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30/09/2009

De toutes façons, Polanski doit être condamné.

J'avais eu d'abord l'intention de produire un deuxième article sur l'affaire Polanski, qui aurait été intitulé "On a retrouvé Javert, il est procureur en Californie". On se souvient que Javert, dans Les Misérables, est cet ancien maton de bagne, devenu policier, qui, règlement, règlement, continue à vouloir emprisonner Valjean pour le vol d'une pièce de 5 Francs, des années après, alors qu'entre-temps, Valjean est devenu Madeleine et a créé des quantités d'emplois et d'institutions philanthropiques. Javert incarne la Justice aveugle et rigide, à laquelle s'oppose l'effort de la conscience.

Seulement, à force de demander la clémence, on finit imperceptiblement par oublier le centre du sujet. Et le centre du sujet, c'est que Polanski reconnaît avoir eu une relation ignoble avec une jeune fille, et qu'il s'est dérobé au moment du prononcé de la sentence. Je vais ici expliquer en quoi la condamnation est nécessaire, en quoi l'enjeu dépasse de très loin la simple affaire de mœurs, et en quoi finalement, la clémence doit s'imposer à travers même la condamnation, car tout un chacun a droit au rachat et au pardon. Ce sera aussi l'occasion de réfléchir sur la Justice, au moment où le président de la république est sorti de sa fonction en exerçant une pression directe et publique sur le tribunal, un tribunal d'ailleurs tenu en suspicion par l'opinion publique dans l'affaire Clearstream.

Enjeu politique

Il faut le dire, les arguments qui ont volé de toutes parts dans les milieux cinématographiques mondiaux sont indécents pour des gens qui, par ailleurs, réclament la plus grande sévérité contre les internautes qui téléchargent des œuvres sur Internet. On croit parfois rêver en lisant que les grands artistes seraient au-dessus des lois. Ce serait vrai, à la rigueur, s'il s'était agi d'une affaire de fraude fiscale ou d'insulte à agent, mais on en est loin, très loin. Au fond, le plus ironique aurait été que Polanski fût recherché trente ans plus tard pour une affaire de téléchargement illégal... Qu'auraient-ils dit, tous ces beaux esprits ? Bon, Internet n'existait pas vraiment en 1977, mais quand même.

Or si je trouve parfaitement justifié que les internautes et blogueurs s'en soient pris, en termes parfois très vifs, aux soutiens de Polanski, je trouve que leur propre attitude est incohérente : si les internautes réclament l'indulgence pour le téléchargement, il faut qu'ils l'accordent à d'autres qu'eux-mêmes, non pas en donnant l'absolution à Polanski, mais en acceptant simplement de considérer les différents arguments que je présenterai un peu plus loin, qui justifient à la fois la condamnation et le pardon.

La position de Daniel Cohn-Bendit, par exemple, m'a paru profondément incohérente : s'il invoque la clémence pour ses écrits (répugnants) de jeunesse, il faut qu'il l'accorde aussi à Polanski, sinon on va penser qu'il éprouve le besoin de se dédouaner au détriment d'autrui. En revanche, à contre-emploi, Luc Besson est très cohérent en réclamant la sévérité à la fois contre les internautes et contre Polanski, et de ce fait, se trouve sur le même front que ceux qu'il combat, ce qui prouve que le manichéisme n'est pas de rigueur.

Hélas, la colère est si vive contre un pouvoir politique dont le plan de mise au pas d'Internet est si évident, qu'on ne retiendra pas Internet de s'en venger contre les suppôts artistes liés à ce pouvoir.

L'histoire de Polanski

Il faut rappeler que Polanski est un survivant du ghetto de Cracovie, ce que je ne souhaite à personne (même à mon pire ennemi). Il faut rappeler ensuite qu'il a perdu sa première femme et leur enfant dans des conditions effroyables, un assassinat fou, et qu'à l'époque des faits, il était considéré comme le diable par beaucoup d'Américains, à cause de son film Rosemary's Baby. D'après ce que j'ai entendu hier soir dans la bouche de Gisèle Halimi (qui, en dehors du fait qu'elle a été l'avocate du divorce de mes parents, est réputée pour défendre la cause des femmes), il a été désespéré par le double assassinat de ses proches, au bord du suicide, et c'est donc un homme qui a plongé depuis longtemps dans toutes formes, notamment psychotropes, d'autodestruction qui s'est retrouvé dans la situation du crime odieux qu'il semble avoir commis. Je n'ai pas lu ses Mémoires, mais il y relate à l'envi l'atmosphère très malsaine de Hollywood en ce temps, et ses propres frasques.

