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19/02/2009

"Le code a changé".

J'ai été en classe pendant quelques années au lycée Janson, à Paris, avec une fille toute blonde, ravissante, des yeux très bleus, un joli teint, des dents de perle, un sourire cristallin, qui était ma voisine dans l'ordre alphabétique et dont j'étais alors éperdument amoureux : c'était Caroline Thompson, la fille de la cinéaste Danièle Thompson et la petite-fille du génial Gérard Oury.

De cette époque, il m'est resté une sympathie pour cette famille que je suis de plus ou moins loin. J'ai le souvenir grisé d'un déjeuner avec Caroline Thompson au Bar des Théâtres qui a servi depuis de décor au joli film de sa mère, "Fauteuil d'orchestre".

Gérard Oury est le maître du burlesque français de la deuxième moitié du XXe siècle. Ses cinq plus grands films (La Grande Vadrouille, Le Corniaud, Le Cerveau, La Folie des Grandeurs et Les Aventures de Rabbi Jacob) totalisent plus de 46 millions d'entrées payantes en France à eux cinq, soit une moyenne extravagante de plus de 9 millions d'entrées par film. La Grande Vadrouille, en son temps, a été vue par plus d'un Français sur trois, ce qui ferait une fréquentation supérieure à 21 millions d'entrées aujourd'hui, un million de plus que les Ch'tis. Et c'est bien mérité : c'est un véritable chef-d'oeuvre. Rabbi jacob en est un autre, l'un des films les plus courageusement humanistes que j'aie vus, préconisant le rapprochement des juifs et des Arabes à l'époque même de la guerre du Kippour, et la réconciliation des trois religions du Livre.

Danièle Thompson a collaboré à quatre de ces cinq films, ceux qui ont suivi le Corniaud. La série aurait sans doute continué si Louis de Funès n'avait été victime d'une attaque après avoir enchaîné trop de tournages de films et de représentations au théâtre. Entre Rabbi Jacob en 1973 et La Carapate en 1978, Oury n'a rien tourné.

Ce fut l'occasion pour Danièle Thompson de percer de son côté. On vit en 1975 "Cousin, cousine", un film de Jean-Charles Tacchella, au scénario duquel elle contribua et qui obtint trois nominations aux Oscar, autant aux César et celle de meilleur film étranger aux Gloden Globes.

C'est un peu plus tard encore qu'elle perça vraiment, que "sa place fut dessinée sur la carte" comme dit sa fille : ce fut en 1980 la Boum, un succès mondial fondé autant sur le charisme de Sophie Marceau que sur l'exploitation par Claude Pinoteau, réalisateur, et Danièle Thompson, coscénariste, des explications et descriptions données par Caroline de sa vie d'adolescente et des jeux de l'amour des gamin(e)s de treize ou quatorze ans de cette époque-là.

Danièle Thompson cessa de collaborer aux films de son père à partir du demi-échec de "Vanille-fraise", sorti en 1989. Il lui fallut encore bien des années pour franchir le pas et s'essayer à la mise en scène : ce fut en 1998, avec "La Bûche", un savoureux film sur la famille et ses vicissitudes, où l'on retrouve les thèmes (psy) favoris de Danièle Thompson : les difficultés d'être en famille, l'adultère, le divorce, l'inceste, et une distribution étourdissante, au milieu de laquelle figurait pour son premier rôle la jeune Marie, fille de Dominique de Villepin.

J'ai moins aimé "Décalage horaire", son film suivant, un quasi-huis clos où Binoche manquait un peu de grâce et Jean Reno de légèreté.

En revanche, "Fauteuil d'orchestre", en 2006, m'a enchanté. Pour ceux qui ont l'oeil acéré, on me voit en ombre chinoise dans une scène où Cécile de France traverse l'avenue Montaigne pour se rendre du Bar des Théâtres au théâtre d'en face. C'est une jolie histoire portée par une composition prodigieuse de Cécile de France à fond dans l'ingénuité décidée, une Valérie Lemercier pied au plancher, un Claude Brasseur, loin de "La Boum", tout en demi-teinte mais rappelant pour la première fois les intonations de son propre père, et le reste à l'avenant, dont Christopher, le fils de Danièle Thompson qui a collaboré à tous ses films et les a interprétés.

Début 2007, alors que c'était courageux, Danièle Thompson défendait encore le premier ministre Villepin à la télé.

