25/03/2008
Claude Goasguen à l'assaut de l'UMP de Paris.
Claude Goasguen a conduit la liste qui a emporté le XVIe arrondissement dès les premier tour lors des récentes municipales. Sans doute Pierre-Christian Taittinger n'aura-t-il aucune peine à se faire réélire maire de son arrondissement lors de la séance de samedi 29.
Entre les deux tours, Claude Goasguen a exprimé le souhait que François Bayrou soit élu à Pau et il a bien fait. Au-delà des aléas de la vie politique, les deux hommes peuvent se rappeler qu'à la fin des années 1970, ils ont incarné la génération montante de l'UDF, ils étaient même très copains.
Claude Goasguen, je le connais bien. J'ai beaucoup travaillé avec lui, c'est un vrai politicien, dans toute l'acception du terme. Ce qu'il dit a toujours de la densité et il mérite qu'on lui prête l'oreille.
Il est né en 1945, dans le Midi, je crois. Son père, d'origine bretonne, y était installé. Claude dit de lui que c'était un "moko", un Breton installé sur la Méditerranée. Il y a un peu de sang corse de son côté maternel. Il s'en servit longtemps lorsque les Corses dominaient la vie politique parisienne. Il en souffrit en revanche quand, ministre délégué du gouvernement Juppé en 1995, il recevait des coups de fil de Corses qui menaçaient ses cousins insulaires lorsqu'il disait du mal des Corses ou lorsque ses fonctions le conduisaient à mettre en péril un intérêt corse.
Il rigolait quand même en expliquant que quand Jacques Dominati (alors premier adjoint au maire - corse aussi - de Paris Tiberi) se mettait en colère contre quelqu'un, il le menaçait en langue corse de le "pendre par les couilles à la grille de l'Hôtel de Ville". C'était fleuri, en somme.
Claude Goasguen a étudié le droit dans les années 1960 à la même université que moi (vingt ans plus tard) : Paris II - Assas. Mais alors que je me suis bien gardé d'y frayer avec l'extrême droite qui y a toujours tenu table ouverte (le GUD et même la section locale de l'UNI y ont succédé à une section de l'UNEF dont Jean-Marie Le Pen - autre Breton - avait assumé la présidence un peu plus tôt), lui il a fait partie des créateurs d'un groupe, "Occident", qui a marqué son époque. Outre lui, on y trouvait entre autres François d'Orcival, Alain Madelin, Gérard Longuet, Hervé Novelli et Patrick Devedjian.
Il y avait chez eux la recherche d'une fidélité à l'Algérie française et une batterie de référence d'une extrême droite particulièrement virulente.
C'est à la fin de cette époque que, selon ce qu'il m'a confié, Claude Goasguen se mobilisait avec d'autres réseaux d'Algérie française ou de droite dure anti-gaulliste pour venir coller les affiches du général Stehlin, ancien chef d'état-major général de l'armée de l'Air et candidat centriste dans la circonscription du nord du XVIe arrondissement, une circonscription d'ailleurs gagnée par ledit Stehlin en 1967.
J'avoue que j'ignore comment de là Goasguen est venu dans les réseaux de la moitié du centre qui était inféodée au gaullisme (et donc opposée audit général Stehlin) à cette époque. Il s'agissait du Centre Démocratie et Progrès, qui fusionna avec le Centre Démocrate (où était Bayrou) en 1976 pour former le Centre des Démocrates Sociaux (CDS).
Docteur en histoire du droit, Goasguen était devenu enseignant à l'université. Il devint en 1978 le suppléant d'Eugène Claudius-Petit, candidat UDF (CDS) aux législatives dans le XIVe arrondissement de Paris. La densité de Bretons dans cet arrondissement proche de la gare Montparnasse a sûrement joué pour sa suppléance, mais le rapprochement avec Claudius pourrait surprendre.
Eugène Claudius-Petit est un très grand résistant, qui s'engagea à l'UDSR (comme Mitterrand) juste après la guerre. C'est lui l'inventeur de la célèbre "loi de 1948", destinée à décourager la spéculation immobilière et à protéger les petits locataires. Il fut vriament proche politiquement, dit-on, à une certaine époque, de Georges Bidault, qu'il avait connu dans la Résistance et qui était élu du même département que lui : la Loire. C'est peut-être le nom de Georges Bidault, proscrit au temps de l'OAS et insoumis de l'Algérie française, qui a fait le lien entre Claudius-Petit et Goasguen.
Quoiqu'il en soit, lors des municipales de 1983, c'est tout naturellement que Claude Goasguen se trouva sur la liste d'union de l'UDF et du RPR (conduite par un RPR d'origine démocrate-chrétienne) dans le XIVe arrondissement, et élu conseiller de Paris. De là, il ne cessa de se rapprocher de Jacques Chirac.