Il faut aussi ajouter que, déjà en odeur de soufre, Polanski a lourdement aggravé son cas dans l'opinion locale quand il a sorti l'un de ses chefs-d'oeuvres, Chinatown, en 1974. Ce film insiste sur les tares humaines à travers l'inceste entre autres, et dévoile (en l'extrayant d'un livre) un scandale politico-financier, certes présenté comme vieux alors de quarante ans, mais qui a bien dû éclabousser les institutions californiennes, qui ont certainement cherché ensuite à s'en venger.

D'ailleurs, c'est l'année suivante que Polanski a obtenu la nationalité française, tournant à Paris un film, Le Locataire, sorti en 1976. Et tout montre l'acharnement des juges contre lui au cours de l'affaire, très largement au-delà des souhaits de la victime, qui s'est toujours déclarée suffisamment lavée de l'horreur qu'elle avait subie (et dont par ailleurs on devrait examiner des impérities autour d'elle).

Ensuite, dans cette affaire, Polanski a suivi la procédure américaine : il a accepté de plaider coupable de relation avec une mineure, mais refusé la qualification de viol, indemnisant sa victime et recevant la promesse de cette qualification de détournement de mineure au lieu de celle de viol. Seulement, au moment d'aller à l'audience, son avocat lui a indiqué que le juge n'avait pas l'intention de suivre le procureur. Menacé de perpète, Polanski a préféré prendre la tangente. On se demande s'il ne s'attendait pas à ce genre d'événements et si son obtention de la nationalité française n'était pas pour lui une précaution, mais évidemment, cette réflexion ne le blanchit pas en elle-même, car ce pourrait aussi bien être contre les conséquences du dérèglement de sa vie que contre celles des pressions des pouvoirs californiens (n'oublions pas que l'Amérique est le pays de toutes les mafias) qu'il aurait pris cette précaution.

Et depuis trente ans, après avoir continué à aimer les femmes jeunes mais majeures, puis en avoir épousé une qui, à force, est moins jeune, et après en avoir eu deux enfants, changé sa vie (selon Danièle Thompson qui le connaît bien), s"être amendé autant que possible, avoir fait un certain nombre de films, parfois très bons, Polanski a fait un film bouleversant, un réel chef-d'œuvre, Le Pianiste, qui a obtenu l'Oscar à Hollywwod, un Oscar qu'il n'a pas pu aller chercher...

La corporation cinématographique contre l'institution judiciaire

L'idée s'est alors fait jour dans le cinéma qu'il fallait permettre à Polanski de revenir en Californie. On enregistra un témoignage vidéo de sa victime qui, âgée de 45 ans, a fait sa vie et n'a pas l'intention de rouvrir ce dossier qui n'est pas drôle pour elle, sans doute, et qui de toutes façons, est liée à Polanski par le pacte fait à l'époque et qui lui a certainement procuré une indemnisation substantielle (ce qui, vu de l'extérieur, n'efface rien, mais on ne peut pas se mettre à la place des gens, d'autant moins qu'on ignore le détail des circonstances qui ont conduit au drame).

On peut par conséquent trouver significatif que ce soit justement en se rendant à un festival de cinéma que Polanski ait été interpellé : c'est en quelque sorte la réponse rigoureuse de la justice aux aspirations du cinéma. La loi est la loi, elle doit même être "la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse", dit la Déclaration de 1789. Et c'est vrai.

Mais tout de même, il y a des années que le mandat d'amener contre Polanski traîne sur les bureaux de toutes les polices du monde, y compris la police suisse, et que Polanki se promène tranquillement partout, même et surtout en Suisse, et qu'il y a donc une forme d'injustice à ce que ce pays change subitement, sans le prévenir, la doctrine qu'il avait adoptée à son endroit.

Il faut dire qu'entre-temps, la Suisse a été placée sur la liste noire des États-Unis et que, de ce fait, les pouvoirs suisses pouvaient éprouver le besoin de se refaire une virginité aux yeux des autorités américaines, ce qu'ils ont pu faire au détriment de Polanski, sacrifié, comme je l'ai écrit lundi, sur l'autel du sacro-saint paradis fiscal suisse.

Tout être humain a droit au rachat

Parmi les condamnations véhémentes que j'ai lues sur la Toile, il y avait qu'on ne devait pas accorder de prescription aux violeurs, et aux violeurs pédophiles en particulier. C'est, je crois, ce que décide le droit helvétique. Il se trouve que personne n'invoque la prescription. Il n'y a pas de prescription, comme l'a justement noté Éolas. La question, de mon point de vue, est différente : est-il impossible de se racheter d'un crime dont la victime s'estime réparée ?

