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25/05/2010

BNF, Google, faudra-t-il appeler à la grève du dépôt légal ?

L'obligation du dépôt légal date de près d'un demi-millénaire en France. Elle a permis à la bibliothèque nationale de France (BNF) d'être l'une des toutes premières bibliothèques du monde, selon le critère de la quantité et de la qualité des ouvrages imprimés qu'elle détient.

Le dépôt légal constitue un avantage colossal pour elle : elle acquiert ainsi des centaines de milliers de titres nouveaux chaque année sans débourser un centime. Ce dépôt légal, du point de vue des auteurs et plus encore des éditeurs n'a d'autre logique que le fait du prince, devenu l'autorité de la puissance publique.

La BNF, de ce point de vue, incarne le pouvoir du peuple sur ses créateurs littéraires et intellectuels, la pensée est œuvre collective, elle appartient en commun à l'ensemble du peuple français qui en conserve la trace dans sa bibliothèque nationale, une bibliothèque publique par essence. Retirez l'esprit public, il ne reste rien, il n'en reste rien, la bibliothèque disparaît.

Ajoutons d'ailleurs que l'honneur de ce service public est de mettre à la disposition des chercheurs du monde entier, sans distinction, ses extraordinaires collections.

En face de cette quintessence de l'esprit public, Google.

Au début, Google s'est avancé masqué, une bande de potes sympa qui voulait rendre service à tout le monde. Bon, certes, on disait un peu que Google était soutenu par le Pentagone et par l'armée américaine, ayant débuté d'ailleurs comme cela sa seconde vie après l'intranet originel des scientifiques. Mais ce n'était pas si grave, on ricanait que c'était encore des fanatiques de la théorie du complot qui lançaient ça et blablabla.

Puis on s'est aperçu que Google ne rendait pas service aux sites d'une façon neutre : il y avait effet de pouvoir dans ses algorithmes, et ceux dont l'existence dépend d'Internet ont compris qu'ils étaient désormais prisonniers de la grande gare de triage des autoroutes de l'information.

Alors, on a cherché dans Facebook et dans Twitter des moyens de contourner la puissance de Google. Mais y est-on parvenu ?

Et maintenant, Google ne se cache plus : cette entreprise privée veut devenir maître du monde et contrôler et aiguiller la totalité des flux d'info dans le monde, rien que ça.

Et on a appris voici quelques mois que les autorités françaises, pour mégoter des bouts de chandelles, envisageaient de confier à Google la numérisation de ses exceptinnelles collections. Le dépôt légal, le fait du prince, mis au service de la domination du monde par des intérêts privés (et américains).

Le débat s'est vite envenimé et le gouvernement a dû faire marche arrière, mais on sent bien qu'il guette le moment où il pourrait de nouveau satisfaire son goût de la mise du public au service du privé (de préférence du privé américain).

Il faut qu'il le sache, il faut qu'on leur dise, à tous ces petits marquis d'un soir : s'ils maquereautent notre bibliothèque commune, s'ils sacrifient notre bien commun à leur lucre avili, nous ne ferons plus le dépôt légal, nous ne donnerons plus nos livres à ces marchands de sujétion.

Nous créerons peut-être notre bibliothèque publique à nous, numérique et autre, et nos livres que nous donnerons, nous ne les donnerons plus que là. S'il n'y a plus d'esprit public, il n'y a plus de dépôt légal obligatoire, vive la liberté.

Demain 26 mai en fin d'après-midi se tiendra au site Mitterrand de la BNF, quai Mauriac dans le XIIIe, un débat dont le titre est transparent : Google Livres et l'avenir des bibliothèques numériques. J'irai participer à ce débat si on daigne y laisser la parole à la salle, et je leur dirai, en face, cette vérité.

14/03/2009

Qui a peur des contenus collaboratifs en ligne ? (ma vidéo)

Comme l'an dernier, le salon du livre est l'occasion de débattre de ce qui obsède nombre d'éditeurs : le rôle d'Internet. En l'occurrence, il s'agit des dictionnaires et encyclopédies, dont le rôle et l'élboration traditionnels sont fortement contesté, en particulier par Wikipedia.

