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25/09/2009

Baby-boomers, génération X, génération Y.

Qu'on se rassure : je ne suis pas en train de découvrir un tout nouveau concept que je présenterais au monde ébahi, ni même en train de croire avoir inventé la poudre et le fil à couper le beurre réunis.

C'est que je suis allé entendre Quitterie, ce matin, au cours d'une table ronde dans le cadre de l'opération Paris 2.0, et que le thème de la table ronde était

COMMENT L'ENTREPRISE INTEGRE LA NOUVELLE GENERATION 2.0, ET EVOLUE AVEC ELLE.

Les différents orateurs ont fait le portrait des trois générations qui se côtoient dans le monde du travail : les baby-boomers (1946-1964), la génération X (1965-1977), la génération Y (les jeunes adultes nés à partir de 1978). Les démographes, eux, évaluent les générations moyennes à 28 ans environ. On voit qu'ici, une génération sociologique dure la moitié d'une génération démographique, mais peu importe, l'idée n'est pas de développer ce sujet sur lequel ma compétence ne dépasse pas ce que j'ai retenu de ce qui en a été dit ce matin.

J'ai toujours su que j'étais un baby-boomer : le prof d'Histoire-Géo l'avait dit à ma classe de 5e d'un air fort satisfait (en 1976) : nous, nés en 1964, étions la dernière tranche de la masse des baby-boomers, la natalité avait fortement baissé l'année suivante, les classes nombreuses de l'après-guerre ne duraient que jusqu'à nous.

Notez bien que je suis un baby-boomer d'extrême justesse : je suis né en novembre 1964. À moins de deux mois près, paf ! je passais dans la catégorie honnie, celle de la génération X.

Notez aussi que nous, tardillons du baby-boom, avons l'inconvénient de notre catégorie sans en avoir l'avantage : pas de Mai '68 pour le petit baby-boomer que j'étais : j'avais trois ans et demi, c'est un peu jeune pour grimper sur les barricades et lancer des pavés. D'ailleurs, si l'on considère que le mot d'ordre des soixante-huitards était "jouir sans entrave", ma génération est celle qui, à l'âge de dix-huit ans, a été confrontée à l'apparition du sida, et même si je ne faisais pas partie de ce qu'on nommait alors les "populations à risque", le fantôme sombre de la maladie planait sur les fantasmes de notre jeunesse. En revanche, nous avons grandi dans les années 1970 avec la vraie idée qu'il était sot de "perdre sa vie à la gagner", chose que je pense toujours. De même, nous n'avons pas eu, nous, à mener le combat de la mixité scolaire, mais dans ma classe de 11e (qu'on commençait à nommer CP), nous n'étions que des garçons, et c'est seulement l'année suivante qu'il y a eu deux filles, dont l'une était d'ailleurs très mignonne, j'étais très amoureux d'elle, nous avons été inséparables jusqu'à la fin du primaire, bref, ce n'est pas le sujet, mais j'étais de la première année qui, en montant, répandait la mixité dans les classes d'âges. Ce n'était pas notre combat, mais notre événement quand même. Nous, les cadets du baby-boom, avons été assez justement nommés "post-soixante-huitards", ceux qui avons grandi dans les effets du choc culturel qu'a été mai 1968.

Mais si j'ai eu envie de faire cette note, c'est à cause de la catégorisation psychologique qui a été faite ce matin des trois tranches d'âge : le baby-boomer d'aujourd'hui croit dans la hiérarchie, dans le texte, dans la rigueur, dans l'effort, dans les responsabilités, et dans tout ce que les baby-boomers de Mai '68 considéraient comme des stigmates de vieux cons. La génération X est moins formelle, mais... Et la génération Y est celle que Quitterie nous a longuement et merveilleusement décrite et illustrée pendant des mois, rejetant les hiérarchies, aimant la circulation de l'info, d'une info d'ailleurs éclatée, morcelée, et l'entr'aide, la communauté, le présent.