Quelle est la fonction de la punition et de la prison ? S'agit-il d'éliminer, de punir, de faire un exemple, ou de corriger ? S'il s'agit de corriger, ne doit-on pas examiner ce qu'a été la vie de Polanski depuis cette époque ? A-t-il récidivé ? Non. La punition et sa menace n'ont-elles pas, au contraire, agi en profondeur sur lui pour le conduire à s'amender ? C'est ce qu'on peut penser. La prison pourrait-elle aujourd'hui le corriger plus ?

Qui peut sérieusement le prétendre ?

Alors on a, d'un côté, le fait que la peine serait inefficace, et de l'autre côté celui que l'on a envie de lutter contre la maltraitance féminine (mais Nadine Trintignant a signé la pétition) et de ne pas lénifier le viol, qui est un crime abominable, ni la pédophilie, qui est un délit odieux, c'est hélas vrai.

Que faire ?

Se souvenir que toute peine est individuelle, que le juge ne considère que les faits et l'effet de sa décision sur la victime et sur le coupable. C'est pourquoi Polanski doit être condamné, il doit l'être, parce qu'il a commis un acte odieux. Mais on doit tenir compte des efforts qu'il a faits pour se racheter, vis à vis de sa victime bien sûr, mais aussi vis à vis de la Société. Et à ceux qui prétendent qu'il faut l'envoyer en taule pour l'exemple, je ne peux que répondre : si vous ne donnez pas aux criminels l'espoir de se racheter, autant les condamner directement à mort. Comme ça, imprescriptibilité générale, peine de mort automatique, on aura vite supprimé l'espèce humaine, qui n'est qu'un ramassis de délinquants, il faut quand même le rappeler. Comme dit l'autre, "que celui qui n'a jamais fauté lui jette la première pierre".

Donc une condamnation, pour que chacun sache effectivement que ses forfaits peuvent le poursuivre longtemps, et qu'il lui faudra œuvrer beaucoup et longuement s'il veut s'en racheter. Mais soit la dispense de peine, soit des activités d'intérêt général en substitution, soit le sursis, sachant qu'à 76 ans, il a peu de risque de récidive, et une amende pour s'être dérobé à la justice en 1977, me paraîtraient un châtiment à la fois efficace et équitable.

La Justice est-elle aveugle ?

Enfin, le côté irréel de cette arrestation au bout de trente ans doit nous secouer. Quand même, quand le procureur Javert de Californie nous explique sans sourciller que cela a été long d'avoir Polanski parce que Polanski était en fuite, on a envie de lui rétorquer "C'est vrai qu'il se cachait dans des grottes et qu'il diffusait ses films sous le nom de Polanski, Roman, au lieu de Roman Polanski". Allons, c'est ridicule. On n'a pas affaire à un criminel nazi réfugié aux États-Unis en Argentine sous un faux nom. Véritablement, les tartuffes sont de sortie. La justice n'en sort pas grandie.

Et c'est donc étonnant de s'apercevoir que cette mascarade pathétique se joue au moment où le président français vient de se rendre coupable de forfaiture en exerçant une pression directe et publique sur un tribunal pénal dans une instance à laquelle il est partie à titre personnel, ce qui redouble la forfaiture.

Et c'est étonnant aussi que tous ces événements soient concomitants avec un sondage (hum) qui souligne les doutes que l'opinion aurait sur l'impartialité des juges du procès Clearstream (cependant que Chirac obtient un non-lieu du Parquet qui, contrairement aux juges de Clearstream, dépend organiquement du pouvoir).

Vraiment, on est presque étonné qu'il ne se soit pas encore trouvé de mauvaise langue sur Internet pour crier au complot contre la crédibilité de l'institution judiciaire...

Alors, avant que cette vague de suspicion-là se soit levée, disons vite qu'il doit être vrai que la Justice est aveugle, car si elle ne l'était pas, elle irait au cinéma, et elle y aurait vu Le Pianiste, et elle aurait accordé, enfin, le pardon.

Mais j'aime trop les femmes, et une jeune femme en particulier, dont je sais que les jolis yeux verts vont lire cette page, pour ne pas conclure autrement. Sachons accorder le pardon, et permettons que l'on puisse se racheter. Et ne laissons pas banaliser le viol, ni maltraiter les femmes.

22:14 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : justice, polanski, viol | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

29/09/2009

Ce que l'affaire Polanski enseigne sur Hadopi.

