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25/11/2015

Assad, Erdogan : jumeaux sanguinaires, frères de sang

L'entrée du monde en guerre contre Daech, réclamée à l'unanimité par l'ONU, s'est compliquée aujourd'hui de la perte d'un avion Sukoi par les Russes, perte revendiquée par les Turkmènes, mais que le président russe Poutine attribue à un missile air-air, qui serait donc, selon lui, émané d'un avion de l'armée turque. Le président américain Obama a souligné que les forces russes présentes sur le terrain syrien gagneraient à se concentrer sur Daech plutôt que de bombarder les autres opposants d'Assad. Or en oubliant d'inviter les Turcs à une pareille concentration, alors que les forces turques bombardent régulièrement les Kurdes, autres adversaires d'Assad, en Syrie même, le président des USA a cédé à une regrettable dissymétrie, il a proféré une injustice, et il faut donc expliquer en quoi, malgré les apparences, Assad et Erdogan (le président turc qui en profite pour présidentialiser son régime) sont désormais frères jumeaux dans l'atrocité.

À ma droite, les exactions de Bachar El Assad sont connues. Le crime contre l'humanité est héréditaire dans sa famille, et je passe sur le refuge qu'aurait trouvé l'un des médecins fous des camps de la mort nazis auprès du régime syrien pour me concentrer sur ce que l'on peut reprocher à Bachar lui-même, les exactions de ses agents, les assassinats politiques, en Syrie et au Liban, peut-être l'usage d'armes chimiques contre sa population, bref, n'en jetez plus.

À ma gauche, les exactions imputables à Erdogan commencent à se faire jour à mesure que l'on découvre le soutien actif accordé par son régime à Daech. Pour la majorité, le pétrole de Daech file en effet vers le nord, c'est-à-dire vers la Turquie. On nous dit que celle-ci est excusable de ne pas pouvoir contrôler 900 km de sa frontière, mais une colonne de 1000 camions-citernes, je crois que cela se voit de loin, et l'on a le temps de prendre ses dispositions pour l'intercepter. Donc la Turquie empoche. Et plus précisément, dit-on, la famille Erdogan, ce que semble confirmer la nomination récente du propre gendre du président turc comme ministre de l'énergie. De ce fait, Erdogan devient automatiquement complice de tous les crimes de Daech. Extorsions, esclavage en masse qui est chez nous un crime contre l'humanité, et assassinats en masse à tendance génocidaire, avec usage d'armes chimiques. La panoplie complète.

On pourrait faire remarquer que comme Erdogan dirige un pays membre du Conseil de l'Europe et de l'OTAN, nous disposons d'armes contre lui. Or non, comme l'a montré le président Obama aujourd'hui, non contredit par le président Hollande, nous préférons nous acharner sur le président Poutine, toujours objet de sanctions alors même qu'on ne peut lui reprocher le dixième des crimes commis par Erdogan contre qui nous ne faisons rien. S'étale ainsi notre choix délibéré pour le principe léonin, que l'on nomme la loi du plus fort, le plus fort étant l'Amérique.

Or ce choix déséquilibré affaiblit notre argumentation lorsque nous négocions avec l'Iran et avec la Russie sur l'avenir d'Assad. En effet, si nous, démocraties, ne sommes pas capables de tout céder au principe de justice, et si nous lui préférons le caprice du plus fort, en quoi la position de caprice de l'Iran réclamant le maintien d'Assad à son poste serait-elle moins légitime que la nôtre ? En rien. Un principe ne se divise pas.

C'est d'ailleurs l'occasion de corriger un lieu commun sur une célèbre citation du professeur de tous les diplomates : Talleyrand. Il disait "Appuyez-vous sur les principes : ils finiront bien par céder". Nous avons l'habitude de préférer la commode et spirituelle interprétation de cette phrase : à force d'appuyer sur un principe, il finit par céder, et la puissance de la réalité triomphe. Et la fine phrase de Talleyrand attache un sourire réjoui sur nos lèvres. Or il existe une interprétation entièrement symétrique de la phrase du maître : appuyez-vous sur les principes, "ils" (vos interlocuteurs) finiront bien par céder. Ce qui me conduit à pencher pour la seconde interprétation est que lorsqu'il fut question de trouver un chef à la France, je crois que c'était en 1814, Talleyrand, pour résumer tous les atouts qui s'attachaient à Louis XVIII, indiquait : "C'est un principe", avec la force évidente des principes.

Hélas, les démocraties s'avilissent à ne pas défendre leurs propres principes, si bien qu'il est facile de les contredire et d'y déroger, ce qui permet à des Assad et à des Erdogan de prospérer, frères de sang, indissociables dans le forfait sanguinaire.

Et l'on comprend bien que la seule chose qui intéresse les gouvernants occidentaux déshonorés, c'est la part qu'ils prendront dans le pétrole, le gaz et le phosphate syriens, après Daech. Ils sont assis à une table de poker. Ils ne rejettent Assad que pour forcer celui-ci à troquer son maintien contre l'abandon de sa souveraineté énergétique, et ils ne critiquent les soutiens d'Assad que pour les forcer à préférer ce soutien à une part du gâteau. Plus l'Iran se cambrera pour maintenir Assad, plus la part iranienne du gâteau énergétique syrien sera petite. La Russie l'a d'ailleurs parfaitement compris : en abandonnant Assad aux Iraniens, Poutine peut se concentrer à la fois sur sa base navale et sur une part de gâteau consistante. Et si l'Iran et la Russie cèdent, alors c'est le double jackpot pour les Occidentaux, pour la léonine Amérique, car un régime faible abandonnera encore plus qu'un régime Assad aux compagnies occidentales. Pile je gagne, face tu perds.

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Tout ceci ne serait que la basse besogne ordinaire s'il n'y avait pas, encore une fois, des millions de déplacés, des vies à jamais brisées, et, plus encore, des femmes réduites en esclavage, des enfants massacrés, des hommes égorgés, décapités, brûlés vifs, gazés, mitraillés, et partout, obsédante, l'odeur du charnier.

Un jour, à ces dirigeants de tous ces peuples, américain, russe, syrien, turc, français, anglais, allemand, et à tous les autres, le tribunal de l'Histoire demandera des comptes. Et la note sera salée. Au moment où je l'écris, la douleur est encore plus forte que le mépris qu'ils m'inspirent.

08:30 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : syrie, iran, états-unis, erdogan, assad, talleyrand | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

07/09/2015

Réfugiés : l'impasse syrienne

Une photo bouleversante a soulevé une vague légitime d'émotion dans le monde et a imposé à tous le principe de l'accueil des Syriens qui fuient leur pays vers l'Europe. La confusion de vocabulaire qui entoure leur fuite montre toute la douloureuse ambiguïté de la situation : tantôt on parle de migrants, tantôt de réfugiés. C'est qu'à l'instar des Arméniens de l'après 1915, il semble que les Syriens évadés ne puissent cultiver aucun espoir de rentrer jamais chez eux. L'avenir syrien est bloqué. Ce blocage est d'ailleurs l'un des terreaux sur lesquels prospère l'organisation État Islamique.

Rappelons-nous la dernière campagne présidentielle française et la vague d'indignation qu'avait soulevée chez nous la photo du Bachar El Assad reçu avec cordialité par Nicolas Sarkozy à l'Élysée à Paris. Étant donné l'atmosphère sanglante et atroce qui entoure le régime syrien, il était logique, et conforme aux promesses implicites de la campagne, que la France fasse tout ce qu'elle peut pour faire tomber M. Assad. De là la décision de bombarder Damas.

Mais il y avait eu l'erreur libyenne commise par la précédente majorité et il parut tout à coup que nous allions faire à Damas la même faute historique que celle qui a été commise à Tripoli. Puis les autorités russes manifestèrent leur volonté intraitable de conserver leur base militaire en Syrie, qui était le meilleur garant de l'avenir du régime de M. Assad.

Du coup, si Assad ne pouvait tomber, il fallait se concentrer sur son principal adversaire, l'EI, dont les exactions, en particulier contre les minorités religieuses, se multipliaient.

Aujourd'hui, nous en sommes là : impossibilité de faire tomber Assad, nécessité d'abattre l'EI, alliance avec les Kurdes et attitude plus qu'ambiguë de la Turquie. Pour la Turquie, la présence russe à sa frontière sud est un échec historique multiséculaire, et la perspective d'une indépendance kurde représenterait un retour en arrière par rapport au conflit de 1921-22 que la toute jeune république kémaliste emporta contre les Occidentaux.

On retrouve décidément "l'Orient compliqué" dont parlait de Gaulle.

Il ne fait pas de doute que nous viendrons à bout de l'EI. Cela se fera avec patience, en asséchant d'abord une à une ses sources de financement. Ce qu'il faudrait bombarder, ce sont ses installations pétrolières, soit dit en passant. Une fois le fruit mûr, il faudra le cueillir.

Mais nous ne pouvons franchir deux lignes jaunes : la première serait que les Occidentaux interviennent eux-mêmes sur le terrain, car cela reviendrait à rouvrir la question coloniale et envenimerait le conflit pour au moins des décennies, la deuxième serait de se montrer trop gourmand. M. Assad a gagné, hélas, le droit au maintien pour une génération.

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Et de ce fait, il est évident que nous ne pourrons pas renvoyer en Syrie des gens qui risqueraient d'y être massacrés et torturés par un régime qui n'est, objectivement, pas acceptable. La confusion sémantique entre réfugiés et migrants a donc tout son sens, elle traduit la réalité. À l'instar des Arméniens d'autrefois, ces réfugiés syriens, chrétiens ou non, sont bel et bien des migrants.

(photo : merci Wikipedia)