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30/09/2009

De toutes façons, Polanski doit être condamné.

J'avais eu d'abord l'intention de produire un deuxième article sur l'affaire Polanski, qui aurait été intitulé "On a retrouvé Javert, il est procureur en Californie". On se souvient que Javert, dans Les Misérables, est cet ancien maton de bagne, devenu policier, qui, règlement, règlement, continue à vouloir emprisonner Valjean pour le vol d'une pièce de 5 Francs, des années après, alors qu'entre-temps, Valjean est devenu Madeleine et a créé des quantités d'emplois et d'institutions philanthropiques. Javert incarne la Justice aveugle et rigide, à laquelle s'oppose l'effort de la conscience.

Seulement, à force de demander la clémence, on finit imperceptiblement par oublier le centre du sujet. Et le centre du sujet, c'est que Polanski reconnaît avoir eu une relation ignoble avec une jeune fille, et qu'il s'est dérobé au moment du prononcé de la sentence. Je vais ici expliquer en quoi la condamnation est nécessaire, en quoi l'enjeu dépasse de très loin la simple affaire de mœurs, et en quoi finalement, la clémence doit s'imposer à travers même la condamnation, car tout un chacun a droit au rachat et au pardon. Ce sera aussi l'occasion de réfléchir sur la Justice, au moment où le président de la république est sorti de sa fonction en exerçant une pression directe et publique sur le tribunal, un tribunal d'ailleurs tenu en suspicion par l'opinion publique dans l'affaire Clearstream.

Enjeu politique

Il faut le dire, les arguments qui ont volé de toutes parts dans les milieux cinématographiques mondiaux sont indécents pour des gens qui, par ailleurs, réclament la plus grande sévérité contre les internautes qui téléchargent des œuvres sur Internet. On croit parfois rêver en lisant que les grands artistes seraient au-dessus des lois. Ce serait vrai, à la rigueur, s'il s'était agi d'une affaire de fraude fiscale ou d'insulte à agent, mais on en est loin, très loin. Au fond, le plus ironique aurait été que Polanski fût recherché trente ans plus tard pour une affaire de téléchargement illégal... Qu'auraient-ils dit, tous ces beaux esprits ? Bon, Internet n'existait pas vraiment en 1977, mais quand même.

Or si je trouve parfaitement justifié que les internautes et blogueurs s'en soient pris, en termes parfois très vifs, aux soutiens de Polanski, je trouve que leur propre attitude est incohérente : si les internautes réclament l'indulgence pour le téléchargement, il faut qu'ils l'accordent à d'autres qu'eux-mêmes, non pas en donnant l'absolution à Polanski, mais en acceptant simplement de considérer les différents arguments que je présenterai un peu plus loin, qui justifient à la fois la condamnation et le pardon.

La position de Daniel Cohn-Bendit, par exemple, m'a paru profondément incohérente : s'il invoque la clémence pour ses écrits (répugnants) de jeunesse, il faut qu'il l'accorde aussi à Polanski, sinon on va penser qu'il éprouve le besoin de se dédouaner au détriment d'autrui. En revanche, à contre-emploi, Luc Besson est très cohérent en réclamant la sévérité à la fois contre les internautes et contre Polanski, et de ce fait, se trouve sur le même front que ceux qu'il combat, ce qui prouve que le manichéisme n'est pas de rigueur.

Hélas, la colère est si vive contre un pouvoir politique dont le plan de mise au pas d'Internet est si évident, qu'on ne retiendra pas Internet de s'en venger contre les suppôts artistes liés à ce pouvoir.

L'histoire de Polanski

Il faut rappeler que Polanski est un survivant du ghetto de Cracovie, ce que je ne souhaite à personne (même à mon pire ennemi). Il faut rappeler ensuite qu'il a perdu sa première femme et leur enfant dans des conditions effroyables, un assassinat fou, et qu'à l'époque des faits, il était considéré comme le diable par beaucoup d'Américains, à cause de son film Rosemary's Baby. D'après ce que j'ai entendu hier soir dans la bouche de Gisèle Halimi (qui, en dehors du fait qu'elle a été l'avocate du divorce de mes parents, est réputée pour défendre la cause des femmes), il a été désespéré par le double assassinat de ses proches, au bord du suicide, et c'est donc un homme qui a plongé depuis longtemps dans toutes formes, notamment psychotropes, d'autodestruction qui s'est retrouvé dans la situation du crime odieux qu'il semble avoir commis. Je n'ai pas lu ses Mémoires, mais il y relate à l'envi l'atmosphère très malsaine de Hollywood en ce temps, et ses propres frasques.