Bien entendu, le texte qui va suivre ne vise aucunement à légitimer l'acte commis par Roman Polanski voici plus de trente ans, mais à comprendre le piège dans lequel certains dispositifs judiciaires peuvent placer les éventuels justiciables. L'acte délictueux en lui-même (l'acte sexuel avec une mineure âgée de 13 ans) est inexcusable sauf circonstances vraiment exceptionnelles, mais les faits ne sont pas ceux que l'on nous a servis d'abord.

Le piège du plaider coupable

Selon la version qui traîne beaucoup, notamment sur Internet, Polanski aurait drogué et violé une toute jeune fille. Dit comme cela, c'est ignoble, on clame "Renvoyez-le à ses juges ! qu'il aille croupir !" Mais selon une autre version que l'on commence à entendre, la mère de la jeune fille aurait poussé Polanski à faire des photos de sa fille dans une situation que l'on imagine, à peu près comme cela a été le cas pour Brooke Shields à la même époque, sauf que... une fois l'acte commis, voici Polanski dans un piège : il ne peut nier, il a commmis l'irréparable. Pour sortir d'une situation dans laquelle il se sent piégé, ce qu'il est en effet, Polanski peut aller au procès, dont le résultat est aléatoire, ou transiger avec sa victime et avec la justice, ce qui l'oblige à plaider coupable. La gravité de la peine est l'un des éléments substantiels de la transaction avec la justice. Pour obtenir une peine relativement légère, Polanski accepte de plaider coupable et d'indemniser sa victime dont la mère semble pourtant aussi coupable que lui.

Désormais, quoiqu'il arrive, le voici dans la nasse de la culpabilité. Et lorsqu'il sent que la peine va dépasser la durée pour laquelle il a transigé, il préfère s'enfuir. Le piège s'est refermé sur lui. Trente ans plus tard, un procureur, sans doute en mal de notoriété, va agiter la nasse. Polanski est arrêté par les autorités d'une Suisse qui cherche désespérément à se refaire une virginité aux yeux des États-Unis. On va sacrifier Polanski sur l'autel du sacro-saint paradis fiscal helvétique.

J'avoue que cette seconde version me paraît plus vraisemblable que la première, et finalement, cette affaire de piège s'est répétée plus tard contre Michael Jackson, sans succès automatique, puisqu'il a payé une fois et gagné l'autre. Dans la dernière, le gamin qui avait accusé Jackson a reconnu après sa mort que ses accusations étaient fausses.

Ainsi, dans le dispositif Hadopi, y a-t-il de petits ruisseaux qui peuvent composer de grandes rivières judiciaires. On dit "mais l'Hadopi qui constate n'incrimine pas", sauf que ses constatations créent une présomption de culpabilité. On dit ensuite "Mais la procédure d'ordonnance judiciaire est légère et n'aboutit pas à une condamnation pénale" sauf qu'elle est optionnelle dans le dispositif, entre les seules mains de la partie civile, d'une part, et du procureur qui agit sur instruction politique d'autre part. La procédure enclenchée par la constatation de la prétendue infraction peut, sans aucune preuve autre, mener le justiciable en correctionnelle, avec très lourde amende et surtout prison à la clef. Et la constatation faite par la commission de l'Hadopi fait foi jusqu'à preuve du contraire, il y a bien toujours une présomption de culpabilité, dont le justiciable peut n'avoir aucun moyen de se libérer.

Ainsi, le raisonnement que l'on nous sert à propos d'Hadopi est-il celui qui a piégé Polanski : "Vous pouvez accepter le dispositif judiciaire, car, c'est promis, la peine sera légère". Or en justice comme ailleurs, et l'affaire Polanski le démontre, les promesses n'engagent que ceux qui les entendent. Et le législateur, lui, ne peut valablement se contenter d'une promesse de l'autorité politique devenue maîtresse des poursuites judiciaires : il est là, au contraire, pour fixer les règles qui offrent au justiciable des garanties de défense équitable et la clarté métronomique de la loi pénale, non pas l'aléatoire de la bonne volonté du pouvoir politique. En matière pénale, s'il y a pouvoir discrétionnaire valide, c'est toujours dans le sens de l'allégement de la pénalité, jamais dans celui de son alourdissement. C'est en quoi le texte Hadopi 2 est aussi liberticide que l'était Hadopi 1 avant censure par le conseil constitutionnel.

Voilà ce qu'enseigne l'affaire Polanski, le piège du plaider coupable, sur le texte Hadopi 2, le piège de la présomption de culpabilité.

03:38 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : justice, culture, hadopi, polanski | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook