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19/01/2009

Le temps du monde fini est terminé.

On connaît la devise visionnaire de la mondialisation lancée dès 1911 et qui a longtemps servi de tarte à la crème des concours de sciences politiques : "Le temps du monde fini est commencé". Elle est signée Paul Valéry et signifiait que le globe terrestre était partout défloré, sa cartographie était établie, il n'y avait plus de "terrae incognitae", l'inconnu n'était plus terrien.

Cette évolution a abouti à la globalisation, ce monde qui se connaît à tort et à travers est désormais bardé d'articulations et de connexions, il palpite en temps réel partout à la fois.

La globalisation contient l'idée de vases indéfiniment communicants : ce qui est perdu ici est gagné là et réciproquement, ce qui est fait ici agit là, le monde globalisé est pris dans le noeud gordien de l'interaction, sur lequel pèse d'ailleurs l'épée de Damoclès de l'effet papillon, qui veut qu'un insecte qui tousse en Indonésie peut provoquer un ouragan en Scandinavie, sorte de projection fantasmatique, emphatique et quasi-paranoïaque de l'idée d'interaction.

De quoi trembler, j'en ai des sueurs froides.

Pour compléter le tableau de ce monde de finitude, on nous rappelle l'idée sortie des travaux d'un penseur d'un autre âge, selon laquelle la croissance économique "capitaliste" court forcément à l'abîme, parce qu'elle tend vers l'infini, alors que sa nourriture, la matière, est finie. Le "temps du monde fini" est celui où l'on découvre la quantité de matière encore disponible pour fabriquer de la croissance économique, et, en creux, celui qui dessine l'horizon de la fin, celui du monde qui est non seulement fini, mais terminé. Game over. "À partir d'un certain âge, le temps qui passe, ça devient le temps qui reste", fait dire la cinéaste Danièle Thompson au personnage joué par Pierre Alexandre Claude Brasseur dans son dernier film en 2006. Le temps qui reste.

Et voilà.

This is the end.

Acta est fabula.

Rideau.

On a tout bouffé.

Mais non, voyons, il y a une faute de raisonnement terrible dans tout ça : ce qui fait la croissance de l'économie et de la richesse de l'espèce humaine, ce n'est pas la quantité de matière, mais l'intelligence qui exploite la matière. La valeur n'est qu'un leurre, ce qui compte, c'est l'usage.

Que l'on songe à un étang du Moyen Âge : on s'y baigne, il est fermé par une digue sur laquelle sont posés un chemin et un ou plusieurs moulins, et de temps à autre, on vide l'étang et on y ramasse le poisson et parfois même la boue qui va enrichir la terre. L'eau, c'est peu de chose, mais voici deux usages essentiels à l'alimentation humaine : la mouture du grain et la pêche des poissons, et peut-être l'engrais.

Le recyclage n'a pas d'autre idée : avec une même matière de départ, faire une chaîne d'usages successifs.

Or si la matière est finie, l'intelligence humaine, elle, est infinie. Comme le disait Jules Verne : "Tout ce qu'un homme a imaginé, un autre homme peut le réaliser" (ça marche avec "une femme" aussi). L'intelligence humaine est ce qui transforme le monde fini et global en infini, sorte de révélation, puisqu'on sait qu'à l'intérieur de la matière apparente, il n'y a jamais que ... de l'infini.

Alors voilà une leçon d'espoir, mais je dois dire que je suis un peu angoissé à l'idée d'avoir taillé involontairement une croupière à Paul Valéry. Aïe. Il faut que je m'abrite aussitôt sous l'aile d'un plus puissant que moi, Brassens, qui s'est le premier attaqué à son illustre compatriote sétois :

 

"Déférence gardée envers Paul Valéry,

Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris,

Le bon maître me le pardonne.

Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens,

Mon cimetière soit plus marin que le sien

Et n'en déplaise aux autochtones !"

 

Cimetière ? Brrrr, on n'est pas pressé !