Il faut aussi ajouter que, déjà en odeur de soufre, Polanski a lourdement aggravé son cas dans l'opinion locale quand il a sorti l'un de ses chefs-d'oeuvres, Chinatown, en 1974. Ce film insiste sur les tares humaines à travers l'inceste entre autres, et dévoile (en l'extrayant d'un livre) un scandale politico-financier, certes présenté comme vieux alors de quarante ans, mais qui a bien dû éclabousser les institutions californiennes, qui ont certainement cherché ensuite à s'en venger.

D'ailleurs, c'est l'année suivante que Polanski a obtenu la nationalité française, tournant à Paris un film, Le Locataire, sorti en 1976. Et tout montre l'acharnement des juges contre lui au cours de l'affaire, très largement au-delà des souhaits de la victime, qui s'est toujours déclarée suffisamment lavée de l'horreur qu'elle avait subie (et dont par ailleurs on devrait examiner des impérities autour d'elle).

Ensuite, dans cette affaire, Polanski a suivi la procédure américaine : il a accepté de plaider coupable de relation avec une mineure, mais refusé la qualification de viol, indemnisant sa victime et recevant la promesse de cette qualification de détournement de mineure au lieu de celle de viol. Seulement, au moment d'aller à l'audience, son avocat lui a indiqué que le juge n'avait pas l'intention de suivre le procureur. Menacé de perpète, Polanski a préféré prendre la tangente. On se demande s'il ne s'attendait pas à ce genre d'événements et si son obtention de la nationalité française n'était pas pour lui une précaution, mais évidemment, cette réflexion ne le blanchit pas en elle-même, car ce pourrait aussi bien être contre les conséquences du dérèglement de sa vie que contre celles des pressions des pouvoirs californiens (n'oublions pas que l'Amérique est le pays de toutes les mafias) qu'il aurait pris cette précaution.

Et depuis trente ans, après avoir continué à aimer les femmes jeunes mais majeures, puis en avoir épousé une qui, à force, est moins jeune, et après en avoir eu deux enfants, changé sa vie (selon Danièle Thompson qui le connaît bien), s"être amendé autant que possible, avoir fait un certain nombre de films, parfois très bons, Polanski a fait un film bouleversant, un réel chef-d'œuvre, Le Pianiste, qui a obtenu l'Oscar à Hollywwod, un Oscar qu'il n'a pas pu aller chercher...

La corporation cinématographique contre l'institution judiciaire

L'idée s'est alors fait jour dans le cinéma qu'il fallait permettre à Polanski de revenir en Californie. On enregistra un témoignage vidéo de sa victime qui, âgée de 45 ans, a fait sa vie et n'a pas l'intention de rouvrir ce dossier qui n'est pas drôle pour elle, sans doute, et qui de toutes façons, est liée à Polanski par le pacte fait à l'époque et qui lui a certainement procuré une indemnisation substantielle (ce qui, vu de l'extérieur, n'efface rien, mais on ne peut pas se mettre à la place des gens, d'autant moins qu'on ignore le détail des circonstances qui ont conduit au drame).

On peut par conséquent trouver significatif que ce soit justement en se rendant à un festival de cinéma que Polanski ait été interpellé : c'est en quelque sorte la réponse rigoureuse de la justice aux aspirations du cinéma. La loi est la loi, elle doit même être "la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse", dit la Déclaration de 1789. Et c'est vrai.

