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07/11/2009

Faut-il reconstruire le mur de Berlin ?

La commémoration de la chute du mur de Berlin sonne étrangement au moment même où le parti du président français (l'UMP) est jumelé avec le Parti Communiste chinois, celui-là même qui, en 1989, l'année de la chute du Mur, a réprimé durement les mouvements étudiants de la place Tian an Men à Pékin. On pourrait considérer bien sûr que, d'une part, ce choix révèle la vraie nature soixante-huitarde du président : après avoir exprimé son intention de "jouir sans entrave", le voici maoïste... mais d'autre part, on n'a pas envie de réduire la problématique de la chute du Mur à des considérations polémiques, car elle a eu un effet bien plus considérable.

1989 : l'année du bicentenaire de la Révolution française

La chute du Mur ne s'est pas faite en un jour, elle a été l'aboutissement de nombreux mois de crissements et de craquements qui, peu à peu, déchiraient et déboitaient le monde bâti par les soviétiques depuis la seconde guerre mondiale. La Pologne avait longtemps fait preuve d'insoumission, puis ce furent les Hongrois qui décidèrent d'ouvrir leur frontière avec l'Autriche. Aussitôt, des Est-Allemands, des Tchèques, des Hongrois mêmes, et d'autres, votèrent avec leurs pieds en passant à l'ouest. Il y eut des trains entiers qui, partant d'Autriche, arrivaient en Allemagne encore dite de l'Ouest (la RFA, opposée à la RDA). L'effondrement semble avoir été presque voulu par Gorbatchev, comme une purge salutaire, et on ne peut pas s'empêcher de faire un rapprochement entre celui-ci et le personnage extraordinaire interprété par Kusturica dans le passionnant film de Christian Carion "L'affaire Farewell".

Pendant que ce monde s'effritait et périssait, la France préparait les fastes du bicentenaire de la Révolution française. On enregistrait des émissions plus ou moins inspirées (je me souviens d'un procès de Louis XVI où Fouquier-Tinville était curieusement interprété par Jean-Édern Hallier, plus flamboyant que jamais), des documentaires, on se préparait à rouvrir pour la énième fois le dossier de la Terreur, pouvait-on distinguer les deux phases de la Révolution, 1789 et 1793, ou fallait-il considérer que la Révolution, dans toutes ses phases, était, selon l'expression de Clemenceau, "un bloc" ?

Le clou des festivités était évidemment prévu pour le 14 juillet 1989, commémoration de la prise de la Bastille par les Parisiens. On annonçait un défilé de haut vol créatif sur les Champs-Élysées, Jack Lang au faîte de sa gloire se trouvait aux manettes, on allait voir ce qu'on allait voir. Et j'avoue que j'ai été profondément déçu. Je ne suis pas du tout sensible à ce que fait Découflé, j'ai trouvé son défilé emphatique et ridicule, comme d'ailleurs l'ensemble des manifestations dont j'ai été le témoin. C'est que, dans toute cette affaire, un mot manquait : révolution.

La Révolution française, mère de toutes les révolutions jusqu'en 1989

Bien que la guerre d'indépendance américaine soit considérée comme une révolution selon les catégories anciennes, la vraie révolution, celle qui a fait rêver le monde, celle qui a théorisé le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, celle qui a renversé les féodalités européennes et imposé partout l'état-civil et le droit notarial unifié, c'est la Révolution française. Celle qui a guillotiné le roi et tué définitivement le père, c'est la Révolution française. Celle qui a aboli l'esclavage, c'est la Révolution française. Celle qui a proclamé l'égalité des citoyens devant la loi, c'est la Révolution française.

Nombreux sont les révolutionnaires du XXe siècle qui sont venus recueillir les idées révolutionnaires au creuset parisien, quel que soit leur pays, en particulier russes et chinois. Et comme un écho de la Révolution française, ceux qui ne trouvaient pas leur bonheur en potassant 1789 et 1793 le dénichaient en étudiant 1871 et la Commune de Paris. L'Internationale, chant français écrit par un Français (Eugène Pottier) pour le monde entier, était certes traduite, mais apprise en français dans le monde entier, après 1917.

