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11/06/2008

Opération modernisation = non-cumul : l'élu, la fonction et le statut.

Trente-six mille communes, des milliers de structures intercommunales, cent départements, vingt-deux régions métropolitaines, un certain nombre Outremer, des collectivités à tous les étages, un demi-million d'élus, et huit ou dix fois plus de fonctionnaires de l'État, du secteur public hospitalier et des collectivités locales : voici les facteurs institutionnels et humains de l'action publique, chargée de gérer une enveloppe budgétaire globale sans doute supérieure à 750 milliards d'Euros, la moitié du PIB (au passage, je signale qu'en termes de PIB, la France est redevenue n°5 mondial en raison de la chute du sterling).
 
Or il y a une curiosité dans ce tableau : les élus et les personnels ont la même préoccupation dialectique : leur rôle devrait se caractériser par leur fonction, mais il se définit surtout par leur statut. Le fonctionnaire (fonction ! publique) est en fait défini, selon la jurisprudence administrative, par son statut. On peut être agent public de fait si l'on s'est trouvé par circonstance dans la position de remplir une mission de service public, voire si l'on est salarié d'une collectivité publique, mais pour être fonctionnaire, il faut en avoir un statut. Il y a une définition purement corporative du fonctionnaire.
 
Et comme s'il s'agissait d'une nature sociologique française profonde, le même mal a gagné l'élu, qui finit par se définir non par ce qu'il fait, mais par ce qu'il est : on EST un élu. On EST maire, maire-adjoint (on ne dit pas "adjoint au maire", ça fait subalterne, tandis que maire-adjoint, c'est déjà un maire, j'ai d'ailleurs entendu des responsables associatifs me présenter à leurs membres comme "notre maire", autrement dit "celui des maires qui s'occupe de nous autres, des sports"), conseiller général, député, ministre. D'ailleurs, en fonction de ce statut, le protocole organise la traduction physique de chaque titre : comme sous l'Ancien Régime, chacun a sa place. Seulement (et c'est une amélioration), en principe, les places tournent. Je dis "en principe" car, de même que les fonctionnaires, les élus ont tendance à considérer que s'ils intègrent la corporation, s'ils deviennent élu, c'est pour toujours, pour y rester, pour y faire au moins leur trou, voire plus.
 
Mais pour justifier d'y rester, il vaut mieux pouvoir dire qu'on y a été utile. Et c'est là que la question protocolaire devient centrale : un préfet ne reçoit pas lui-même le maire d'une trop petite commune (sauf événement particulier), le maire est reçu par son directeur de cabinet (dircab) ou un autre subalterne, parfois très subalterne. Un conseiller général, lui, voit s'ouvrir beaucoup de portes devant lui, il n'a aucune difficulté à accéder au sous-préfet, mais pour le préfet, c'est plus difficile.
 
Et ainsi de suite...
 
Et c'est pourquoi le maire d'une petite commune, imbriquée dans une communauté de communes, n'aura de cesse d'acquérir une casquette plus galonnée pour avoir accès à un gradé plus élevé de la hiérarchie de l'État, ou d'un consortium économique, d'ailleurs. Quand on est maire de Sableville, on a envie de devenir conseiller général de Plageville, député de la 3e du département du Littoral, ou sénateur.
 
Et à chaque fois, on le fait pour exercer sa fonction, mais sans se rendre compte du glissement qui fait qu'on confisque une fonction pour en exercer une autre.
 
Voilà le mécanisme parfaitement pernicieux qui fait qu'en France, pour obtenir les bonnes grâces de l'État, il faut cumuler.
 
Ne cherchons pas ailleurs la raison de cette spécificité française que constitue le cumul des mandats : c'est la dépendance des collectivités locales à l'égard de l'État qui en est responsable. Ce qui est local étant humilié éprouve le besoin de se grandir pour devenir un interlocuteur plus crédible. S'il y avait plus (ou encore moins) de liberté locale, il y aurait moins de cumul.
 
Bon, évidemment, je pourrais aussi insinuer que pour certains, la fonction élective est le moyen de prélever des commissions sur des marchés publics, que pour d'autres elle représente la pure griserie du pouvoir dont il faut accaparer le plus de leviers possibles, mais il me semble que ma note est déjà assez longue comme ça et je m'en voudrais d'encourir les foudres de Quitterie Delmas qui a lancé l'opération...
 
Voici donc mon remède : moins de collectivités locales, avec des missions plus claires, un périmètre mieux défini et des moyens plus autonomes.
 
Et vous ?

Commentaires

Excellente contribution. C'est vrai que dans l'ambiance actuelle la suspicion vis à vis des élus nous fait oublier que beaucoup cumulent dans le simple but d'exercer au mieux leur mandat le plus local.

C'est dire aussi la révolution mentale, et non seulement administrative, que demande une réforme concernant le cumul des mandats.

Écrit par : Aurélien | 11/06/2008

Belle analyse. Clarté du style, précision de la langue française; "décorréler" va remettre à votre disposition une énergie dont vont profiter vos lecteurs...

Écrit par : Pierre-Yves | 11/06/2008

Très bon post, bien que n'étant pas de votre tendance politique, j'apprécie de plus en plus votre blog.
Il y a juste un tout petit oubli, mais je suppose que vous ne vouliez pas surcharger votre texte, c'est que joue aussi le cumul...des indemnités !!!
Dernier point, quitte à encourrir les foudres de madame Delmas, de grâce ne vous limitez pas quand à la longueur du texte : on n'est jamais long quand on a des choses à dire (à écrire plutôt et ... qu'on les écrit bien), on l'est toujours trop quand on tire à la ligne.

Écrit par : Jihème | 12/06/2008

@ Jihème

Le cumul des indemnités d'élus proprement dites a été limité par ce qu'on a nommé l'écrêtement, qui est un plafonnement du montant global des indemnités. Restent évidemment les rémunérations autres que les indemnités : celles des représentants des groupements de communes, par exemple, ou bien celles que les conseillers de Paris perçoivent p ex quand ils représentent la Ville dans les conseils d'administration des sociétés d'économie mixte de la Ville.

Écrit par : Hervé Torchet | 12/06/2008

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