Mais tout de même, il y a des années que le mandat d'amener contre Polanski traîne sur les bureaux de toutes les polices du monde, y compris la police suisse, et que Polanki se promène tranquillement partout, même et surtout en Suisse, et qu'il y a donc une forme d'injustice à ce que ce pays change subitement, sans le prévenir, la doctrine qu'il avait adoptée à son endroit.

Il faut dire qu'entre-temps, la Suisse a été placée sur la liste noire des États-Unis et que, de ce fait, les pouvoirs suisses pouvaient éprouver le besoin de se refaire une virginité aux yeux des autorités américaines, ce qu'ils ont pu faire au détriment de Polanski, sacrifié, comme je l'ai écrit lundi, sur l'autel du sacro-saint paradis fiscal suisse.

Tout être humain a droit au rachat

Parmi les condamnations véhémentes que j'ai lues sur la Toile, il y avait qu'on ne devait pas accorder de prescription aux violeurs, et aux violeurs pédophiles en particulier. C'est, je crois, ce que décide le droit helvétique. Il se trouve que personne n'invoque la prescription. Il n'y a pas de prescription, comme l'a justement noté Éolas. La question, de mon point de vue, est différente : est-il impossible de se racheter d'un crime dont la victime s'estime réparée ?

Quelle est la fonction de la punition et de la prison ? S'agit-il d'éliminer, de punir, de faire un exemple, ou de corriger ? S'il s'agit de corriger, ne doit-on pas examiner ce qu'a été la vie de Polanski depuis cette époque ? A-t-il récidivé ? Non. La punition et sa menace n'ont-elles pas, au contraire, agi en profondeur sur lui pour le conduire à s'amender ? C'est ce qu'on peut penser. La prison pourrait-elle aujourd'hui le corriger plus ?

Qui peut sérieusement le prétendre ?

Alors on a, d'un côté, le fait que la peine serait inefficace, et de l'autre côté celui que l'on a envie de lutter contre la maltraitance féminine (mais Nadine Trintignant a signé la pétition) et de ne pas lénifier le viol, qui est un crime abominable, ni la pédophilie, qui est un délit odieux, c'est hélas vrai.

Que faire ?

Se souvenir que toute peine est individuelle, que le juge ne considère que les faits et l'effet de sa décision sur la victime et sur le coupable. C'est pourquoi Polanski doit être condamné, il doit l'être, parce qu'il a commis un acte odieux. Mais on doit tenir compte des efforts qu'il a faits pour se racheter, vis à vis de sa victime bien sûr, mais aussi vis à vis de la Société. Et à ceux qui prétendent qu'il faut l'envoyer en taule pour l'exemple, je ne peux que répondre : si vous ne donnez pas aux criminels l'espoir de se racheter, autant les condamner directement à mort. Comme ça, imprescriptibilité générale, peine de mort automatique, on aura vite supprimé l'espèce humaine, qui n'est qu'un ramassis de délinquants, il faut quand même le rappeler. Comme dit l'autre, "que celui qui n'a jamais fauté lui jette la première pierre".

Donc une condamnation, pour que chacun sache effectivement que ses forfaits peuvent le poursuivre longtemps, et qu'il lui faudra œuvrer beaucoup et longuement s'il veut s'en racheter. Mais soit la dispense de peine, soit des activités d'intérêt général en substitution, soit le sursis, sachant qu'à 76 ans, il a peu de risque de récidive, et une amende pour s'être dérobé à la justice en 1977, me paraîtraient un châtiment à la fois efficace et équitable.

La Justice est-elle aveugle ?

Enfin, le côté irréel de cette arrestation au bout de trente ans doit nous secouer. Quand même, quand le procureur Javert de Californie nous explique sans sourciller que cela a été long d'avoir Polanski parce que Polanski était en fuite, on a envie de lui rétorquer "C'est vrai qu'il se cachait dans des grottes et qu'il diffusait ses films sous le nom de Polanski, Roman, au lieu de Roman Polanski". Allons, c'est ridicule. On n'a pas affaire à un criminel nazi réfugié aux États-Unis en Argentine sous un faux nom. Véritablement, les tartuffes sont de sortie. La justice n'en sort pas grandie.

Et c'est donc étonnant de s'apercevoir que cette mascarade pathétique se joue au moment où le président français vient de se rendre coupable de forfaiture en exerçant une pression directe et publique sur un tribunal pénal dans une instance à laquelle il est partie à titre personnel, ce qui redouble la forfaiture.

Et c'est étonnant aussi que tous ces événements soient concomitants avec un sondage (hum) qui souligne les doutes que l'opinion aurait sur l'impartialité des juges du procès Clearstream (cependant que Chirac obtient un non-lieu du Parquet qui, contrairement aux juges de Clearstream, dépend organiquement du pouvoir).

Vraiment, on est presque étonné qu'il ne se soit pas encore trouvé de mauvaise langue sur Internet pour crier au complot contre la crédibilité de l'institution judiciaire...

Alors, avant que cette vague de suspicion-là se soit levée, disons vite qu'il doit être vrai que la Justice est aveugle, car si elle ne l'était pas, elle irait au cinéma, et elle y aurait vu Le Pianiste, et elle aurait accordé, enfin, le pardon.

Mais j'aime trop les femmes, et une jeune femme en particulier, dont je sais que les jolis yeux verts vont lire cette page, pour ne pas conclure autrement. Sachons accorder le pardon, et permettons que l'on puisse se racheter. Et ne laissons pas banaliser le viol, ni maltraiter les femmes.

22:14 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : justice, polanski, viol | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

De mon point de vue, il n'y a qu'une seule issue moralement acceptable. Que la Justice, qu'elle soit helvète ou surtout américaine dans cette affaire, tranche. Ce n'est pas à nous de porter un jugement, c'est à la Justice. Sans quoi nous renierions son rôle.

Écrit par : JF le démocrate | 30/09/2009

Voici le billet de Maître Eolas, qui permet de répondre à certaines questions que vous soulevez:
Quelques mots sur l'affaire Polanski

Par Eolas le Mardi 29 septembre 2009 à 11:00 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Les plus attentifs de mes lecteurs auront peut-être entendu parler de cette affaire dont les médias se sont discrètement fait l’écho : un cinéaste français a été interpellé en Suisse et placé en détention, à la demande des États-Unis d’Amérique, en raison d’une affaire de mœurs remontant à la fin des années 70.

Un petit point juridique sur la question s’impose pour mes lecteurs qui n’étant pas ministre de la culture désireraient avoir un point de vue éclairé sur la question.

Roman Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice américaine. Un mandat d’arrêt international est une demande émanant forcément d’une autorité judiciaire (en France, un juge d’instruction ou une juridiction répressive) et relayée par voie diplomatique, s’adressant à tous les autres États, d’interpeller telle personne et de la lui remettre. Le vocabulaire juridique parle d’État requérant et d’État requis.

En principe, un mandat d’arrêt international, restant un acte interne à l’État requérant, ne lie pas les autres États requis. Mais de nombreuses conventions internationales, bilatérales (liant deux États entre eux) ou multilatérales (liant plusieurs États : il y en a une en vigueur en Europe, en Afrique de l’Ouest, au sein de la Ligue Arabe, en Amérique du Nord, etc…), dites de coopération judiciaire, sont intervenues pour rendre obligatoire l’exécution de ce mandat par l’État requis. Ces conventions ne sont pas signées avec n’importe quel État : la France n’a par exemple pas de convention d’extradition avec l’Iran ou avec la Corée du Nord. Dans notre affaire, il s’agit de la convention d’extradition entre les États-Unis d’Amérique et la Confédération Helvétique signée à Washington le 14 novembre 1990 (version en anglais et en pdf).

Concrètement, le mandat est notifié aux autorités du pays où se trouve la personne visée, ou enregistrée dans une base de données internationale, la plus connue étant celle de l’Organisation Internationale de police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol. Quand une personne se présente à la frontière, la police vérifie sur la base de son passeport si la personne est recherchée (les passeports actuels permettent une lecture optique, le contrôle ne prend que quelques secondes). En cas de réponse positive, la personne doit être interpellée, la police n’a pas le choix.