Le plus terrible d'ailleurs, de ce point de vue-là, a été quand, place Tian an Men, on a vu des étudiants chinois fiers de résister au pouvoir sur un chant révolutionnaire français, la Marseillaise, quand en face d'eux, le pouvoir se réclamait d'un autre chant révolutionnaire français, l'Internationale. On pouvait presque retrouver là l'écho de ce que Lamartine dit un jour à des ultras de 1848 : "Votre drapeau rouge n'a fait que le tour du Champ de Mars, quand le drapeau tricolore a fait le tour du monde", en somme la même opposition se trouvait à des milliers de kilomètres de là, dans une société qui ne savait de la France que ce que les manuels révolutionnaires en disaient. Ce fut le tragique pinacle de l'influence idéologique française dans le monde, un chant du cygne : avec la chute du Mur, l'idée révolutionnaire, Danton, Robespierre, Marat, Clément, Sorel, toute cette cohorte de saints rouges, était appelée à sombrer dans l'oubli.

Nous n'en étions pas conscients alors, mais la fin de l'Union Soviétique, qui se profilait, annonçait la fin du prestige de nos idées, la fin de leur capacité dynamique à agir sur le monde.

Qu'avons-nous à dire au monde ?

Ce qui est tragique, c'est que le bébé s'est noyé dans l'eau du bain quand on a jeté le bébé avec l'eau du bain. Car dans les idées révolutionnaires brusquement démonétisées, il y avait des principes utiles pour organiser le monde, et surtout l'idée fondamentale que le peuple peut faire pièce aux puissants, qu'il peut leur tenir la dragée haute.

Et depuis ce temps, des idées, nous n'en avons plus, l'anglais règne partout, l'éthique publique a disparu au profit de la logique mercantile, inégalitaire et communautaire, qui se pare du beau nom de modernité et qui n'est que la dilatation des habitudes anglo-saxonnes à l'échelle d'un modèle mondial qui se voudrait universel. Cette société dominée par l'argent, c'est la leur depuis des siècles. Elle véhicule son cortège de misère et de soumission.

Et nous, nous pataugeons dans un débat sur l'"identité française" qui est forcément impossible, car l'identité française, notre esprit commun, est justement de n'avoir pas d'esprit national (pas de "Volksgeist"), mais une conceptualisation du monde, la Raison, de Pierre Abailard à Voltaire en passant par Thomas d'Aquin et Descartes. La France, c'est le français, notre langue, une méthode intellectuelle, ouverte à qui veut bien s'y intéresser. Notre identité, c'est de distinguer le public du privé, le sacré du profane, le politique du commercial, l'État de la Société civile. Notre identité, ce sont trois mots : Liberté, égalité, fraternité.

Commentaires

Intéressant article, même si je n'ai pas tout compris. Il est évident que notre monde moderne a oublié les idéologies qui ont fait la fierté des démocraties actuelles. La révolution francaise est une révolution mondiale, car elle a été la fracture avec le passé.

Toutefois, de nos jours on a oublié ou pire bafoué ces principes fondamentaux que sont la démocratie et l'égalité. Mais on utilise leurs symboles pour faire croire au plus grand nombre qu'on se bat toujours pour les plus grandes causes.

Écrit par : achille52 | 07/11/2009

Le mur qui sépare les quartiers chics des quartiers pauvres de toutes les villes du monde est chaque jour plus haut et plus solide . Berlin possède elle aussi ce mur bien réel et bien solide . L'autre mur celui construit à la hate comme un décor de théatre bien que déruit comme la bastille a servi et sert encore dans les séries télévisées .

Écrit par : paradowski | 08/11/2009

Touchée ! j'ai adoré ton article ... fais nous en d'autres comme celui là !

un seul bémol : la fin du prestige de nos idées est à mon sens très antérieur à la chute du mur, mais disons que tout s'est accéléré depuis !

Écrit par : Mirabelle | 08/11/2009

Sauf qu'à peine la foule rentrée chez elle en 1789, ceux qui avaient le pouvoir l'ont bien gardé, on tué et fait tomber les têtes sur le pavé parisien et ailleurs... pour remettre sur le trône un "empereur" juste quelques années plus tard...

Il ne faut pas rêver un rêve franco-français fait d'illusions...

La Chute du Mur, je l'ai vécue en direct car j'étais en Allemagne, au milieu de plein de gens qui pleuraient à chaudes larmes, surtout des hommes, cette chute du mur a été inévitable non seulement grâce aux Polonais qui se sont engagés dans les rues avec la peur au ventre face aux chars soviétiques qui n'avaient pas hésité à tirer à Budapest et à Prague et à tuer... et grâce aux citoyens est-allemands qui se sont réunis TOUS LES LUNDIS tout d'abord à Leipzig dans les églises, seul lieu où cela était possible, au péril de leur vie.

On ne le dit pas assez en France. J'ai des amis, un couple et trois enfants en bas-âge, qui ont été espionnés par la Stasi pendant des mois, lui a été arrêté, mis en prison pour quelques jours, puis relaché. Quelques jours plus tard, en fin de soirée, la police politique a sonné chez eux, ils ont dû faire leurs valises en quelques minutes et monter avec leurs trois jeunes enfants dans des voitures qui attendaient en bas de leur maison... pour être expulsés de leur propre pays, l'Allemagne de l'Est. On les a fait passer derrière la frontière, en pleine nuit, dans un pays où ils ne connaissaient PERSONNE...

C'était le risque de tous ceux qui s'opposaient, silencieusement tout d'abord, à ce régime du "socialisme réellement existant".

La différence avec 1789, c'est que cette "révolution" a été PACIFIQUE, sans bains de sang, avec un traitement de tous les dossiers de la Stasi, alors que certains demandaient l'oubli.
Une immense psychothérapie d'un peuple, après la psychothérapie collective pratiquée à l'Ouest quant à l'arrivée et le vécu sous la dictature national-socialiste.

Une révolution pacifique, mais forte et réelle, et surtout sans tout le tralala nationaliste cocorico qu'on connaît en France. Les gens de Leipzig criaient certes "Nous sommes un peuple", mais pas "nous sommes une nation"... ce qui est absolument différent.

Enfin, en ce qui concerne la psychothérapie collective, je renvoie à une étude de l'Assemblée Nationale concernant l'usage hypertrophié de psychotropes en France, alors qu'il est le plus bas d'Europe en Allemagne... et l'explication donnée par une députée française:

http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-off/i3187.asp

"La France est le pays où l'on consomme le plus de psychotropes en Europe, l'Allemagne le pays où on en consomme le moins.
...
"Il faut souligner que l'Allemagne, qui est le pays européen avec le plus faible niveau d'usage de psychotropes, est aussi celui où la psychothérapie est la plus utilisée. Une meilleure application des règles élémentaires d'hygiène de vie doit être considérée comme une véritable alternative thérapeutique à la prescription de psychotropes"

Je vis dans les deux pays depuis 1973 et constate les énormes différences et la volonté française de toujours crier "cocorico" pour tout et rien, ce qui empêche le pays de se guérir de ses maux, il préfère avaler des pillules et s'abrutir.

Enfin, un dernier mot qui me fait encore sourire, tellement la situation est "plastique". Mon fils qui a fait toute sa scolarité en Allemagne, arrive en Ile-de-France en 1ère S. Et lors de son premier cours de Géographie, il tombe dans son bouquin sur le titre "Le RAYONNEMENT de la France dans le monde".

Il rentre le soir et me le montre en me disant. "Tu te rends compte, les élèves apprennent ça sans se poser de questions"... Impensable pour lui, habitué aux débats citoyens en cours,à la parole libre, aux questions impertinentes posées pour y trouver des réponses... Là tout le monde apprend bravement le "RAYONNEMENT de la France dans le monde", et en plus, y croit...

Qui a voyagé dans le monde - en Asie, en Amérique, en Europe du Nord - et a observé et parlé avec les gens, comprend que c'est du flan, de la propagande passéiste qui n'a plus grand chose à voir avec les réalités...

Écrit par : Danièle Douet | 11/11/2009

Les Français sont malheureux parce qu'ils sont dominés par des modèles culturels qui les font souffrir.

Écrit par : Hervé Torchet | 11/11/2009

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