C'est vers cette époque ou un peu avant que j'ai fait sa connaissance. Il était bien moins empâté qu'aujourd'hui, un long type, un peu ténébreux, le cheveu déjà grisonnant, le profil aigu et le verbe incisif. Un aigle. Lors des réunions du conseil départmental du CDS, il marquait une grande déférence à Claudius, lequel s'exprimait sur un ton véhément, plein de tonnerre. Un peu de ce tonnerre se retrouvait dans les phrases de Goasguen, mais alors que Claudius était un vrai sanguin, Giasguen était déjà un cérébral. Il tenait un petit bout de papier sur lequel il avait noté trois idées en écoutant le débat, et en faisait sa propre synthèse avec élégance et mordant, sans jamais empiéter sur les prérogatives de Claudius dont il était le pupille en quelque sorte.
En 1986, il l'élection législative avait lieu à la proportionnelle. Une aubaine pour tout un tas de gens qui avaient du mal à s'implanter dans une circonscription et qui trouvaient l'occasion de devenir parlementaires sur une logique d'apparatchiks. Goasguen fut placé sur la liste des parachutables. L'histoire est comique en soi, il faut l'entendre la raconter, c'est cocasse. Elle se termine par une bérézina totale : Lecanuet l'envoie dans les Ardennes en lui jurant que les Ardenais sont ravis de l'avoir pour député.
Or pas du tout : il arrive là-bas, on l'y attend avec des fusils. Il repart par le premier train. C'est le candidat local qui est élu député.
Le voici donc de plus en plus parisien et de plus en plus proche de Chirac. En 1988, il accepte de prendre la suppléance de Jacques Toubon, chiraquien s'il en fut, dans la circonscription qui est à cheval sur les XIIIe et XIVe arrondissements (celle où Quitterie Delmas aurait dû se présenter en juin). Il y sera de nouveau suppléant de 1993 à 1997.
Dans la décennie qui court du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, Goasguen est à ce point proche de Chirac que celui-ci l'envoie régulièrement en Afrique. Claude raffole de la pêche au gros.
Il poursuit aussi sa carrière universitaire. Il a réussi à se faire élire doyen de l'université de Paris XIII Villetaneuse en s'alliant (paraît-il) avec les communistes contre un autre candidat de droite. Puis il entre au cabinet de René Monory, président du Sénat, en 1992, et celui-ci le nomme directeur du Centre National d'Enseignement à Distance (CNED), ce qui lui vaut rang de recteur d'académie. Il me semble qu'un peu plus tard, Bayrou est allé jusqu'à le nommer inspecteur général de l'Éducation Nationale, un corps où il a nommé également Yves Pozzo di Borgo qui y avait encore moins de titre (personne n'est parfait).
Je commence à travailler avec Claude Goasguen courant 1994 : la candidature de Balladur à la présidence de la république ne me convient pas, trop réac, bien trop réac. Comme le disait Jean-Luc Moudenc (depuis lors ex-maire de Toulouse) à cette époque : l'un (Chirac) était plus autoritaire, l'autre (Balladur) plus conservateur. Monory, Barre et Giscard avaient formé une coalition anti-Balladur avec Chirac.
Je fus reçu dans le bureau de Goasguen à l'Hôtel de Ville en 1994 juste après Florence Autret (encore une Bretonne) qui est aujourd'hui journaliste spécialisée dans les questions européennes à Bruxelles.
Je n'y venais pas seul. Je laissai parler celui qui m'accompagnait, puis Claude dit quelques mots et nous vîmes assez vite ce qui pouvait servir de base à un contrat. Je deviendrais adjoint au maire du XVIe arrondissement de Paris, il prendrait la fédération centriste de Paris, nous ferions gagner Bayrou dans le CDS et Chirac à la présidentielle et Claude deviendrait ministre.
La totalité de ce programme se réalisa, jusque dans ses moindres détails : c'est un homme de parole. Il ne parle pas à la légère et quand il prend un engagement, on peut s'y tenir. Il devint donc président du CDS (puis Force Démocrate, FD) de Paris, ministre délégué dans le gouvernement Juppé, et je devins adjoint au maire du XVIe arrondissement, puis (de mon propre chef) président des jeunes de Paris, chargé d'assumer la tranisition de la formule CDS vers la formule FD.
Au bout d'un peu moins de six mois, il fut éjecté du gouvernement Juppé à qui il conserva longtemps une rancune féroce, d'autant plus virulente qu'il avait été viré en même temps que le contingent féminin et décoratif du gouvernement, celles que la presse a surnommé les "juppettes". Être traité comme une promotion canapé qu'on licencie, c'était insoutenable. De fait, ce remaniement fut une erreur qui coûta cher à Juppé à l'époque. Les plaies sont pansées heureusement.
Quoiqu'il en soit, nos derniers efforts communs datent de 1997.
Claude voulait prendre la circonscription du XVIe sud, tenue depuis 1973 par le bougon centriste Georges Mesmin. Je passe sur les événements qui ont conduit à l'éviction de Mesmin que Claude défit en 1997, lors de l'élection consécutive à la calamiteuse dissolution Chirac.
J'étais son vice-président de FD Paris, membre du conseil national et du conseil départemental de l'UDF ancienne manière. Tout roulait. Mais au fond, il désapprouvait l'émergence de Bayrou tandis que je m'en réjouissais. Il avait à choisir entre sa fidélité à Chirac et son amitié pour Bayrou, il renonçait à l'amitié. D'autant plus que Bayrou s'était rapproché, dans son ministère, de tous ces gens issus de 1968 que Goasguen avait combattus sur les bancs d'étudiant au temps d'Occident. Ca devenait culturel.
En 1998, Goasguen partit avec les madelinistes, une première étape vers le RPR qui allait devenir l'UMP.
Je n'avais pas de reproche à lui faire : nous avions passé un contrat, chacun avait respecté ses engagements, nous étions quittes.
Le soir où il partit, il m'appela pour me demander de le suivre chez Madelin. Ca signifiait se satisfaire de l'alliance avec Le Pen. Je demandai à réfléchir, il savait très bien que cela signifiait que c'était inacceptable pour moi.
Et le voici dix ans plus tard.
Il n'est pas redevenu ministre. Il a le souffle un peu plus court, il vieillit comme tout le monde. Il a voulu se présenter à la mairie de Paris. 2008, c'était sans doute sa dernière chance : en 2014, il approchera des 70 ans. On n'a pas voulu de lui.
Je l'ai vu, l'an dernier, lors d'une séance du conseil de Paris. Panafieu, déjà désignée, s'y exprimait dans son rôle de future challenger du maire. Elle était pathétique, pitoyable. Et pendant qu'elle pataugeait, juste sous son nez Goasguen vissait et dévissait son stylo pour la désarçonner. Dur.
Aujourd'hui, Goujon ne s'est sorti de l'élection municipale que grâce au refus de Delanoë de s'allier avec le MoDem. Il est un président de l'UMP de Paris très affaibli. Panafieu vient de se retirer du conseil de Paris. En somme, un nouvel espace s'ouvre pour Claude Goasguen qui, en exprimant le voeu que la fédération UMP de Paris s'émancipe des structures nationales, a appelé les chiraquiens de l'UMP à se rassembler. Le voici en conquête. Affaire à suivre.
23:43 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ump, paris, goasguen | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Sacré billet ! Merci pour cette chronique. personne ne pourrait avoir connaissance de ces faits si tu n'étais pas là pour les dire.
Comme quoi, les "anciens" ont du bon :-)
Écrit par : L'Hérétique | 26/03/2008
Un très grand merci pour les articles passionnants de ces derniers jours. J'ai eu beaucoup de mal à naviguer sur ton blog ces jours-ci , ça bloquait sans cesse, mais ce matin ça marche normalement : ouf !
Écrit par : Géraldine | 26/03/2008
Très intéressant...J'ignorais son cheminement d'Occident vers Claudius-Petit... Mais on a vu des "blanchiments" plus curieux encore !
Écrit par : Laurent le Déconaute | 26/03/2008
Au fond, il n’a pas vraiment quitté l’extrême droite, en témoignent les propos racistes qu’il a tenus récemment (et sans que personne ne s’en montre choqué) contre le peuple palestinien : «un peuple sauvage, de terroristes épouvantables».
http://oumma.com/A-propos-de-l-Affaire-Bruno-Guigue
Écrit par : jm | 26/03/2008
http://www.presseocean.fr/actu/actu_detail.php?abo=622866&serv=14&idDoc=605575&idCla=12180
un article sur Claudius-Petit, le Corbusier ...et Rezé, près de Nantes (sud Bretagne).
cordialement,
thierry
ps: nous avions fait connaissance dans la file au Congrès de Villepinte et nous avions parlé de la Bretagne....
Écrit par : thierry le morbihannais | 28/03/2008
@ Thierry
Je m'en souviens bien, nous avions parlé de d'Argentré et de la réunification de la Bretagne.
Écrit par : Hervé Torchet | 28/03/2008
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