Le droit interne s’applique alors. Je ne connais pas le droit suisse en la matière, mais on peut supposer qu’il est proche du droit français en la matière. Le mandat d’arrêt vaut titre provisoire d’incarcération, généralement de quelques jours, le temps pour les autorités de notifier à la personne le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet, qu’elle sache qui a ordonné son arrestation et pourquoi. C’est capital pour les droits de la défense et le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté immédiate. Le détenu a naturellement droit à l’assistance d’un avocat.

Le détenu est ensuite présenté à un juge qui va s’assurer que la notification a été faite et demander à l’intéressé s’il accepte d’être remis à l’État requérant (auquel cas son transfèrement est organisé dans les délais prévus par la loi, là aussi sous peine de remise en liberté immédiate. S’il refuse, le juge statue sur une éventuelle remise en liberté surveillée, et l’intéressé peut contester le mandat d’arrêt.

Les arguments que l’on peut soulever sont divers. La régularité de forme, tout d’abord : le mandat d’arrêt international doit être conforme à la convention internationale liant l’État requérant à l’État requis, sinon ce n’est pas un mandat d’arrêt international. Classiquement, il doit indiquer l’autorité émettrice, la date d’émission, la nature des faits qui le fondent, et les textes de loi interne réprimant ces faits. Un État requis peut refuser une extradition pour certains motifs, qui généralement figurent dans la convention d’exclusion. Classiquement, ce sont les délits politiques (terrorisme exclu) et les faits qui ne constituent pas une infraction dans la loi de l’État requis, ainsi que le fait pour le détenu d’avoir déjà été jugé par un autre État pour ces mêmes faits : c’est la règle non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits (l’appel n’est pas un deuxième jugement mais une voie de recours). L’intéressé peut également soulever que le châtiment auquel il est exposé est illégal. L’Europe n’extrade pas quelqu’un exposé à la peine de mort, mais elle extrade si l’État requérant fournit des garanties que cette peine ne sera pas prononcée ou exécutée. Et oui, les États requérants (vous vous doutez que je parle surtout des États-Unis) tiennent parole, sous peine de se voir refuser toutes leurs futures demandes d’extradition.

Je passe sur le droit français qui est encore plus compliqué puisqu’il connait une phase judiciaire et une phase administrative, la cour de cassation et le Conseil d’État pouvant connaître du même dossier d’extradition (Cesare Battisti a fait le tour des juridictions françaises avant de faire le tour du monde).

Enfin, il existe un principe fondamental : un État n’extrade jamais ses ressortissants. C’est contraire à la protection qu’il doit à ses citoyens. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont l’abri de poursuites dans leur État d’origine.

J’ajoute que depuis 2004, le droit européen (de l’UE s’entend) a créé le mandat d’arrêt européen, qui exclut toutes les règles de l’extradition, notamment l’interdiction d’extrader un national. Il est de fait plus proche du mandat d’arrêt interne que du mandat d’arrêt international. Ce qui est conforme à la logique d’intégration européenne. Je me méfie autant des juges espagnols et allemands que Français, mais pas plus (c’est assez suffisant comme ça).

Et je crois nécessaire d’ajouter qu’aucune loi ni convention internationale ne prévoit d’immunité pour les artistes, oscarisés ou non.

Ah, une dernière précision ,décidément, on n’en a jamais fini : l’extradition ne se confond pas avec le transfèrement : ce terme concerne des personnes purgeant une peine dans un État autre que le leur, et prononcé par cet État. Le transfèrement vise à permettre au condamné d’être rapatrié dans son pays pour y purger sa peine. C’était le cas des condamnés de l’Arche de Zoé.

Revenons-en à notre cinéaste.

Il est de nationalité française (et polonaise, mais ici cela n’a aucune incidence). Il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice de l’État de Californie pour une affaire remontant à 1977. Il a à l’époque eu des relations sexuelles avec une mineure âgée de treize ans après lui avoir fait boire de l’alcool et consommer des stupéfiants. Si mon confrère Dominique de Villepin me lit, qu’il ne s’étouffe pas d’indignation en invoquant la présomption d’innocence : celle-ci a expiré peu de temps après les illusions de cette jeune fille, puisque Roman Polanski a reconnu les faits en plaidant coupable. La culpabilité au sens juridique de Roman Polanski ne fait plus débat. Roman Polanski, après quelques jours en prison, a été remis en liberté dans l’attente de l’audience sur la peine. Il en a profité pour déguerpir et a soigneusement évité le territoire américain pendant trente ans.

Au départ, l’accusation contenait cinq chefs d’accusation, dont une qualification de viol. À la suite d’un accord passé avec le parquet, comme la loi californienne le permet, Roman Polanski a plaidé coupable pour un chef unique d’abus sexuel sur mineur (unlawful sexual intercourse with a minor), code pénal californien section 261.5., délit puni de 4 ans de prison maximum.

Le mandat d’arrêt vise à le faire comparaître pour prononcer la peine, la comparution personnelle du condamné étant obligatoire pour la loi californienne.

La victime a été indemnisée et a retiré sa plainte. Cela faisait partie probablement de l’accord passé avec le parquet (la victime n’est pas partie au procès pénal en droit américain). Cela ne fait pas obstacle à la poursuite de l’action publique.

Tant qu’il résidait en France, il était tranquille : la France n’extrade pas ses nationaux. Et il ne pouvait être poursuivi en France, bien que de nationalité française, les faits ayant déjà été jugés aux États-Unis. C’est la règle non bis in idem dont je vous parlais plus haut.

C’est la vanité qui a piégé notre cinéaste : invité en Suisse pour y recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre (il ne se doutait pas qu’en effet, c’est bien l’ensemble de son œuvre qui allait recevoir ce qui lui revenait). D’après la presse suisse, ce serait le cinéaste qui a donné l’alarme lui-même en demandant à la police suisse une protection, attirant ainsi l’attention des autorités sur sa venue : elles ont constaté que ce monsieur était l’objet d’un mandat d’arrêt international émis en 2005 (je vais revenir sur cette date curieuse de prime abord), il n’était pas suisse, il pouvait être arrêté. Et le voici qui goûte la paille humide des cachots helvètes, où il est en cellule individuelle, confiné 23 heures par jour. Ça vous choque ? À la bonne heure. Les prisonniers en France sont traités de la même façon en maison d’arrêt, sauf qu’en plus, ils sont dans une cellule surpeuplée. Pensez-y aux prochaines élections.

La Suisse va notifier par voie diplomatique l’arrestation de Roman Polanski. Les États-Unis ont 40 jours pour demander officiellement l’extradition à compter de l’arrestation (article 13§4 de la convention de 1990), soit jusqu’au 5 novembre 2009 à 24 heures, faute de quoi Roman Polanski sera remis en liberté. Ce dernier a indiqué qu’il refusait l’extradition et compte porter l’affaire devant le Tribunal Criminel Fédéral (Bundesstrafgericht) et le Tribunal suprême fédéral (Bundesgericht) le cas échéant. L’affaire est désormais dans les mains de la justice suisse et de mon excellent confrère Lorenz Erni.

Enfin, dernier point, sur l’ancienneté de cette affaire. Tous les soutiens au cinéaste invoquent à l’unisson l’argument que cette affaire est ancienne (à l’exception de Costa Gavras, qui lui soulève que cette jeune fille de 13 ans en faisait 25 ; il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument). Se pose en effet la question de la prescription.

Je ne reviendrai pas sur le magistral exposé des règles en la matière (sans oublier la deuxième partie) par Sub lege libertas, règles qui sont à l’origine d’une grande partie de la consommation de paracétamol par les juristes. J’ajouterai simplement une précision : la loi californienne prévoit une prescription de 6 10 ans pour des faits de la nature de ceux reprochés à Roman Polanski (Code pénal de Californie, section 801.1). Cela dit sous toutes réserves, je n’ai pas accès à l’évolution du droit pénal californien depuis 1977.

Mais il faut garder à l’esprit que la prescription n’est pas un laps de temps intangible qui une fois qu’il est écoulé fait obstacle aux poursuites. Il peut être interrompu, et repart dans ce cas à zéro. Il faut six ans d’inaction des autorités judiciaires pour acquérir la prescription. Or les autorités judiciaires californiennes ne sont pas restées inactives depuis trente ans et ont toujours interrompu la prescription. La preuve ? En 2005, elles ont délivré un nouveau mandat d’arrêt international, acte qui interrompt la prescription : ce n’était en l’état actuel des choses qu’en 2011 que la prescription aurait éventuellement pu être acquise (sauf éléments du dossier que j’ignore, bien sûr).

Enfin et j’en terminerai là-dessus, je trouve choquant deux choses dans le tir de barrage du monde artistique.

Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.

Et je bondis en entendant le ministre de la culture parler de « cette amérique qui fait peur ». Ah, comme on la connait mal, cette amérique.

Tocqueville avait déjà relevé il y a 170 ans, la passion pour l’égalité de ce pays. Elle n’a pas changé. Il est inconcevable là-bas de traiter différemment un justiciable parce qu’il appartiendrait à une aristocratie, fut-elle artistique. Il y a dix ans, l’Amérique a sérieusement envisagé de renverser le président en exercice parce qu’il avait menti sous serment devant un Grand Jury. Quitte à affaiblir durablement l’Exécutif.

Une justice qui n’épargne pas les puissants et les protégés des puissants ? On comprend qu’un ministre de la République française, qui a soigneusement mis son président et ses ministres à l’abri de Thémis, trouve que cette Amérique fait peur.

Écrit par : lisa | 01/10/2009

Visiblement, ce monsieur avait un faible pour le mômes :

http://www.faz.net/s/Rub77CAECAE94D7431F9EACD163751D4CFD/Doc~EC6C13B9D08F043209206BE9270EEC572~ATpl~Ecommon~Scontent.html?rss_aktuell

Écrit par : wernerb | 05/10/2009

voici un lien interessant: la déposition de la victime quelques jours apres les faits

http://www.thesmokinggun.com/archive/polanskicover1.html
et un autre
http://www.cuk.ch/articles/4365

je pense (et j'espere) que la justice doit faire son boulot jusqu'au bout, ce qui n'a pas été possible pendant 30 ans puisque le gars a fuit délibérément et avec aide.

la gamine n'a pas subi des attouchements: elle a été violée (de manière prémédité) et a deux reprises

on peut pardonner à un homme ses fautes (vive notre bonne vieille morale religieuse), encore faut il qu'il ait été puni...

Le gars a donc préparé son coup, soulé drogué puis violé à deux reprises une gamine de 13 ans puis se disant que ce serait vraiment trop dur d'en assumer les conséquences, il se barre et vit pendant trente ans tranquille pendant que la gamine survit avec ça dans la tête (pendant ces 30 années...)

le fait qu'il ait survécu à Cracovie ou perdu sa femme dans des circonstances dramatiques n'a rien a voir mais alors vraiment rien... ou alors il faut parler aussi des trente ans de vie dans la richesse et la célébrité: mais ça n'a rien a voir non plus

un enfant a été violé purement et simplement et heureusement il n'y a pas prescription pour ça

une réaction humaine à chaud serait de le tuer... à froid et avec le temps d'oublier...
la justice est faite pour tempérer ces réactions et agir de manière juste... et égale pour tous en principe

j'espère donc qu'il purgera sa peine... comme n'importe quel criminel reconnu comme tel

Écrit par : vincent | 13/10/2009

@ Vincent

Je me permets de vous signaler que votre commentaire enfreint la présomption d'innocence en ce qu'il dépasse les faits reconnus par Polanski lui-même.

Le témoignage de la victime mériterait que vous produisiez aussi celui de Polanski (dans le livre "Roman par Polanski") où il explique que la jeune fille n'en était pas à son coup d'essai (si j'ose dire). Ce serait plus équilibré que de balancer des doc à charge, dont d'ailleurs j'avoue n'avoir ni le temps ni l'envie de contrôler l'authenticité.

Pour le reste, je n'ai rien à ajouter ni à retrancher à mon article. Oui à une sanction, non à la prison.

