années 2000 : l'UDF bayrouiste que l'Hérétique regrette si fortement. Là encore et comme il le dit très justement, l'UDF a joué le rôle de boîte à idées de la droite.
 
Seulement voilà : il est arrivé à la deuxième gauche et à la deuxième droite la même mésaventure : leurs idées pillées pour la conquête du pouvoir mais jamais mises en application dans l'exercice du pouvoir.
 
C'est face à l'échec manifeste de la stratégie du "deuxième" (du Poulidor) de la politique bipolaire, que Bayrou s'est tourné vers l'idée de l'extrême centre qui a si fortement marqué les esprits lors de l'élection présidentielle.
 
Quel rapport avec l'initiative d'exhumation de la momie de l'UDF qui agite si fort les têtes blanches du Sénat (véritable musée de la momie) autour de l'inénarrable Raffarin ?
 
Aucun.
 
Ou plutôt si, il y en a un.
 
L'UDF est née en 1978 d'un conglomérat de partis habitués à travailler ensemble au Sénat depuis les années 1960 : les indépendants (RI), les centristes, les radicaux (amputés depuis 1971 de leur aile gauche) et quelques socialistes (Max Lejeune, SFIO) rebutés par l'alliance avec les communistes prônée par le Congrès d'Épinay. Dans l'appareil du parti, les giscardiens étaient majoritaires (les RI s'étaient démultipliés en trois composantes : Adhérents Directs de l'UDF, Clubs Perspectives et Réalités, RI devenus PR), cependant que le gros des militants était centriste. Au moment de sa fondation, l'UDF avait pour vocation de servir de bras armé au président Giscard d'Estaing et cette vocation se matérialisait par un livre, "Démocratie française" (illisible), signé par Giscard.
 
Hélas, l'UDF n'a gagné qu'une élection nationale : les Européennes de 1979. Toutes les autres furent perdues, à commencer par la présidentielle de 1981. Mais battue, elle subsistait. Elle présenta un candidat à la présidentielle de 1988, battu encore : Raymond Barre.
 
Sur le terrain, dans cette période, la domination du RPR chiraquien s'affirma. Dès lors, il y eut une répartition des rôles implicite : le Sénat et une grande quantité de collectivités locales à l'UDF qui ne s'occupait pas de politique nationale, cependant que le RPR prenait le pouvoir national.
 
Et un peu partout, les candidats UDF servaient de soupapes au mécontentement de la droite. Si l'UDF avait existé encore, l'électorat de droite se serait moins abstenu qu'il ne l'a fait aux récentes élections municipales. Pour protester contre Sarkozy, l'électorat aurait voté UDF. Faute de soupape, il est allé certes voter parfois pour le MoDem (mais l'identité de celui-ci est encore diffuse et imprécise) voire pour le PS, mais il s'est surtout abstenu.
 
L'initiative de Raffarin, relayée hier soir par Yves Pozzo di Borgo et (plus maladroitement) par Christian Saint-Étienne, est de restaurer cet équilibre-là, entre la droite et "l'autre droite" : l'UDF des années 1980, une époque où Pozzo se délectait à la fois de la table du président du Sénat et des multiples combinaisons de couloirs dont bruissaient les corridors feutrés de la Haute Assemblée.
 
Au passage, je signale que Pozzo a énoncé une contrevérité historique. Il a d'ailleurs été déçu de n'être pas contredit et il l'a expliqué : "elle est beaucoup plus jeune que nous". Car le déjà sexagénaire Yves Pozzo di Borgo appartient à une période relevant du Paléolithique de la politique. C'est le retour des morts-vivants (et je le dis avec d'autant plus de regrets que j'ai toujours eu de la sympathie pour lui).
 
La contrevérité est la suivante : Giscard a laissé l'UDF en 1995 à Bayrou avec des dizaines de conseils généraux, cent cinquante sénateurs, etc. Or en 1995, ce n'est pas Bayrou, mais François Léotard, qui a pris la présidence de l'UDF. Première inexactitude donc. Deuxième inexactitude : ce n'est pas Bayrou, mais Chirac et Le Pen qui ont fait fuir les sénateurs et les conseils généraux. Le premier, parce qu'il contrôlait entièrement l'organisme corporatif des agriculteurs (FNSEA) et que le Sénat est une chambre d'agriculture. Le deuxième (Le Pen), car l'UDF a implosé en 1998 sur la question de l'alliance avec le Front National. Ceux qui prônaient cette aliance (les madelinistes notamment) sont partis à cette époque-là, cependant que restaient ceux qui la rejetaient (l'essentiel des centristes, plus Léotard et Robien qui découpa sa carte de Démocratie Libérale aux ciseaux en direct sur France 3). Six mois plus tard, Chirac récupérait le Sénat et l'UDF commençait à perdre sa vocation territoriale. Et quatre ans plus tard, c'est le candidat du Front National qu'il affrontait au second tour.
 
Maintenant, et pour conclure, à quoi peut servir "l'autre droite" ?
 
À rien.
 
À faire des élus.
 
Et ça (pour parler comme Christian Saint-Étienne), tout le monde s'en fout. 

Commentaires

Cet historique est très intéressant dans ces moments de doute sur l'avenir. Merci Hervé.

Écrit par : KAMMERER Pascal | 21/03/2008

intéressant pour des politologues ou des gens qui s'intéressent à l histoire de l'UDF !
vous expliquez d un coté que le modem c est pas l udf et vous parlez de l histoire de l UDF pour évoquer le MODEM, bizarre....
2ème gauche, 2 eme droite, on s en fout, l'important c est la France, apportez des idées au débat au lieu de faire de la politique politicienne....des projets concrets !!!

Écrit par : et | 21/03/2008

Voilà du Torchet "grand cru" ! Heureusement qu'il y a des historiens au MoDem (trop peut-être ?) ! Salutations !

Écrit par : Leroy-Morin | 21/03/2008

voila, ca c'est une analyse ! Intéressante de surcroit ;-)

Écrit par : Juju | 21/03/2008

@ et

Pozzo di Borgo, Christian Saint-Étienne, Quitterie et moi-même sommes tous passés par la case UDF. Il y a une part de continuité de ce qu'il y avait d'idéaux dans l'UDF dans ceux du MoDem.

Je fais cette explication pour les adhérents qui souhaitent des éclairages historiques. Je ne force personne à les lire (ni d'ailleurs les commentateurs à changer de pseudo d'un commentaire à l'autre pour ... pourquoi au fait ?).

Écrit par : Hervé Torchet | 21/03/2008

@Hervé
pertinent et lucide ! amitié

Écrit par : bertin | 21/03/2008

Je peux participer en apportant ma part d'Histoire moi aussi?
Je me souviens très bien du magazine que j'avais reçu en 1988 suite à demande d'adhésion au CDS après la campagne de Raymond Barre. Ca s'appelait "démocratie moderne" si je ne m'abuse (et la réponse à ma demande ne fut que ce magazine de 4 ou 8 pages et une pub pour l'université d'été à Ramatuelle...) et... il y avait un joli article en édito, qui m'avait refroidi en pleine ouverture Miterrandienne (Méhaignerie et Barrot étaient alors de dangereux rebelles prêts à pactiser avec la gauche qui avaient même créé un groupe indépendant de celui de l'UDF...contre l'avis de FB tenté un peu plus tard par la rénovation Noiriste (et Milloniste, quel paradoxe!) et le parti unique de la droite...). Il était intitulé "le centre, l'autre droite"...et était signé d'un certain président des JDS nommé...Azière. Ce fut ma seule tentative pour adhérer à un parti. Il y a des souvenirs qui marquent. Etonning not?

Écrit par : zapataz | 21/03/2008

Je me souviens de cette période : j'ai failli adhérer aux JDS alors que j'étais en pleine période socialiste à cette époque. Pas de pot, le téléphone ne répondait pas quand on appelait...

Écrit par : L'Hérétique | 21/03/2008

Azière et moi faisions partie de ceux qui voulions faire tomber le mur droite-gauche. Bayrou est venu à cette idée plus tard.

Les "rénovateurs", en 1989, n'étaient pas spécifiquement noiristes (du nom du maire RPR de Lyon d'alors, Michel Noir) ; si ma mémoire est bonne, il y avait 6 RPR et 6 UDF. J'ai l'impression que Bayrou, qui était le plus jeune des 12, est le seul survivant. Ils avaient un point commun : le combat contre Chirac. C'est là-dessus que Bayrou a été recruté par Giscard comme secrétaire général de l'UDF.