Et si j'ai eu envie de faire cette note, c'est parce que je trouve que si j'ai été longtemps centriste, ce n'est au fond pas un hasard : je me retrouve dans plusieurs aspects cruciaux de chacune des trois catégories, je me retrouve un peu dans toutes les trois à la fois. J'admire l'effort, mais j'ai toujours trouvé que l'idéal n'était pas de travailler plus pour gagner plus, mais de faire donner les meilleurs résultats au minimum de travail. Hélas, mon travail consiste surtout à travailler plus pour gagner moins, mais ceci est une autre histoire, comme on dit. J'aime l'immédiateté de l'info, l'informalisme. Si bien que je me demande si ces catégories sont vraiment pertinentes.

Oui.

C'est l'outil qui les forge : un vrai baby-boomer n'a commencé à être confronté à l'informatique au travail que vers la quarantaine en général, il a même souvent subi la concurrence de l'informatique qui a supprimé ou restreint bien des métiers (comptables par exemple). Cadet du baby-boom, j'ai su pour ma part en m'inscrivant en première année de gestion à l'université de Paris IX Dauphine, fin 1982, qu'il était crucial pour moi de prendre une spécialité informatique. La génération X, juste après moi, a eu conscience de l'informatique comme d'un outil majeur (mais un outil seulement) lorsqu'elle se formait. La génération Y a traversé l'adolescence alors que se développait la réflexion sur ce que le vice-président américain Al Gore avait nommé les "autoroutes de l'information", c'est-à-dire Internet. Quand Quitterie avait vingt ans, et étudiait dans une école de commerce, en 1998, on était en plein dans la bulle Internet : au plus fort du vertigineux rêve qui s'est alors emparé de tous les esprits, et dont l'histoire de Jean-Marie Messier (véritable Madoff de l'Internet) a été l'une des illustrations les plus bruyantes.

De ce fait, la génération Y est incontestablement celle dont la caractérisation est la plus juste, la plus solide. Ce qui se passe aujourd'hui, l'explosion d'Internet, sa prise de possession des relations sociales, économiques et humaines, c'est ce que les jeunes trentenaires attendent depuis les bancs du supérieur, c'est la terre qu'on leur a promise.

Mais je suis frappé que le pouvoir y est souvent détenu par la génération X.

Et finalement, je me raccroche à ce qui a été dit ce matin : nous, baby-boomers, comme la force des choses nous pousse vers la sortie, comme nous avons terminé notre traversée sans plus avoir rien à prouver à personne (hum), nous sommes prêts à passer le témoin, non pas à la génération X, mais à cette génération Y qui espère justement être prise en compte et guidée.

En politique, si l'on en croit Quitterie, ce passage de témoin n'est pas gagné comme il l'est apparemment dans l'entreprise, et j'ai une certaine joie, moi qui suis un cadet du baby-boom, à aider à l'émergence de la génération Y, parce que je l'aime, moi, cette génération Y, Quitterie.

21:22 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sociologie, quitterie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

16/11/2008

Crise financière : c'est Roland Barthes le coupable !

Il arrive qu'on achète des livres, qu'on les pose sur un meuble, qu'on pose ensuite des piles de chaussettes ou de parchemins médiévaux sur eux, puis qu'un jour, longtemps après, en soulevant la pile pour autre chose, on les retrouve, et qu'on se dise "mais au fait..."

C'est ce qui m'est arrivé avec le fondamental ouvrage de Christian Salmon paru voici tout juste un an : "Storytelling".

Mais au fond, il vaut mieux ne l'avoir découvert qu'aujourd'hui alors que la crise financière s'est déclenchée.

De quoi s'agit-il ?

De la substitution progressive du fantasme à la réalité dans la communication marchande et politique depuis trente ans. Notez la concomitance avec la période néoconservatrice.

Storytelling est l'action de "telling a story", mot à mot raconter une histoire. Plus précisément, il s'agit d'une technique consistant à raconter une histoire (le plus souvent un bobard) pour faire comprendre et admettre une idée ou pour faire aimer un produit. C'est évidemment un monstrueux moyen de manipulation des foules. Mais ce peut être aussi une spirale d'autointoxication, et alors gare au réveil.

Remplaçant tout (les vertus d'un produit, les positions stratégiques d'une bataille, le projet politique d'un candidat), le bobard s'inscrit comme une reconstruction complète d'un discours pour décorer l'apparence de la réalité, un peu comme ces villages de carton-pâte autrefois présentés à la Grande Catherine, dont Bayrou parlait pendant la campagne présidentielle. Une Renault n'est plus une voiture, c'est l'épopée des modèles successifs de la marque, un personnage politique n'est plus une intelligence, une compétence ni une conscience, c'est un parcours, un florilège d'émotions articulées autour d'événements racontés (parfois voire souvent entièrement réécrits - inventés ?).

Le jeu est devenu dangereux en économie parce que le discours du storytelling s'y est entièrement substitué à la réalité des chiffres. Une culture du mensonge y a remplacé la rigueur de la gestion. De là sans doute la violence du krach récent, ardent retour à la réalité. Les techniques comptables récemment abandonnées, qui permettaient d'évaluer des actifs sur des tourbillons de vent, relèvent d'ailleurs du storytelling, jusqu'à la caricature (elles dataient de l'époque glorieuse d'Enron, c'est tout dire).

Le même jeu encore, appliqué systématiquement à la politique américaine depuis Clinton mais surtout depuis Bush (avec un contrôle approfondi des médias parfaitement contraire à tous les principes fondateurs de l'Amérique), a confiné à la folie et à la démarche d'illuminés avec George W Bush, et il faut lire ce qu'a écrit un journaliste effaré en sortant d'une rencontre en tête à tête avec W en 2002 : le discours allait remplacer la réalité. La foi pouvait donc déplacer la montagne. Hélas, c'était la technologie de l'intelligence mise au service de l'obscurantisme, et ce fut la manipulation démentielle des médias avant, pendant et après la guerre en Irak, et depuis, jusqu'au résultat navrant, jonché d'un demi-million de cadavres. Récit glaçant.

Plus près de nous, bien entendu, c'est Henri Guaino qui applique les règles du storytelling à son candidat, avec brio d'ailleurs, sauf que... sauf que, comme disait Lénine, les faits sont têtus.

Et enfin, hélas, voici qu'apparaît Ségolène Royal, dont le storytelling, organisé par le patron de Saatchi, s'organisait  en 2007 autour de cette "femme qui avait mis en échec le pouvoir patriarcal des éléphants du PS", une story qu'elle est peut-être en train de reconstruire ce week-end à Reims, puisqu'elle est venue les défier.

Comme on le pressentait durant la présidentielle, il y avait donc bien entre ces deux candidats le point commun d'un choix dans l'ordre du discours, plus encore que de l'apparence, qui se résumait en fait à un choix de technique de communication, le dernier cri, un dernier cri qui vient de faire tomber la première puissance mondiale, de coûter des dizaines (et bientôt des centaines) de milliers d'emplois de par le monde, de jeter trois millions et demi de familles américaines à la rue, bref, un déshonneur funèbre.

Nous savions bien pour quoi et contre quoi nous nous battions, en 2007.

Je le dis avec prudence, car je sais qu'il y a parmi nos amis des adeptes de Royal, mais il faut le constater : elle est toujours dans cette technique de marketing, alors que, plus que jamais, nous avons le devoir de nous battre pour le triomphe de l'intelligence raisonnée, pour Descartes malgré ses défauts, pour les Lumières, contre les forces d'obscurité qui, avec le départ de Bush junior, laissent une plaie béante à la surface du globe.

Pour la raison, pour la science, et donc pour l'école, mais aussi pour une vraie presse d'investigation, indépendante et libre.

Lisons donc cet ouvrage aujourd'hui, maintenant que nous savons l'étendue des dégâts causés par les méthodes qu'il décrit, puis, chaque fois que nous en aurons l'occasion, attaquons les storytellings dans l'oeuf et démystifions-les. Il y va du plus profond du destin de l'occident.

Ah, et pourquoi Roland Barthes ? Parce que c'est lui qui, le premier, a réfléchi sur le rôle joué sur les narrations dans l'organisation de notre compréhension du monde, et que cette primauté lui a été reconnue par ceux qui l'ont reliée au succès commercial de la technique du storytellng.