Voici donc son nouveau film, dont les bandes annonces ne disaient pas grand chose. On y entendait des gens qui allaient à un dîner mais qui prévoyaient de s'y faire chier. De fait, quand le dîner commence, et même un peu après, le spectateur se fait chier dans son fauteuil de cinéma. mais tout à coup, tout bascule, les personnages deviennent des vies, des flots d'émotions et de sentiments, on est avec eux, on avance, on est en eux, on est eux. Une grande réussite.

Au passage, comme dans "Fauteuils d'orchestres", de nombreuses vues de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière où Caroline Thompson exerce comme psy pour enfants.

19/01/2009

Le temps du monde fini est terminé.

On connaît la devise visionnaire de la mondialisation lancée dès 1911 et qui a longtemps servi de tarte à la crème des concours de sciences politiques : "Le temps du monde fini est commencé". Elle est signée Paul Valéry et signifiait que le globe terrestre était partout défloré, sa cartographie était établie, il n'y avait plus de "terrae incognitae", l'inconnu n'était plus terrien.

Cette évolution a abouti à la globalisation, ce monde qui se connaît à tort et à travers est désormais bardé d'articulations et de connexions, il palpite en temps réel partout à la fois.

La globalisation contient l'idée de vases indéfiniment communicants : ce qui est perdu ici est gagné là et réciproquement, ce qui est fait ici agit là, le monde globalisé est pris dans le noeud gordien de l'interaction, sur lequel pèse d'ailleurs l'épée de Damoclès de l'effet papillon, qui veut qu'un insecte qui tousse en Indonésie peut provoquer un ouragan en Scandinavie, sorte de projection fantasmatique, emphatique et quasi-paranoïaque de l'idée d'interaction.

De quoi trembler, j'en ai des sueurs froides.

Pour compléter le tableau de ce monde de finitude, on nous rappelle l'idée sortie des travaux d'un penseur d'un autre âge, selon laquelle la croissance économique "capitaliste" court forcément à l'abîme, parce qu'elle tend vers l'infini, alors que sa nourriture, la matière, est finie. Le "temps du monde fini" est celui où l'on découvre la quantité de matière encore disponible pour fabriquer de la croissance économique, et, en creux, celui qui dessine l'horizon de la fin, celui du monde qui est non seulement fini, mais terminé. Game over. "À partir d'un certain âge, le temps qui passe, ça devient le temps qui reste", fait dire la cinéaste Danièle Thompson au personnage joué par Pierre Alexandre Claude Brasseur dans son dernier film en 2006. Le temps qui reste.

Et voilà.

This is the end.

Acta est fabula.

Rideau.

On a tout bouffé.

Mais non, voyons, il y a une faute de raisonnement terrible dans tout ça : ce qui fait la croissance de l'économie et de la richesse de l'espèce humaine, ce n'est pas la quantité de matière, mais l'intelligence qui exploite la matière. La valeur n'est qu'un leurre, ce qui compte, c'est l'usage.

Que l'on songe à un étang du Moyen Âge : on s'y baigne, il est fermé par une digue sur laquelle sont posés un chemin et un ou plusieurs moulins, et de temps à autre, on vide l'étang et on y ramasse le poisson et parfois même la boue qui va enrichir la terre. L'eau, c'est peu de chose, mais voici deux usages essentiels à l'alimentation humaine : la mouture du grain et la pêche des poissons, et peut-être l'engrais.

Le recyclage n'a pas d'autre idée : avec une même matière de départ, faire une chaîne d'usages successifs.

Or si la matière est finie, l'intelligence humaine, elle, est infinie. Comme le disait Jules Verne : "Tout ce qu'un homme a imaginé, un autre homme peut le réaliser" (ça marche avec "une femme" aussi). L'intelligence humaine est ce qui transforme le monde fini et global en infini, sorte de révélation, puisqu'on sait qu'à l'intérieur de la matière apparente, il n'y a jamais que ... de l'infini.

Alors voilà une leçon d'espoir, mais je dois dire que je suis un peu angoissé à l'idée d'avoir taillé involontairement une croupière à Paul Valéry. Aïe. Il faut que je m'abrite aussitôt sous l'aile d'un plus puissant que moi, Brassens, qui s'est le premier attaqué à son illustre compatriote sétois :

 

"Déférence gardée envers Paul Valéry,

Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris,

Le bon maître me le pardonne.

Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens,

Mon cimetière soit plus marin que le sien

Et n'en déplaise aux autochtones !"

 

Cimetière ? Brrrr, on n'est pas pressé !