Écrit par : Hervé Torchet | 21/03/2008

à côté, les Anciens Combattants de Mai 68 sont de bien petites pointures :-) là, on est dans le commando de choc, le putsch, le kill&go et le quarteron de généraux rebelles, les gars ! L'histoire de l'UDF reste à écrire... moi, en 88, je votais Barre en pensant "ni PS, ni RPR".... au final : ni rien du tout :-)

Écrit par : bertin | 21/03/2008

@Hervé
Amitiés ;)

Écrit par : marie laure | 21/03/2008

Article éclairant en tout point, une pointe de subjectivité par çi par la, subtil mélange. Et cet article ne peut que me rassurer car, ayant suivi l'émission, j'en suis arrivé évidemment à la question: qu'est ce que le MoDem? J'ai combattu toute la semaine auprés de mes camarades de prépa en quoi le MoDem, ce n'était pas simplement la stratégie des municipales, c'est un projet alternatif, un projet qui pense à tous les français et qui nous ne conduit pas droit dans le mur ( surtout au plan économique). On nous reproche d'être partout, donc nulle part? C'est parce que ce projet n'est pas simplement une variante, cette "deuxième droite" que l'on pille: il vaut la peine d'être défendu, car il a le droit d'exister, car il a une vraie légitimité. Merci de nous redonner courage, le combat n'est qu'à son aube, et notre projet cette éclaircie dans le brouillard politique français.

Écrit par : Sebastien | 21/03/2008

Un mot d'un vieux de l'UDF pour dire que c'est au début de 1996 et non en 1995 que Léotard a été élu président de cette formation.

Pour le reste, ce billet est trés interressant et les septiques devraient se souvenir que l'histoire, même de l'UDF, est toujours riche d'enseignement.

Écrit par : Guillaume A | 21/03/2008

@ Guillaume A

C'est donc une troisième inexactitude de Pozzo.

Écrit par : Hervé Torchet | 22/03/2008

@Hervé
Pozzo a toujours eu la fâcheuse tendance à réécrire l'histoire à son avantage ou selon ses intentions politiques. Le futur sénateur NC de Paris est sympa bien que peu méthodique.... sauf pour se faire élire :-)

Écrit par : bertin | 22/03/2008

Excellent billet, passionnant pour les ex-deuxième gauche arrivés au MoDem ;)

Écrit par : ArnaudH | 22/03/2008

Ce genre de billet est très intéressant ; on aimerait même qu'ils soient un soupçon plus développés.

Cette rétrospective/autopsie de l'UDF participe-t-elle à votre fameux bréviaire du militant tant attendu ?

Au plaisir de vous lire, encore et toujours... ;-)

Écrit par : flo | 22/03/2008

@Hervé: j'avais plutôt eu l'impression qu'Azière qui parlait d'autre droite et de deuxième droite étaient contre l'ouverture...Mais bon, les temps changent ;-)
@l'hérétique: j'aurais été flatté d'être dans le même parti!
@bertin: même combat même déception ;-)
sinon bien sur que Léo dirigeait officiellement l'Udf mais il me semble que DL avait fait un pas dehors avant les élections régionales et que de fait c'est le chef de Force démocrate qui était de fait le vrai dirigeant de ce qui restait de la confédération.
Pour moi ce qui a tué l'UDF c'est son incapacité à désigner un chef pour les législatives de 93 (et tout le monde a alors considéré Chirac comme le chef de l'opposition) et un candidat à la présidentielle de 95. chacun des ego (et VGE le 1er, et "papa" oublie vite que c'est lui qui a tué son enfant) a voulu tirer la couverture à soi et s'est retrouvé avec un mouchoir. le RPR est devenu à la fois la majorité et l'opposition avec Chirac et Balladur. Aprés, le déséquilibre entre les deux forces etait devenu trop net...et avec le retour des socialistes les opportunistes se sont soumis un à un..au plus fort.

Écrit par : zapataz | 24/03/2008

@ zapataz

À cette époque-là j'ai, à la demande d'Éric Azière, participé à plusieurs groupes de travail commun avec les MJS.

Écrit par : Hervé Torchet | 24/03/2008

Les commentaires sont fermés.