Deux aspects de la question effraient les tenants de l'économie traditionnelle : les contenus collaboratifs et la gratuité de la connaissance.

Les contenus collaboratifs les inquiètent, parce qu'ils remettent en cause l'ordre selon lequel il y a, d'un côté, ceux qui dispensent le savoir et, de l'autre côté, ceux qui le reçoivent, c'est comme une société où l'aristocratie daigne octroyer le savoir, et le Tiers-État le recevoir. Et cette fonction de détenteur du savoir, de seul détenteur du savoir, permet de le monnayer. Dès lors que le monopole est brisé, que la relation du savoir est bijective, il n'y a plus de monnaie. De là la frayeur qui fait frissonner le monde éditorial.

Cependant, les choses ne sont pas si tranchées que ça. Larousse a trouvé une formule qui combine la subjectivité de l'auteur unique et la rédaction collaborative, en juxtaposant des commentaires aux articles des auteurs qui les signent en ligne. Cette formule est un succès : un million de connexions par mois, trois millions de pages vues. Mais je n'ai pas bien compris si ce que Mme Karoubi, qui s'exprime pour Larousse, nomme le "contenu Larousse" est soumis également aux commentaires des internautes, comme les articles de internautes.

Quoi qu'il en soit, même si Universalis reste campé sur le concept de son encyclopédie qui est comme une gigantesque revue où l'on vient chercher moins de la connaissance brute que la subjectivité d'auteurs prestigieux, le mouvement du monde traditionnel vers le monde nouveau s'esquisse. Même Universalis a un site de contenu, réservé, il est vrai, aux acheteurs d'Universalis junior, ou accessible moyennant finance.

À l'inverse, Universalis se pourlèche les babines du fait qu'en Allemagne, Wikipedia a, paraît-il, décidé de filtrer les contributions et de ne pas les publier avant validation (ce qui lui paraît se rapprocher de la formule de l'encyclopédie traditionnelle) et que, d'autre part, en Allemagne toujours, Wikipedia se prépare à publier sur papier une version de l'encyclopédie en ligne (en quelque sorte un instantané, une photographie à l'instant t du contenu), ce qui lui paraît, là encore, rapprocher le nouveau modèle de l'ancien. M. Moatti, pour Wikimedia, confirme qu'un sembable projet d'édition est à l'étude en France.

Le débat s'ouvre alors sur la notion d'état de la connaissance "fixé". C'est l'utilité en effet de cette publication, dans la mesure où Wikipedia est un mouvement perpétuel, prendre une photographie de cette masse à un instant t du mouvement est pertinent et sans rapport avec l'édition traditionnelle. Cela étant, je me demande qui va acheter ça, à part peut-être des bibliothèques et les auteurs de contenus. S'agira-t-il de la première encyclopédie à compte d'auteur ?

Celui qui a le mieux compris ce qui se passe est Alain Rey, la vidéo le montre très bien. Il l'a compris, mais cela ne signifie pas forcément qu'il en soit entièrement rassuré, puisque le collaboratif anonyme est la négation de l'expertise, et qu'il est lui-même un très grand expert. L'articulation entre les deux formules reste à trouver. Il pense que l'ouverture des contenus aux commentaires (dont il est preneur) est la meilleure piste pour le contact entre l'expert et le collaboratif. Il a mis du contenu "Le Robert" en ligne selon ce modèle.

Il a aussi bien intégré la culture de la gratuité comme un fait, un point de non-retour.

À l'inverse, on sent, au Salon comme ailleurs, que le monde ancien est en train de se mobiliser pour matraquer le bon peuple avec l'idée que la gratuité, ce n'est pas possible. Ce sera certainement l'antienne des semaines et des mois qui, viennent, on va nous le chanter sur tous les tons, en écho avec le stupide et liberticide projet Hadopi.

Voici la vidéo de quelques moments du débat de vendredi 13 après-midi au Salon du Livre :