Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/11/2008

Ne pas substituer l'imaginaire et le fantasme au débat politique.

Je vous invite vivement à lire ma note précédente.

14:11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, storytelling | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Crise financière : c'est Roland Barthes le coupable !

Il arrive qu'on achète des livres, qu'on les pose sur un meuble, qu'on pose ensuite des piles de chaussettes ou de parchemins médiévaux sur eux, puis qu'un jour, longtemps après, en soulevant la pile pour autre chose, on les retrouve, et qu'on se dise "mais au fait..."

C'est ce qui m'est arrivé avec le fondamental ouvrage de Christian Salmon paru voici tout juste un an : "Storytelling".

Mais au fond, il vaut mieux ne l'avoir découvert qu'aujourd'hui alors que la crise financière s'est déclenchée.

De quoi s'agit-il ?

De la substitution progressive du fantasme à la réalité dans la communication marchande et politique depuis trente ans. Notez la concomitance avec la période néoconservatrice.

Storytelling est l'action de "telling a story", mot à mot raconter une histoire. Plus précisément, il s'agit d'une technique consistant à raconter une histoire (le plus souvent un bobard) pour faire comprendre et admettre une idée ou pour faire aimer un produit. C'est évidemment un monstrueux moyen de manipulation des foules. Mais ce peut être aussi une spirale d'autointoxication, et alors gare au réveil.

Remplaçant tout (les vertus d'un produit, les positions stratégiques d'une bataille, le projet politique d'un candidat), le bobard s'inscrit comme une reconstruction complète d'un discours pour décorer l'apparence de la réalité, un peu comme ces villages de carton-pâte autrefois présentés à la Grande Catherine, dont Bayrou parlait pendant la campagne présidentielle. Une Renault n'est plus une voiture, c'est l'épopée des modèles successifs de la marque, un personnage politique n'est plus une intelligence, une compétence ni une conscience, c'est un parcours, un florilège d'émotions articulées autour d'événements racontés (parfois voire souvent entièrement réécrits - inventés ?).

Le jeu est devenu dangereux en économie parce que le discours du storytelling s'y est entièrement substitué à la réalité des chiffres. Une culture du mensonge y a remplacé la rigueur de la gestion. De là sans doute la violence du krach récent, ardent retour à la réalité. Les techniques comptables récemment abandonnées, qui permettaient d'évaluer des actifs sur des tourbillons de vent, relèvent d'ailleurs du storytelling, jusqu'à la caricature (elles dataient de l'époque glorieuse d'Enron, c'est tout dire).

Le même jeu encore, appliqué systématiquement à la politique américaine depuis Clinton mais surtout depuis Bush (avec un contrôle approfondi des médias parfaitement contraire à tous les principes fondateurs de l'Amérique), a confiné à la folie et à la démarche d'illuminés avec George W Bush, et il faut lire ce qu'a écrit un journaliste effaré en sortant d'une rencontre en tête à tête avec W en 2002 : le discours allait remplacer la réalité. La foi pouvait donc déplacer la montagne. Hélas, c'était la technologie de l'intelligence mise au service de l'obscurantisme, et ce fut la manipulation démentielle des médias avant, pendant et après la guerre en Irak, et depuis, jusqu'au résultat navrant, jonché d'un demi-million de cadavres. Récit glaçant.

Plus près de nous, bien entendu, c'est Henri Guaino qui applique les règles du storytelling à son candidat, avec brio d'ailleurs, sauf que... sauf que, comme disait Lénine, les faits sont têtus.

Et enfin, hélas, voici qu'apparaît Ségolène Royal, dont le storytelling, organisé par le patron de Saatchi, s'organisait  en 2007 autour de cette "femme qui avait mis en échec le pouvoir patriarcal des éléphants du PS", une story qu'elle est peut-être en train de reconstruire ce week-end à Reims, puisqu'elle est venue les défier.

Comme on le pressentait durant la présidentielle, il y avait donc bien entre ces deux candidats le point commun d'un choix dans l'ordre du discours, plus encore que de l'apparence, qui se résumait en fait à un choix de technique de communication, le dernier cri, un dernier cri qui vient de faire tomber la première puissance mondiale, de coûter des dizaines (et bientôt des centaines) de milliers d'emplois de par le monde, de jeter trois millions et demi de familles américaines à la rue, bref, un déshonneur funèbre.

Nous savions bien pour quoi et contre quoi nous nous battions, en 2007.

Je le dis avec prudence, car je sais qu'il y a parmi nos amis des adeptes de Royal, mais il faut le constater : elle est toujours dans cette technique de marketing, alors que, plus que jamais, nous avons le devoir de nous battre pour le triomphe de l'intelligence raisonnée, pour Descartes malgré ses défauts, pour les Lumières, contre les forces d'obscurité qui, avec le départ de Bush junior, laissent une plaie béante à la surface du globe.

Pour la raison, pour la science, et donc pour l'école, mais aussi pour une vraie presse d'investigation, indépendante et libre.

Lisons donc cet ouvrage aujourd'hui, maintenant que nous savons l'étendue des dégâts causés par les méthodes qu'il décrit, puis, chaque fois que nous en aurons l'occasion, attaquons les storytellings dans l'oeuf et démystifions-les. Il y va du plus profond du destin de l'occident.

Ah, et pourquoi Roland Barthes ? Parce que c'est lui qui, le premier, a réfléchi sur le rôle joué sur les narrations dans l'organisation de notre compréhension du monde, et que cette primauté lui a été reconnue par ceux qui l'ont reliée au succès commercial de la technique du storytellng.