Comme le soulignait la cinéaste Danièle Thompson (amie de Polanski je le précise pour éviter toute ambiguïté), Ted Kennedy, que tout le monde a pleuré à juste titre lors de son récent décès, a laissé sa secrétaire mourir dans des conditions horribles d'un accident de voiture dont il était responsable, il y a déjà longtemps. La mort de qq'un, c'est évidemment bien plus grave encore que l'éventuel viol. Or Ted Kennedy n'a pas fait un jour de prison. Et quannd Michael Jackson a préféré payer pour éteindre une affaire de pédophilie, il n'a pas fait un jour de prison non plus. Par conséquent, l'acharnement contre Polanski est une forme d'injustice, d'autant que sa victime, devenue majeure depuis longtemps, ne veut plus qu'il soit poursuivi, et que tout montre qu'il ne risque plus de récidiver.

Vous dites "comme n'importe quel justiciable", mais on est en droit de se demander si ce n'est justement pas parce qu'il n'est pas n'importe quel justiciable que Polanski suscite l'acharnement d'une partie du monde judiciaire.

Écrit par : Hervé Torchet | 13/10/2009

Tout d'abord merci d'avoir répondu à mon post :)
pour commencer je pense qu'il faut se détendre: nous sommes sur un blog, pas au tribunal, je ne suis ni juge, ni procureur ou autre... je fournis des liens vers d'autres pages internet traitant du sujet :)
vous citez et parlez du livre de polansky je donne des liens qui semblent selon toute vraisemblance concerner l'autre coté.
je ne "produit" aucune preuve et je ne "condamne" personne (je n'en ai pas le pouvoir et je ne souhaite pas l'avoir), je dis juste ce que je pense.

qu'elle n'en soit pas à sont coup d'essai n'a pas de valeur puisqu'au moment des faits elle avait 13 ans donc elle ne "pouvait pas" légalement être consentante: s'il y a rapport avec un adulte, quoiqu'il arrive il y a viol avec acte de pédophilie (enfin s'il y a eu rapport... c'est une supposition... je prends des pincettes parce qu'il me semble que vous êtes sensible sur le sujet :))

par ailleurs ted kennedy et michael jackson sont restés aux états unis et ont affronté leur jugement, ce n'est donc pas comparable.

si polansky l'avait fait cette histoire n'aurait pas lieu d'être.

si acharnement il y a c'est peut être le revers de la médaille d'être riche et célèbre et de pouvoir dans ce genre d'affaire (comme dans d'autre d'ailleurs) s'en sortir en étant extrement bien défendu et en payant des dommages et intérèts en guise de punition...
si cette histoire avait concerné un black du bronx il n'aurait même pas eu le temps de fuir qu'il se serait retrouvé condamné et emprisonné.

concernant le fait de ne pas jeter la premiere pierre (encore une forme de philosophie bien judéo chrétienne), se faire une gamine de 13 ans ne rentre pas, à mon avis dans l'ensemble de fautes courantes que commet tout un chacun.

Enfin je pense (et il me semble que nous soyons d'accord là dessus) qu'il est juste normal même 30 ans apres que polansky soit extradé pour etre jugé sur ce qu'on lui reproche,
là où mon avis diffère c'est que: le black du bronx va en prison, la star va certainement payer, j'aime bien l'égalité alors j'aimerais une solution entre les deux (pour les deux d'ailleurs).

voilà voilà

bonne journée

Écrit par : vincent | 13/10/2009

@ Vincent

Mais si le black du Bronx s'est racheté, il a droit au pardon. Polanski a droit au pardon.

Écrit par : Hervé Torchet | 13/10/2009

Je ne sais pas à partir de quand il faut considéré qu'un être humain s'est racheté du viol d'un mineur... je ne sais pas... (heureusement que c'est pas mon taf :) )
Disons que pour moi payer n'est pas une forme de punition à la hauteur d'un viol quelque soit la somme; et puis ne pas commettre d'autre viol c'est juste normal ce n'est pas un rachat... enfin ce n'est que mon avis
attendons de voir la suite
bonne soirée :)

Écrit par : vincent | 14/10/2009

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