19/01/2007
Fausse récréation : la génération de 1830
Tout commence en 1817.
Cette année-là, le nouveau régime prend de l'assurance, on ne croit plus que Napoléon puisse revenir de Sainte-Hélène, la Restauration trouve ses marques, Paris se donne de nouvelles couleurs et cherche sa nouvelle atmosphère littéraire.
Dans un contexte international troublé, alors que beaucoup d'ex-émigrés commencent déjà à se souvenir avec une forme de nostalgie des années qu'ils ont passées en Allemagne, en Amérique ou en Angleterre, un éditeur a l'idée de publier la traduction d'un ténébreux jeune poète maudit anglais : Byron. Succès immédiat.
La vie littéraire parisienne suit cependant son cours ronronnant gavé d'emphase et de périphrases. Un autre éditeur se dit : puisque Byron, auteur mort, a si bien réussi, pourquoi ne pas trouver un poète maudit, français celui-là ? Or André Chénier, guillotiné en 1794, fait très bien l'affaire dans le Paris de la Restauration. En 1819, Chénier triomphe donc.
L'année suivante, on s'enhardit encore : pourquoi le poète devrait-il nécessairement être mort ? Voici donc en 1820 Lamartine, premier poète vivant du nouveau style, premier succès. Les romantiques sont nés. En 1821 et 1822, Hugo et Vigny, puis tous les autres. Hugo décrira plus tard cette transition de l'une de ses formules géniales : "Chénier, le plus romantique des classiques ; Lamartine, le plus classique des romantiques".
Sous la férule de l'écrivain adepte du fantastique Charles Nodier, la troupe romantique se développe et prend forme dans les années 1820. Elle s'empare du pouvoir en février 1830 avec la bataille d'Hernani qui sonne les trois coups du lever de rideau de la révolution de juillet 1830.
Parmi les romantiques, quatre têtes émergent : Hugo, Balzac, Dumas et Lamartine. Hugo et Dumas, tous deux fils de généraux de la Révolution, sont les républicains, Dumas surtout. Son père a même quitté l'armée au moment où Bonaparte est devenu Napoléon. Hugo commence à droite et finit tout près des Communards. Balzac est proche des légitimistes, mais il est féministe comme on peut l'être alors, il veut émanciper la femme. Lamartine, poète par hasard plus que par vocation, est surtout un homme politique, j'en ai déjà parlé.
Concentrons-nous un instant sur Hugo et Balzac. Pourquoi eux ? D'abord, parce qu'ils ont fondé la Société des Gens de Lettres. Ils ont par là voulu permettre aux écrivains de défendre les droits d'auteur, surtout les écrivains les plus fragiles face aux éditeurs, alors tout-puissants.
Mais aussi parce qu'ils ont tracé deux lignes parallèles pour servir de perspective à tous ceux qui veulent écrire : Hugo dit pourquoi et Balzac dit comment.
Hugo pourrait dire aussi comment : son style est éblouissant et sa construction rigoureuse. Mais il est tellement atypique et personnel qu'on ne peut pas s'en inspirer, on ne peut que le pasticher. En revanche, sur la mission du texte et de l'auteur, il montre un chemin, le plus grand.
Balzac, en revanche, emploie les mots de tout le monde et s'exprime avec une élégance simple, sans autre effet de style que la construction même de l'intrigue et des portraits. Il met le lecteur sous une pression excitante.
Pourquoi et comment écrire. Si j'ai sonné cette fausse récréation, c'est pour qu'on se rappelle la double leçon que mes contemporains ont trop souvent oubliée.
Il faut le dire : il est plus commode et beaucoup moins dérangeant d'écrire et de publier des livres inconsistants. Ca arrange tout le monde. Tout le monde sauf le lecteur, la vérité et la liberté.
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